Encore un truc que j’ai déterré de l’underground le plus profond pour vous en faire profiter, mais après tout, l’underground est suffisamment fertile pour qu’on s’intéresse à lui et c’est toujours de son magma grouillant que naissent les légendes de demain. Et peut-être que les chiliens de FUSILATED en deviendront une, dans leur pays en tout cas, car leur musique a ce côté abrupt qu’on retrouvait chez le HELLHAMMER de 83, et cette absence de compromission caractéristique des débuts du Black, alors même qu’on ne l’appelait pas encore comme ça. D’ailleurs, pour bien marquer leur affiliation, ces musiciens se placent sous une égide de Blackened Thrash, ce qui en dit long sur leur passion bruitiste et occulte. Formé en 2019, ce trio de Chillán n’a même pas pris la peine de commencer sa carrière par une logique démo ou un évident EP, et s’est immédiatement lancé dans le grand bain du longue-durée, nous proposant Inmolación en tant qu’hors-d’œuvre de sa carrière. Pedro Gálvez (batterie/basse), Manuel Gajardo (guitare) et Álvaro Gálvez (chant) nous offrent donc dix compositions, agencées de façon un peu bizarre, avec deux segments très courts en intro, une ambiance glauque et inquiétante, et un son global digne d’une bonne démo des années 80. Un genre d’approche quatre pistes qui confère à cet album une patine un peu spéciale, comme un secret pour initiés qu’on se vend sous le manteau, et qui révèle les fondements de la scène chilienne la plus dissimulée dans les ténèbres. Difficile toutefois de vraiment définir la philosophie de FUSILATED, qui joue en effet un genre de Thrash diffus et légèrement Black, mais qui dans les faits pourrait aussi s’affilier à un Death amateur, à un Black raisonnable, et en tout cas à un extrême bricolé dans une cave et qui unirait deux passions, celle du Thrash bestial sud-américain des années 80, et celle d’un BM naissant tel qu’il était pratiqué par MAYHEM sur ses premières années. D’ailleurs, la piste de Deathcrush semble celle à suivre pour comprendre un morceau comme « Muerte Por Demencia », en mettant de côté les affolements de blasts soudains.
Le tout n’est pas parfait, loin de là même, mais dégage un agréable parfum d’amateurisme passionné. Le trio sait s’y prendre pour distiller des atmosphères primaires, un peu gauches mais subtilement noires, à l’image du poisseux « Inmolación », le premier véritable titre de cet album. Entre une guitare sommaire dont la distorsion semble souffrir d’un manque de puissance, une batterie minimaliste qui taquine le Heavy/Doom, et un chant lointain enterré dans le mix, la prise de contact est étrange, mais le résultat charmant. On se replonge dans les premières années de transition entre un Thrash encore fortement influencé par la NWOBHM et le Punk, et un Thrash plus maléfique, qui commence à utiliser la double grosse caisse pour se montrer plus puissant et qui lance des incantations plus evil que la moyenne. Le genre de démo que Metalion chroniquait à la chaîne en quelques lignes encombrées d’onomatopées, et qui a plus ou moins défini la direction que l’extrême allait prendre dans les mid eighties. FUSILATED se fend même d’une reprise basique et raw du « Lost Wisdom » de BURZUM, histoire de bien souligner ses racines BM, et en propose une version très rachitique, au son décharné, avec un chant blindé d’écho pour mieux singer les méthodes de notre cher Count Grishnackh. Evidemment, le fan de Blackened Thrash mainstream aura du mal à se passionner pour ce produit plus underground qu’une démo de DARKTHRONE des années 90, mais celui qui aime son Thrash poussiéreux, mal dégrossi et sincère se prendra de passion pour ces échos d’un autre temps, pour ces craquements vinyliques, ces accélérations qu’on n’entend pas venir car la caisse claire est complètement étouffée par la grosse caisse, et pour ces blasts à peine discernables sur le lapidaire « Deshumanizado ».
Les morceaux oscillent entre des durées radicalement opposées, le trio se lâchant à plusieurs reprises au-delà des cinq ou six minutes, mais ne rechigne pas à bombarder l’auditeur avec des inserts brefs et épileptiques, comme cet irrésistible « Contingencia » aux nombreux plans qui s’enfilent à grande vitesse, et à la basse gonflée aux entournures. Le groupe ose même l’insert mélodique et acoustique pour enrichir son travail, et nous calme d’un délicat « Chernabog » avant de nous fracasser d’un « Desde Las Profundidades » sans pitié. La fin de l’album révèle d’ailleurs les deux titres les plus ambitieux du répertoire, qui représentent presque un tiers du métrage, et qui privilégient les plans lourds et oppressants. Une fois passée l’épreuve de cette distorsion qui geint et semble émaner d’un passé depuis longtemps oublié, de cette production at home (Pedro Gálvez, le batteur s’est chargé de l’enregistrement, du mixage et de la mastérisation), et de ce Crossover un peu bâtard sur les bords, on apprécie l’attitude de musiciens sans compromis, qui rendent hommage à l’histoire de l’extrême à leur façon, en restant simplement…extrêmes. Et si leur musique se rapproche plus d’un BM ancien que d’un Thrash assombri, on excuse facilement ce manque d’équilibre, ce LP aux allures de démo possédant un cachet assez unique en son genre. D’ailleurs, le groupe termine son effort par un ultime jet totalement crade n’raw, « Holodomor », qui empeste le Punk Black anarchique aux changements de tempo épidermiques et au chant encore plus démoniaque qu’un discours de Trump. Envisagez plutôt Inmolación comme une démo gonflée en LP, et vous apprécierez la foi de ces chiliens sur qui le temps n’a pas eu d’impact.
Titres de l’album :
01. Mors Autem Quaeritis Nazarenum
02. Arraigado A Una Cruz
03. Inmolación
04. Muerte Por Demencia
05. Lost Wisdom (Burzum Cover)
06. Deshumanizado
07. Contingencia
08. Chernabog
09. Desde Las Profundidades
10. Holodomor
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