Pour un dimanche ensoleillé de dernier jour de juin, quoi de plus adapté qu’un bon album de Doom qui tient encore plus chaud qu’un pull pur laine ? Rien, nous sommes d’accord, spécialement lorsque le dit album est le quatrième d’un groupe italien bien connu de la scène. En seulement quatre ans d’existence, BLACK SPELL a quand même pris le temps de lâcher quatre albums, dont ce petit dernier, en autoproduction. D’ailleurs, nous étions quelques-uns à nous inquiéter, puisque la régularité d’un LP par an n’avait pas été respectée en 2023, nous laissant craindre le pire.
Mais non. BLACK SPELL est bien vivant et ne boude pas. Le trio des faux-frères Skull (Pierre - basse, Johan - batterie/claviers et Alastair - guitare/chant/orgue) est plus alerte que jamais, malgré la nonchalance artistique assumée. Car loin des pilonneurs de menhirs, le trio italien se situe plus en amont dans le temps, et plus influencé par BLACK SABBATH et BLUE CHEER que par un sablier coincé sur un grain.
Du Doom psychédélique donc, le plus léger, mais pas forcément le plus varié. Toujours aussi fuzzy, le trio nous rassasie de neuf nouveaux titres, qui comme les anciens, marquent le tempo avec insistance tout en distillant de bonnes ambiances. Tirez donc sur le stick, allongez-vous sur la moquette, et laissez-vous partir dans les seventies italiennes, celles qui ont fêté les groupes les plus allumés, les plus progressifs et les plus culottés.
Entre DEATH SS, et la clique transalpine des explorateurs de conscience, BLACK SPELL n’a toujours pas choisi. D’ailleurs, le groupe n’a rien choisi du tout, préférant continuer sa route à son rythme, en se reposant sur le talent inné d’un guitariste/chanteur au ton détaché, et à la voix perdue dans l’espace. Into Darkness est donc fait de ténèbres tout à fait supportables, et beaucoup moins noires que celles des concurrents les plus déprimants. On pourrait même croire les stores vénitiens ouverts tant la lumière violette rebondit sur les meubles et les bongs ramenés de Katmandu, et si Syd Barrett et Marc Bolan avait expérimenté une nouvelle sorte de LSD et ainsi traîné dans les couloirs imaginaires d’un giallo, la peinture sonore eut été la même.
Mais vraiment la même.
On sent du dédain, du détachement, mais aussi un attachement. Aux racines, celles de COVEN, celles qui faisaient la fête au satanisme de pacotille, et à cette jeunesse hédoniste proche d’Anton LaVey, qui prônait l’amour libre et les drogues gratuites. L’amour n’est plus libre depuis longtemps, et les drogues ne sont toujours pas gratuites. Mais l’atmosphère est la même, délicieuse, un peu vicieuse, qui transpire sur cette guitare aux motifs semblables, qui ne prend donc même pas la peine de varier ses approches.
La diversité doit donc aux quelques arrangements lâchés de ci de là, puisque tous les titres sautant d’un binaire tranquille, sur lequel se greffent des licks jumeaux ou triplés, et une basse ronde qui tourne toujours sur les mêmes notes.
En boucle.
Donc, fans, cette chronique vous est adressée. Les autres auront sans doute un peu plus de mal à suivre, d’autant qu’Into Darkness n’est pas pingre. Presque une heure de mantra acide, pour neuf morceaux allongés comme un café noyé dans l’eau du robinet. La facette hypnotique de la démarche est évidente, les itérations étant là pour le prouver, mais bien des patients resteront insensibles à ce pendule qui ne bouge presque pas. Une fois parvenu jusqu’à « A Sinner's Hell », on se demande toujours s’il s’agit du même morceau découpé en tranches ou bien de segments bien distincts, et il faut la douceur orientale de l’intermède « A Note From The Devil » pour que l’intérêt se réveille.
Non que l’expérience soit déplaisante, mais disons qu’elle n’apporte pas grand-chose à la cause. Forts de trois albums, les trois musiciens sont donc en totale confiance, et jouent ce qu’ils ressentent, sans chercher à happer une proie qui n’est pas leur gibier.
Le Blues et le Rock Psyché s’affrontent donc dans ces joutes lancinantes, ou seuls les plus patients gagnent. La seconde moitié de l’album est en tout point similaire à la première, comme un miroir regardant un miroir, et renvoyant le reflet de deux miroirs, qui deviennent quatre, huit et ainsi de suite.
La galerie est donc efficace pour les plus passionnés des fêtes foraines un peu glauques, la piste occupée par des danseurs à moitié avachis sur le sol, et les fleurs fanant à vitesse réelle. Le romantisme de la chose est du genre suranné, mais le bilan est assez déséquilibré. Doom certes, donc inamovible, mais on a connu plus charmant et moins insistant. Nous sommes plus dans le registre d’un dragueur de terrasse que d’un gentleman vous proposant les délices de Venise en gondole.
BLACK SPELL nous réserve toutefois une sortie plus inquiétante, sous la forme de neuf minutes de bruitages dignes de Mario Bava après une cure de MDMA. « Enter The Shrine Of The Black Gods » est donc la seule véritable surprise d’un album prévisible, mais qui permet justement de rehausser le niveau avant d’aller se coucher.
Un sort finalement plus sympathique que diabolique, et qui ne se signe pas avec le sang, mais avec un petit vin de Turin.
Titres de l’album :
01. Into Darkness
02. The Omen
03. Black Witchery
04. A Sinner's Hell
05. A Note From The Devil
06. Saturn's Death
07. Winds Of Doom
08. Dungeons Of Death
09. Enter The Shrine Of The Black Gods
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