Un groupe de Doom à l’ancienne, une pochette qui accroche l’œil (pour une raison et surtout pour une autre), un premier album qui tient les promesses faites par le visuel, tout est en place pour un accueil digne de ce nom dans les rues de Brooklyn. On aurait pu dans un accès de nostalgie croire ces musiciens italiens, eu égard à leurs inclinaisons et leur son, mais ils viennent bien des Etats-Unis, même s’ils ont beaucoup écouté BLACK SABBATH et DEATH SS. Ce qui ne les empêche guère de se revendiquer de l’héritage familial en copiant quelques recettes occultes de nos chers COVEN, et pas seulement parce que les deux groupes sont menés par une chanteuse.
Mais quand même un peu.
Sorti de nulle part, CASTLE RAT est l’excellente surprise de ce mois d’avril. On aurait pu craindre un énième gimmick putassier au regard de la tenue des deux demoiselles présentes dans le line-up, mais bien au contraire, ce quintet est des plus sérieux, et joue des chansons ancrées dans le passé, avec suffisamment d’écho et de réverb’ pour rappeler les volutes de fumée des années 69/73.
Qui sont-ils ? On ne le sait pas vraiment en lisant le line-up qui s’amuse de quelques pseudos bien choisis et fleuris (The Plague Doctor - basse, The Druid - batterie, The Count - guitare/chœurs, The Rat Reaperess - performance et The Rat Queen - chant/guitare), mais on le devine en découvrant les premières pistes d’un premier album très maîtrisé et varié. Des passionnés de l’ère Doom d’origine, tel qu’il fut involontairement inventé par des mastodontes comme le SAB, ST VITUS, et quelques autres pachydermes seventies. Un Doom qui sent bon l’analogique, les bandes, les improvisations en studio, et évidemment, la fumette pendant les pauses, histoire d’en imaginer quelques-unes pas piquées des vers.
N’espérez donc pas une litanie morne et morbide, mais bien une longue procession nocturne avec robes noires, masques étranges, et célébration joyeuse. Les CASTLE RAT s’y entendent comme personne pour traduire en musique les images projetées par la Hammer, mais aussi par les réalisateurs espagnols comme Amando de Ossorio. Macabre mais souriant, second degré mais abordé sérieusement, Into The Realm est une excellente surprise en format comics, qui propose des chapitres conséquents, et des épisodes passionnants. On se laissera facilement happer en pleine nuit par le déhanché Heavy de l’entame « Dagger Dragger », formidable de groove et de stupre, et on plongera dans les cauchemars les plus sombres en nous délectant du poison mortel de « Red Sands », plus Doom qu’un dimanche matin à déambuler dans les ruines d’un château d’Ecosse.
Sachant très bien que ce point est hautement subjectif, j’avance en terrain miné. Mais j’ai toujours eu beaucoup d’affection pour les groupes comprenant un élément non-musical, en l’occurrence une danseuse, un performer ou tout autre travail gestuel et sensuel. Et le fait que les CASTLE RAT puissent compter sur la présence de The Rat Reaperess aka Madeline Wright dans leurs rangs me rend tout guilleret, la demoiselle arborant un sémillant masque détournant à peine l’attention de son corps partiellement dénudé. Cette astuce est terriblement seventies aussi, mais rappelle également les allumées de ROCKBITCH et leur golden ticket de plaisir backstage. Mais point d’allusions salaces ici, juste une mise en scène très bien travaillée, qui ne sert pas de cache-misère à une musique insipide et convenue. Car les cinq américains ont élaboré des compositions solides, à ambiances, et délicatement voilées d’un halo de brume, ce qui a tendance à rapprocher Brooklyn de Birmingham.
Le décorum est donc peaufiné, et les atmosphères envoutantes. « Cry For Me » en est le plus parfait exemple avec son chant perçant, sa rythmique lancinante et son emphase sur les gros riffs fuzzy. Le timbre de voix de The Rat Queen, aka Riley Pinkerton McCurry, fluet, hypnotique et juvénile transcende des morceaux faussement simples, et qui contiennent un joli lot d’idées bien exploitées.
Aérant l’album de trois transitions plus classiques et nostalgiques (« Resurrector », à la Geezer Butler, « The Mirror » et « Realm »), CASTLE RAT propose donc un produit vraiment fini, et apte à séduire les masses Heavy de son énergie. Difficile de faire plus traditionnel que ce premier album, qui combine les forces noires d’il y a cinquante ans à l’approche plus opportuniste de l’école old-school américaine, mais ce traditionalisme est justement la force d’un disque qu’on s’imagine vinyle tournant sur une vieille platine un peu fatiguée, mais au diamant flambant neuf.
« Fresh Fur », lourd comme Ozzy qui crie « je ne suis pas bourré » à tout son voisinage, et « Nightblood » qui nous trimbale en arrière jusqu’en 1970 sont les deux derniers chapitres d’un premier roman d’Heroic-Fantasy aux héros un peu louches, et aux héroïnes beaucoup plus sournoises qu’elles n’en ont l’air. Attention à leur chant d’ailleurs, qui agit comme celui des sirènes, pour vous mener en terrain hostile avant de vous soumettre à leur volonté.
Des esclaves. Voilà ce que nous sommes, des esclaves. Car dès qu’Into The Realm se diffuse dans vos oreilles, votre libre arbitre en prend un coup. Un coup certes violent, mais qui vous plonge dans un état d’hébétude profond, et de soumission délicieuse. Le Doom peut avoir cet effet sur ses sujets les plus sensibles.
Dont je fais partie évidemment. Mais comment résister à la reine des rats, qui sans flûte s’assure de leur soutien, pour conquérir une ville entière ? Le monde ?
Titres de l’album:
01. Dagger Dragger
02. Feed The Dream
03. Resurrector
04. Red Sands
05. The Mirror
06. Cry For Me
07. Realm
08. Fresh Fur
09. Nightblood
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