C’était en 2001. On nous avait montré son visage, et caché son nom sous l’anonymat d’une Jane Doe qui aurait pu être n’importe qui mais qui ne l’était pas.
Pourtant, à cette époque, les témoins n’étaient pas des inconnus, loin de là. Ils avaient déjà apporté leur caution depuis presque dix ans, mais se permettaient alors de décrire cette pauvre fille avec une acuité de violence à l’intensité émouvante.
Une certaine forme d’ultra brutalité sous couvert d’une rage du désespoir. Et tous les regards convergeaient vers elle à ce moment-là, et vers eux.
Devenaient-ils les porte-flambeau de la décadence Hardcore qui n’assumait pas encore son statut de leadership suprême ?
Depuis, rien de plus, mais rien de moins. Et quand la décision fut prise d’exhumer le corps de cette pauvre Jane, devant un public avide de détails qui auraient pu leur échapper à l’époque, le big-bang explosa à la face des incrédules qui ne pouvaient se résoudre à ne pas croiser son chemin énigmatique une fois de plus. Le roman avait besoin d’un autre éclairage, d’un épilogue maladif, d’un regard en arrière sans complaisance, puisque de regrets, il n’y en avait point.
Alors, 2001, 2016, CONVERGE, Jane lives again, comme un Twin Peaks sans cette maudite bûche qui ne parlait toujours pas, et ne désignerait jamais son assassin.
Le tableau est toujours le même. Cette beauté impénétrable, aussi vénéneuse que séduisante, aussi cathartique que létale.
Un festival comme un autre, mais une décision collégiale qui allait redonner de l’allant à un tableau dont les couleurs passées semblaient plus vives et pourtant morbides que jamais.
Roadburn Festival, 2016, le parfait contexte pour oser une intégrale qui risquait de laisser sur le carreau, exsangue, le cœur battant la chamade et la tête fracassée contre un mur de son inextricable. Du béton, ou un alliage particulier entre le Hardcore le plus malmené et le Mathcore le plus abusif. Une relecture fidèle et pourtant personnelle d’une œuvre unique. Les CONVERGE sur scène, avec Jane, qui pour l’occasion se souvint de ses derniers jours.
Aujourd’hui, en 2017, cette reconstitution est votre, puisque cet album l’a toujours été. Et si en quinze ans, personne n’a toujours rien trouvé à redire sur ses éclairs et ses stridences, sur son terrain défriché et sur sa prise de risques assumée, c’est justement qu’il n’y a rien à en dire. Imperfectible, de bout en bout.
Êtes-vous prêts à subir encore une fois le récit de cette pauvrette qui s’échoua un jour sur les rives de la cohérence bruitiste mélodique ? Bien évidemment, sinon, vous ne seriez pas là à lire ces quelques mots…
Plus simplement, et loin d’une poésie de placard ou de littérature de gare, CONVERGE est Jane Doe, et Jane Doe doit tout à CONVERGE. Enregistré live, sans temps mort, et évidemment produit et mixé par l’immanquable Kurt Ballou, un des artisans/architectes de l’aventure, Jane Live retrouve une fois de plus sur son chemin Brad Boatright, et surtout, une ampleur qu’elle n’a jamais perdu, puisque les années n’ont aucune prise sur son histoire quasiment mystique.
Et si l’histoire justement, ne devait retenir qu’un seul album pour témoigner de la rage Hardcore de ces satanées années 2000, il garderait précieusement dans ses coffres de mémoire ce disque court rageur, impitoyable et frondeur qui a redéfini à lui tout seul les standards d’une musique aussi peu empathique que raisonnable dans un sens.
Et le choc frontal n’a rien perdu de sa violence face à une foule transcendée par l’attente et l’espérance. Jane Live, elle vit, se meut, hurle, souffre, mais se retrouve presque au point de départ. Pourquoi comment, on s’en fout, elle est là, devant nous, dans notre âme et nos oreilles, pour nous assourdir une fois encore de ses aventures malsaines et à l’issue certaine.
Pour bien faire, les CONVERGE lui ont offert un lifting, soit pour flouter encore plus son vrai visage, soit pour nous révéler les multiples facettes de sa personnalité que nous n’aurions pas encore pu entrevoir.
Alors les artistes se sont succédé pour deviner à quoi ressemble sa psyché intérieure, et nous avons retrouvé au trait et graphisme des noms comme ceux de Florian Bertmer, John Baizley, Randy Ortiz et Thomas Hooper, ou même celui d’Ashley Rose Couture, qui se charge d’un artwork global de toute beauté.
Et c’est vrai qu’elle est belle Jane ornée de ces couleurs et de ces traits qui ne lui ressemblent peut-être pas vraiment.
Mais ce qui ressemble le plus à la vérité, c’est cet album que les CONVERGE proposent, vraiment live pour le coup, pour une seule et unique représentation qui n’aura que peu d’équivalent dans l’histoire du Hardcore. Un évènement, une épiphanie, la joie de redécouvrir encore une fois cet album qui n’en finira jamais vraiment de révéler par petites touches ses secrets inavouables.
Bien sûr, nous connaissions déjà pas mal de ses titres qui ont été joués, sur joués, et interprétés jusqu’à la nausée, mais cette incarnation intégrale présente l’album sous un nouveau jour, aussi blafard que celui de la découverte initiale, mais bien plus colérique, bien plus épidermique, et surtout, instinctif et immédiat. Les titres sont respectés, tels qu’ils doivent l’être, mais le surplus de puissance accordée par une expurgation en public les transforme en machines de guerre, en testament d’apoplexie, un peu comme si le groupe avait retenu son souffle du début à la fin, pour en mourir sans avoir manqué une seule note ou impulsion.
Vous aviez déjà pu découvrir cette occurrence en vidéo, mais la retrouver en pur audio est une épreuve de tous les instants, dont on ressort avec les mêmes certitudes qu’il y a quinze ans.
Jane Doe, Jane Live, c’est finalement la même chose, puisque ce disque incunable a été interprété en studio comme il l’aurait été en live, et qu’il reste le bloc incompressible qu’il a toujours été, encore plus densifié par la production conjointe de Ballou et Boatright.
Alors après, vous pouvez toujours vous procurer toutes les versions vinyles aux graphismes différents, la version CD à la cover unique, on s’en cogne, tout ceci n’est qu’une simple anecdote de collectionneur. Ce qu’il faut par-dessus tout, c’est écouter ce disque, vibrer avec lui, le ressentir jusque dans sa colonne vertébrale, et en ressortir avec des plaies, des bleus, avoir mal encore une fois, comme Jane a souffert en son temps.
Et finalement, la seule constatation qui s’impose, est d’admettre définitivement deux postulats. Que cet album est peut-être le chef d’œuvre absolu du Hardcore moderne, et que ce groupe est sans doute le meilleur dans ou hors de sa catégorie.
CONVERGE est un nom qu’on hurle, et Jane Doe est un pseudonyme qu’on susurre du bout des lèvres, comme un secret partagé par des millions qui n’appartient qu’à nous, individuellement.
Et Jane Live le meilleur album live de Hardcore brutal, incandescent, absolu, chaotique et indécent. Mais l’Histoire constituée de milliers de petites histoires se répète toujours. Encore et encore. Et Jane n’a pas fini de hanter nos cauchemars les plus sensuels.
Un rêve vers lequel nous convergeons tous.
Titres de l'album:
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