Norvège, Black Metal. En trois mots, tout est dit, et les images affluent dans l’inconscient. On repense aux origines, à la genèse de ce qui aujourd’hui constitue la forme de brutalité la plus incandescente et la plus froide que l’on puisse trouver sur le marché de l’extrême. Les corpsepaint, les riffs glaciaux, les rythmiques épileptiques, les vocaux infernaux. Pas besoin d’en dire plus, le décorum est encore assez vif dans les mémoires pour que ces quelques images suffisent à planter un décor. C’est comme une AOC, un gage de qualité, mais pour autant, cela suffit-il pour faire un bon disque et faire avancer les choses ?
Non, parce qu’il faut quand même aller un peu plus loin que les racines pour continuer de fédérer, puisque tous les groupes originels ont défriché suffisamment de terrain pour que les accros en deviennent exigeants. Mais pas vraiment de soucis à se faire, puisque les héritiers d’aujourd’hui ne se contentent pas forcément de reproduire les schémas des grands maîtres, et traversent les forêts en suivant leur propre chemin, tout aussi escarpé et solitaire, mais finalement, plus sombre et mystérieux. Ce qui est sans aucun doute le cas des GRAVDAL, qui depuis 2005 proposent des approches différentes, qui restent toutefois dans la lignée des meilleures productions d’il y a vingt ans. Le changement dans la continuité, ou la régularité dans le mouvement. Le meilleur des mondes, pour la meilleure musique possible. C’est en tout cas ce que semble s’évertuer à prouver ce troisième album qui ménage les époques pour les réunir en une boucle stylistique pas si crue qu’on aurait pu s’y attendre.
Kadaverin, c’est une suite en violence majeure, mais une violence souvent sourde et insidieuse, qui s’incruste en vous comme un virus lointain que le réchauffement climatique à fait fondre des glaciers. C’est aussi le tournant critique d’un troisième album qui doit voir ses critères artistiques inattaquables, puisqu’il constitue le pivot d’une carrière commencée en 2008 via Sadist, premier LP encore un peu gauche et trop formel pour bousculer l’ordre des choses. Ces choses, ces idées, il les fait avancer, comme Torturmantra le faisait en 2010, et il aura donc fallu sept années pour trouver un nouveau vecteur d’approche, ce qui garantit à ce LP toute la maturation nécessaire. Et finalement, après écoute attentive, il pourrait représenter la quintessence d’un concept qui se veut aussi attaché à la légende que désireux de s’en affranchir. A tel point qu’il redéfinit même le genre, en acceptant des influences extérieures, sans dénaturer son propos puriste de départ. Après tout, combien sont les groupes à oser pondre un pavé éponyme de plus de sept minutes, dont la brutalité se retrouve à terme nuancée de volutes de saxo sans tomber dans l’expérimental incongru ? Peu, je vous l’accorde, et en termes de prologue, « Kadaverin », le titre, évoque tout autant les SHINING que TAAKE, ou même WHITE WARD, bien que ce fameux saxo ne se conçoive qu’en termes d’accompagnement, et non d’instrument libre à part entière. Mais la surprise est de taille, et le résultat au-delà de toute espérance. Et c’est une entrée en matière/avertissement, qui prend ses précaution pour amadouer l’auditeur et le faire pénétrer une dimension parallèle, où la cruauté et la séduction cohabitent dans un ballet étourdissant de créativité et d’abnégation…
Mais le reste, les symptômes sont là. Ceux qui ont marqué les chairs du BM norvégien tel que nous l’avons toujours connu, avec ses ambiances délétères, ses guitares en expédition punitive d’un autre monde régit par une notion du temps différente, mais dénaturé d’une rythmique qui souvent épouse la lenteur et la lourdeur du Doom, et d’une basse qui ondule, qui avance et recule selon les impulsions, et de mélodies acides et acerbes qui prouvent que le quatuor norvégien a bien plus à réciter qu’un bréviaire parfait du petit misanthrope imperméable à toute progression.
Progressif, le terme est lâché, et à dessein. Et comment qualifier autrement des compositions aussi riches qu’évolutives comme « Apostler Av Doden », qui manipule le mid tempo, la syncope et les silences comme personne ? Si le nom de TAAKE (dont on retrouve l’implication de certains membres sur le LP) se trouve complètement affilié au concept, rien n’est dû au hasard tant les deux groupes partagent ce désir d’évolution, qui passe par l’utilisation de vocaux en sons clairs, et de parties de guitares emphatiques qui pèsent sur les épaules, mais qui n’empêchent pas d’avancer en terre presque inconnue. Musique lugubre et pourtant vivante, sorte d’opéra d’outre-tombe qui condamne les vivants à une expiation et une allégeance envers les forces sombres, c’est aussi le moyen le plus malin de réunir dans un même élan mortifère CANDLEMASS, BLACK SABBATH, SATYRICON, sans pour autant plagier leur inspiration la plus personnelle…
Et les morceaux défilent, cohérents entre eux, mais libres individuellement, comme ce terrifiant et dissonant « Dans Med Livet, Dans Med Doden » (« Danse avec la Vie, Danse avec la Mort »), qui en effet, célèbre autant la création que la destruction, d’un riff plus abrasif que les attaques les plus cinglantes de MAYHEM ou SHINING, et qui en adopte les mêmes inclinaisons disharmoniques, pour nous oppresser d’un beat pesant et éprouvant.
Enregistré et mixé au Mackwerk Studio de Bergen par Lord Bard, Kadaverin bénéficie d’un souffle épique comme production, qui unit le meilleur du passé à la quintessence du présent dans une fusion étourdissante de clarté et de pureté, sans pour autant nuire aux aspirations les plus sombres du groupe. Mais l’attaque et la déviance en deviennent intelligibles, et de facto encore plus efficaces, permettant à des bombes de haine comme « VI Som Ser I Morket » de résonner dans le lointain de leurs litanies étranges, presque déformées par une utilisation contre nature d’une guitare qui se refuse à jouer franc jeu, et de vocaux pas moins vicieux et soutenus par des chœurs venus de nulle part. Les blasts mêmes ne sonnent pas comme tels, mais comme des pulsations cardiaques soudainement affolées, et qui tentent de tenir le rythme vaille que vaille. Rythme polyvalent d’ailleurs, qui se permet de régulières incartades dans l’ultraviolence, mais qui la plupart du temps reste dans une mesure tout à fait dérangeante. Difficile d’en dire sans trop en dire, puisque Kadaverin joue tout autant sur l’efficience que sur la surprise, et autant vous laisser le découvrir dans son intégralité sans dévoiler le contenu de tous ses segments.
Sachez simplement que le quatuor (Eld – chant/basse, Phobos – guitare, Saur – guitare, Taakesjel – batterie) vous a ménagé des instants de grâce pure (« Eklipse »), un sublime final crépusculaire durant lequel le saxo revient s’époumoner sur quelques notes doucereuses (« Nar Noen Tar Farvel »), et surtout, leur meilleur album qui les conforte dans leur rôle de gardiens de la flamme qui regardent dans toutes les directions possibles pour ne manquer aucune option.
La Norvège, le Black Metal. L’alchimie fonctionne toujours. Et fonctionnera tant que des groupes de la trempe de GRAVDAL en pérenniseront les enseignements d’antan, qui conseillaient de ne pas se reposer sur ses acquis. Aussi conséquents soient-ils.
Titres de l'album:
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21/11/2024, 08:46
Quand on se souvient du petit son des années 80... Mais la prod ne fait pas tout, ça reste du pilotage automatique. C'est pas avec un truc pareil que je vais me réconcilier avec eux, et ça fait 20 piges que ça dure.
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NAILBOMB ?!?!?!?!Putain de merde !!! !!! !!!J'savais pas qu'ils étaient de nouveau de la partie !!!Du coup, je regarde s'ils font d'autres dates...Ils sont à l'ALCATRAZ où je serai également !Humungus = HEU-RE(...)
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