Regarder un film de David Lynch, c’est accepter que l’arc narratif ne suive pas une ligne directrice linéaire. Lire un livre de Robbe-Grillet et d’Alfred Jarry, c’est accepter que l’intrigue vous emmène dans un labyrinthe d’émotions contraires, que la logique cède le pas à la forme, que le miracle se produise à tout moment. Beaucoup de cinéphiles et de lecteurs refusent qu’on chamboule leur approche de la perception. Ils préfèrent le classicisme d’une histoire racontée avec mesure, plutôt que le bouillonnement artistique qui perturbe leur confort. Ainsi, la scène avant-gardiste des années 60, la musique concrète, Beefheart, Pierre Henry, ne trouvent grâce qu’aux yeux de ceux qui acceptent l’art comme expression naturelle et spontanée de l’humanité. Hors, tous les êtres humains ne sont pas constitués de la même façon. Certains trouvent refuge dans la normalité, d’autres au contraire préfèrent la liberté que beaucoup désignent comme de la « folie ». En prenant soin de ne pas utiliser ce terme à contresens, la véritable folie est celle de refuser la facilité d’un chemin emprunté des dizaines de fois pour choisir sa propre voie. Et depuis très longtemps, les allemands de THE HIRSCH EFFEKT ont choisi un autre chemin, un chemin de traverse, ou plutôt devrais-je dire, des chemins. Et tous ces chemins mènent à Hanovre, depuis 2009, et un premier album qui témoignait d’une excentricité musicale tangible. Trio, le groupe s’en est toujours remis à sa propre imagination pour proposer une alternative au Metal moderne, un peu trop prévisible. Ils ont en quelque sorte redéfini le terme de « fusion », un peu trop porté sur l’apport du Funk dans le domaine du Metal. Leur fusion personnelle est beaucoup plus large, et plus symptomatique d’une confrontation de l’école de rigueur allemande et de l’écurie Ipecac. On reconnaît évidemment beaucoup de choses dans leur optique, de la rigueur rythmique héritée de la scène américaine, des harmonies parfois symptomatiques d’un Schlager transposé dans un univers Post Rock, la puissance symptomatique du Hardcore le plus ténu, mais le tout, une fois assemblé, ressemble à un puzzle indéchiffrable qui pourtant une fois terminé, offre le spectacle d’un paysage inversé, mais d’une beauté trouble.
Pour ce cinquième album, le trio (Nils Wittrock, Ilja John Lappin, Moritz Schmidt) a lâché la bride d’un concept album, se permettant de fouiller dans la littérature de quoi trouver les raisons de la chute des sociétés modernes. En prenant appui sur la langue suédoise et utilisant des termes aux sonorités similaires en allemand et suédois (voire des mots appartenant aux deux langues), les allemands rendent hommage à Greta Thunberg, et s’inquiètent de notre avenir. La disparition de civilisations historiques s’applique encore aujourd’hui à la nôtre, et il n’est donc pas étonnant de constater que ce cinquième LP est assez ambivalent dans son ton. Très lumineux par moment, calme, apaisé, il a la tranquillité des conclusions qu’on ne peut que reconnaître comme évidentes. Mais il a aussi la rage et la colère des esprits qui se torturent de ne pas pouvoir enrayer le processus de fin. Et l’un dans l’autre, aussi expérimental soit-il, Kollaps et son intitulé emprunté à BREACH pourrait être l’album le plus logique, le plus cohérent, mais aussi le plus riche du collectif allemand qui reste l’une des énigmes les mieux gardées de son patrimoine, malgré des évidences mondiales qui ont permis au groupe de jouer dans les plus grands festivals. Kollaps confirmera la fascination d’une frange du public pour un groupe absolument à part dans le paysage musical actuel, et convertira même d’autres fans, sidérés par la créativité de musiciens aussi autodisciplinés que libres.
Prolongeant les travaux entrepris sur les quatre albums précédents, THE HIRSCH EFFEKT ne pousse pas le bouchon trop loin comme on aurait pu le craindre, renforce ses aspects les plus singuliers, mais garde cette cohérence improbable qui fait de leur travail une marche de funambule perché au-dessus du vide du grotesque et du ridicule. Mais les allemands évitent toujours avec brio la chute, persistant dans leur désir de brouiller les frontières de genre, et continuant d’inclure dans leur violence exubérante des éléments de Post-Rock, de Tanz Metal, de Hip-Hop même, de Pop, sans nuire au concept global. Les néophytes auront à ce stade des interrogations légitimes sur l’appartenance artistique du trio. A leur adresse, je dirais que le groupe s’incarne encore comme le point de convergence de THE DILLINGER ESCAPE PLAN, LEPROUS, Steven WILSON, CANDIRIA, Mike PATTON, OOMPH !, pour ne garder que les principaux. Un groupe de Metal progressif dans le sens le plus noble du terme, mais aussi dans le sens le plus cryptique. Progressif non dans le sens commun, avec de longues digressions autour d’un seul thème, mais dans un sens plus moderne, avec une multitude d’idées qui se télescopent prétendument aléatoirement, mais qui révèlent la logique de leur percussion une fois l’album terminé. Agissant selon les principes de la magie, les musiciens vous forcent à regarder dans une direction pour soudainement vous révéler une autre vérité, surprenante, et qui n’a pas forcément d’explication rationnelle. A l’image du magnifique « Noja », qui se permet des cassures rythmiques symptomatiques de l’approche Math Rock, avant d’offrir un déroulé final Post Rock et même Rap dans les voix. Chez d’autres, la méthode apparaîtrait trop forcée pour fonctionner, mais entre les mains des allemands, rien ne se remet en question car tout est naturel.
Perpétrant cette méthode plurielle, THE HIRSCH EFFEKT concentre parfois en quelques minutes son génie, comme sur le très CANDIRIA « Deklaration », imbrication rythmique à donner la nausée aux DEP. Mais la plupart du temps, ce sont de longues minutes qui servent à l’élaboration d’un tableau en plusieurs volets, en relief, en couleurs trompe-l’œil, qui vous dévoilent une image avant de l’effacer pour en montrer une autre. Ainsi, « Kollaps », long crescendo de plus de sept minutes n’est ni du Post Metal, ni du Rock, ni du Metal, mais autre chose, des strates de sons, des textures en grain qui évoluent au mouvement d’une mélodie épurée. « Torka » à l’opposé est indéfinissable. L’arythmie constante, les volutes vocales évanescentes, les énigmes laissées par une basse imprévisible, les reprises collégiales brumeuses nous perturbent la perception, et nous entraînent dans un ailleurs. Kollaps, comme toutes les œuvres complexes, nécessite des dizaines d’écoutes pour en appréhender toute la richesse. Cette richesse qui se cache parfois sous quelques notes, comme celles de l’intro sublime de « Domstol », ou celles nostalgiques de la transition « Moment ». A l’inverse, cette richesse se rencontre aussi en soulevant le caillou de « Kris », qui prône des valeurs jazzy pour mieux imposer la violence d’un instrumental parfaitement maîtrisé. Tout ce qui a fait la valeur de ce groupe se trouve ici une fois encore, mais travesti, transformé, recyclé sans la vulgarité des répétitions grossières. Et une fois encore, le critique aura bien du mal à rendre une copie immaculée avec une conclusion propre et nette. Il tergiversera, hésitera dans le choix des mots, parlera de OPETH en pensant à THE TEA PARTY, évoquera le futur tout en pensant au passé, et s’arrachera les cheveux en essayant de décrypter le final de « Agera ». Vous aussi, écouterez ce disque en vous demandant vraiment dans quelle case ranger cette musique extraordinaire. Et puis, face à l’impossibilité d’une catégorie trop restrictive, vous abandonnerez. Vous abandonnerez cette prétention linéaire qui consiste à tout labéliser. THE HIRSCH EFFEKT est un effet papillon traduit en musique, une seule note cristalline pouvant déclencher un orage rythmique totalement inexplicable. Tout comme l’absence de réaction d’un seul être peut entraîner la fin de l’humanité.
Titres de l’album :
01. Kris
02. Noja
03. Deklaration
04. Allmende
05. Domstol
06. Moment
07. Torka
08. Bilen
09. Kollaps
10. Agera
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Mince je l'aurais pris pour la revendre et me faire du fric sur ton dos, occasion ratée. Ceci dit je suis très fan du groupe en question.
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