Lorsque le nom d’OPETH est mentionné en amont d’une éventuelle chronique, les choses deviennent immédiatement sérieuses, spécialement lorsqu’il s’agit d’un side-project. Au vu de la créativité du bonhomme, le journaliste lambda serait immédiatement tenté de penser qu’il va traiter du cas d’un nouveau caprice en off de Mikael Åkerfeldt. Rien ne serait plus faux, le musicien donnant déjà presque tout ce qu’il a en termes de créativité à son projet officiel et une fois n’est pas coutume, c’est un des instrumentistes les plus discrets du paysage qui se met en avant, en l’occurrence le bassiste Martín Méndez. Officiant à son poste depuis 1997, Martin a donc connu les différentes époques de son groupe principal, et a expérimenté les revirements créatifs de son leader, passant du Death sourd et progressif des débuts à cette musique si pure et inventive que nous connaissons aujourd’hui. Et dans les faits, cela fait maintenant quelques années que Martin joue la quiétude et l’évolution sur son instrument, d’où ce besoin de sortir quelque chose de plus personnel et en adéquation avec ses attentes. Non que Martin soit frustré de l’orientation d’OPETH, qu’il apprécie à sa juste valeur, mais il avait envie de revenir à des sonorités plus crues. C’est donc pour cela qu’il s’était lancé en solo, baptisant son projet de sa ville natale et abordant des thématiques liées à sa culture, avant de donner au concept plus d’épaisseur et de donner corps à ce premier et très étrange album. WHITE STONES a véritablement entamé son processus créatif une fois la tournée en support de Sorceress achevée, et a profité de la liberté totale de Martin, qui avoue volontiers ne pas être un compositeur en soi, mais plutôt un chercheur en sons, qui expérimente des idées pour voir où elles peuvent le mener. Se chargeant de la guitare et de la basse pour l’album, le bassiste a fini par s’entourer d’Eloi Boucherie au chant, rencontré à Barcelone, de Jordi Farré à la batterie, et a chargé son compère d’OPETH Fredrik Åkesson de lui lâcher quelques soli. Et les liens avec OPETH ne s’arrêtent pas là, car même si la musique de Kuarahy se rapproche assez des morceaux les plus simples de l’OPETH de début de carrière, la patte latine de Méndez sait faire la différence.
Du Death Metal donc, dans l’optique suédoise mais pas que, puisque l’une des références avouées du maître d’œuvre est MORBID ANGEL, ce que l’on peut sentir lorsque le tempo décélère et écrase la grosse caisse. Doté d’une énorme production signée par Martin lui-même et soignée à Barcelone, aux Farm of Sounds, Kuarahy offre une clarté instrumentale assez atypique pour le genre, qui s’accommode généralement d’une épaisseur conséquente, et on sent les accointances nordiques même si les origines latines de Martin ne manquent pas de s’exprimer. Ce qu’on craint en début de parcours, c’est la linéarité d’un album qui semble avoir trouvé sa vitesse de croisière assez vite. Tempo martelé, chant grogné à la David Vincent/Mikael Åkerfeldt, riffs lancinants qui tirent sur le Doom, et ambiance légèrement morbide, mais allégée par un son aéré et ample. Heureusement pour nous, la moitié de l’album atteinte, d’autres perspectives nous sont offertes, et « Guyra » se nous éloigner d’un schéma trop bien établi par l’adjonction de sonorités plus fluides, de mélodies plus prononcées et d’une atmosphère progressive plus soulignée. Mais le but de Martín n’a jamais été de révolutionner le petit monde du Death progressif, juste de lui apporter sa propre touche et de se faire plaisir, et sous cet angle-là, l’entreprise est une réussite. Le bassiste se permet même des fantaisies psychédéliques discrètes, en lâchant la bride parfois et en osant des structures moins figées, comme à l’occasion du fantastique « Ashes », pas si éloigné que ça d’un VIRUS, avec son break ultrarapide et sa guitare en gimmicks ludiques.
L’un dans l’autre, aussi simple d’apparence soit-il, Kuarahy n’est pas un album si simple à cataloguer. En faisant fi de l’appellation générique du Death Metal, la musique se veut plus riche que la moyenne, et ose des soli très harmonieux sur fond de brutalité un peu anachronique. Le choix des riffs renvoie une certaine image du Hard des années 70 transposé dans un vocable plus brutal et contemporain, et on ne serait pas étonné parfois d’entendre une flûte champêtre ou un violon, sans que le projet ne souhaite se rapprocher d’OPETH. Pour être clair et laisser la Suède loin derrière, le bassiste met même les choses au point dès le départ :
« Je me sens toujours connecté à l’Uruguay. Je voulais écrire de la musique en ce sens, et le soleil sur le drapeau uruguayen s’est vite transformé en logo pour le groupe. Il y a beaucoup de petites choses qui relient l’album à ce pays. D’ailleurs, Kuarahy est le mot uruguayen pour soleil »
Du soleil, il y en a peu sur ce premier album. Mais il y a beaucoup d’ombre et de clair-obscur, ce qui permet à certaines chansons de se doter d’un parfum très VOÏVOD meets OPETH, notamment sur le brillant et syncopé « Infected Soul ». Basse en circonvolution, solo presque Jazz-Rock, background progressif à la PORCUPINE TREE, pour un melting-pot très créatif et inspiré, qui nous emmène très loin dans l’espace-temps, dans un entre-deux avec la Suède et l’Uruguay, pour un mélange de rigueur froide et de liberté moite. Une autre façon de concevoir le Death Metal, et une seconde partie de LP d’une profondeur absolue, qui nous permet d’envisager le projet sur le moyen terme, voire le long terme. Il eut été vain et stérile de la part de Martin de singer les tics les plus symptomatiques de l’OPETH de début de carrière, et ça, le bassiste la bien compris. Il a simplement joué la musique comme il l’entendait, sans se poser de question, ce qui lui permet de faire passer des plans Heavy incroyablement fluides et dissonants (« Taste Of Blood », à l’intro mi TOOL, mi DREAM THEATER), et surtout, en tant que tel, d’offrir à la basse une place prépondérante sur un disque de Death Metal, ce qui n’est pas chose courante. On apprécie aussi ces crises de folie soudaines en blasts, avec toujours ces notes graves qui virevoltent et ces cris d’Eloi Boucherie, et ces cassures qui imposent un mid tempo marqué par une double grosse caisse à la Portnoy. Pourtant, pas de problème d’égo ni de démonstration excessive, juste des capacités exploitées, et toujours les superbes interventions de Fredrik Åkesson qui a le don de placer la bonne note au bon moment.
Si la seconde partie de Kuarahy est plus variée que la première, la mise en bouche « Rusty Shell » n’en est pas pour autant inintéressante. En posant les bases génériques, le groupe s’autorise une latitude plus large, et laisse l’œuvre pénétrer vos sens pour mieux grandir en vous. Un Death totalement atypique donc, en convergence du Progressif et de l’old-school, et qui évite le piège dangereux du folklorique embarrassant. Utiliser ses racines oui, en faire l’arbre de sa créativité, non.
Titres de l’album :
01. Kuarahy
02. Rusty Shell
03. Worms
04. Drowned In Time
05. The One
06. Guyra
07. Ashes
08. Infected Soul
09. Taste Of Blood
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