Un DODECAHEDRON en géométrie, c’est une figure en trois dimensions de douze côtés pentagonaux égaux. Le genre de forme complexe qui se balade dans l’univers et qui ne révèle son intégralité qu’en de rares occasions. On pourrait voir ça comme un totem, une façon de concrétiser la complexité d’un univers mathématique, une matérialisation de l’abstraction de la perception, qui ne voit que ce que la nature veut bien lui montrer. Mais aussi, le caractère multiple d’individus qui ont choisi un mode d’expression multiple pour mieux révéler la richesse d’une base sonore que d’aucuns considèrent comme primaire.
Mais le problème est toujours le même. D’une forme primaire émerge des extensions plus complexes, et c’est la même le propre de la nature de l’homme, que cinq musiciens nous proposent de (re)découvrir avec leur second album, qui pousse encore plus loin l’analyse/démonstration du premier en mettant l’accent sur la brutalité, la densité, la puissance, et l’hermétisme.
Mais plus concrètement, un DODECAHEDRON, c’est aussi une hydre à cinq têtes, venue des Pays-Bas pour propager la bonne parole de l’avant-garde extrême, qui depuis quelques années se révèle d’une richesse incroyable et d’un potentiel sans limites.
M. Eikenaar (chant), M. Nienhuis (guitare/composition), J. Bonis (guitare/sons), Y. Terwisscha van Scheltinga (basse) et J. Barendregt (batterie) forment donc les cinq visages de cette créature. Réunis en 2011 et déjà auteurs d’un remarquable premier LP éponyme, les Hollandais par l’entremise de Season of Mist proposent donc en mars de cette année 2017 la suite de leur analyse et de leur vision cosmique et humaine, via un second effort, Kwintessens, qui en effet pourrait symboliser la quintessence même d’une pratique qui leur est propre, mais qui va quand même piocher quelques influences et variables dans les équations d’autres chercheurs de l’extrême.
Pour ceux les connaissant, ce second chapitre ne sera pas une surprise. Il reprend plus ou moins les mêmes cheminements que son aîné, en les poussant vers un absolu musical et brutal qui laisse relativement admiratif. Décomposé en huit entrées, Kwintessens se propose de faire le point sur une certaine forme d’avant-gardisme, celui-là même qui agite la scène BM depuis quelques années, et qui combine une expérience technique très poussée, à un expressionisme qui refuse toute barrière ou contrainte.
En langage simple, une façon d’adapter les vues de MAYHEM ou DEATHSPELL OMEGA à une théorie très personnelle…
Il est évident que ce second effort des Hollandais nécessite de nombreuses écoutes avant de se révéler dans sa magnificence la plus absolue. C’est un disque très complexe et touffu, qui accumule les plans, parties, riffs, et thématiques dans ce qui semble être une figure géométrique à rotation variable, qui parfois reflète la lumière comme elle peut se fondre dans une obscurité totale. Composée de cinq facettes assemblées par un prologue, un interlude et un finale, la progression Kwintessens semble se mouvoir de façon parfois erratique, mais présente une progression logique, qui met l’emphase sur la vitesse et la puissance, et offre une débauche d’énergie très difficilement canalisable, qui use sans abuser d’artifices de propulsion pour parvenir à ses fins.
Quels sont-ils ?
Atteindre une forme de paroxysme dans la démonstration de technicité mise au service d’un but et d’un élan commun, pour ne pas perdre de vue le véritable objectif. Proposer une musique effarante de violence qui pourtant présente des finesses de structures et d’arrangements assez bluffant.
On y trouve donc des traces de BM surpuissant, de BM déviant et disharmonique («OCTAHEDRON – Harbinger », qui tente quelques allusions à VOÏVOD, ou BLUT AUS NORD), de Post BM plus apaisé et mélodique, ou au contraire terriblement abscons et inquiétant dans ses pauses les plus hermétiques (« DODECAHEDRON - An ill-Defined Air Of Otherness »), quelques errances Dark Ambient pour justifier l’appellation « Dark Extreme Metal » sur le fameux « Finale », et quelques allusions à la scène batave via des points communs partagés avec les homologues de DE MAGIA VETERUM (« ICOSAHEDRON - The Death Of Your Body »).
En substance, l’incarnation même du cheminement humain transposé en bruits et en musique, pour une justification de la validité avant-gardiste, qui cette fois encore (ça devient symptomatique dans le créneau du BM) n’est qu’un moyen et non un but, et surtout, tout sauf une excuse pour justifier d’une dérive pénible et prétentieuse.
Pourtant, les DODECAHEDRON peuvent se targuer d’une certaine prétention. Celle de jouer une musique frondeuse et délicatement élaborée, en s’appuyant sur un niveau technique remarquable, sans pour autant plastronner de plans en équilibre et d’assemblages hasardeux qui finalement ne mènent nulle part. Leur logique l’est, sans conteste, et leur concept, puisqu’il faut bien lâcher le morceau, est valide, et pertinent.
Certes, si l’argument promotionnel oppose la pierre de rosette Ordo Ad Chao de MAYHEM pour situer la racine des expériences hollandaises, il serait fortement restrictif de s’y attacher complètement pour expliquer le processus de création de Kwintessens.
Même propension à placer la rythmique aux avant-postes, même inclinaison à laisser les guitares expérimenter en dehors de leur champ du possible, même approche théâtrale du chant qui sort des balises trop contraignantes du BM classique, mais après tout, ce schéma peut s’appliquer à bon nombre d’artistes qui ont décidé un jour que le Black Metal pouvait être autre chose qu’un simple médium de haine et de misanthropie, caché par un minimalisme musical trop frustrant.
Alors apprécions l’objet pour ce qu’il est. Un espace-temps différent, un vortex dans lequel les sons se mélangent pour former une nouvelle possibilité, et plus directement, un des meilleurs exemples d’un BM libre, qui ose provoquer des collisions pour créer des mondes différents.
Un deuxième album qui confirme l’énorme potentiel des DODECAHEDRON, finalement assez proches des capacités expressives des DEATHSPELL OMEGA, et qui vont vite devenir des références en la matière.
Une matrice/matière justement indéfinissable, comme le chaos d’un nouveau big-bang qui aboutira peut-être à l’émergence d’un nouveau monde dans lequel il va falloir nous apprendre à vivre.
Titres de l'album:
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