Alerté par le label angevin Antiq Records, j’abordais cette sortie avec circonspection. Non que je doute de la qualité des produits de la maison de disques, mais un effort estampillé BM composé de deux pistes de vingt minutes, avec pour figure centrale un musicien unique issu du Jazz et du Classique désirant mettre la clarinette au centre des débats, il y avait de quoi être dubitatif. D’une, parce que le BM atmosphérique/Folk/progressif peut-être une source d’ennui profond, de deux, parce que l’exercice, même réussi en appelle à une sensibilité particulière qui ne fait souvent pas partie de mon champ d’action. Mais en faisant fi des préjugés, et en occultant le fait que les cinq premiers albums du projet étaient passés sous mon radar, je me suis plongé en toute objectivité dans ce La Tavola Osca qui s’intéresse à une période très précise de l’histoire italienne. Plus prosaïquement, et pour donner quelques détails d’importance, DAWN OF A DARK AGE est un concept né du cerveau fertile de l’italien Vittorio Sabelli, originaire d’Agnone, et multi-instrumentiste accompli puisqu’il se charge de la guitare, de la basse, du chant, du saxophone, de la programmation, des claviers, et évidemment de la clarinette, son instrument de prédilection. N’ayant pas tendu l’oreille sur les cinq volets de sa saga consacrée aux éléments, projet en cinq tomes subdivisés en six morceaux, je ne saurais affirmer que ce sixième effort fait montre d’une percée ou d’une stagnation dans l’inspiration, mais pris en tant que tel et individualité, La Tavola Osca s’avère œuvre riche et passionnante, même condensée en deux mouvements seulement. Pour en résumer l’histoire et ne pas sombrer dans une masse de détails roboratifs, cet album s’intéresse au peuple des Samnites, des guerriers vivant au centre du sud de l’Italie (et les seuls à avoir humilié les légions romaines), mais aussi à la fondation de la civilisation italienne en général, et tourne autour de la légende de la tablette osque, inscription écrite en alphabet osque sur une plaque en bronze qui date du IIIᵉ siècle av. J.-C.
Vous en saurez plus en vous intéressant à la bio jointe au CD, d’ailleurs édité à cent exemplaires dans un superbe format A5 de toute beauté. La description thématique est aussi disponible sur le Bandcamp du groupe, je ne la reproduirai donc pas ici pour ne pas faire doublon. Et ce qui nous intéresse ici, c’est plutôt la musique liée à ce concept, et qui respecte les ambitions de son auteur, Vittorio Sabelli parvenant en deux fois vingt minutes à se montrer passionnant, en proposant des évolutions harmoniques et brutales fascinantes. Dans les faits, ce sixième album de l’italien respecte peu ou prou sa démarche antérieure, en offrant des constructions alambiquées mais totalement cohérentes, laissant cohabiter la brutalité d’un Black Metal vraiment dense, et la mélancolie champêtre d’un Folk délicat et ciselé, le tout sous couvert d’une narration rappelant les chansons de geste. Durant tout le métrage, nous suivons donc les différents épisodes de cette saga racontés d’une voix grave et posée, toujours soulignée et accompagnée d’une instrumentation superbe, à base de clarinette, de piano, de claviers, de percussions, pour un résultat parfaitement dépaysant, offrant parfois des moments de dualité entre bestialité et dextérité qui rappellent les instants les plus furieux de John Zorn, sauf qu’ici la confrontation a lieu entre le Folk et le BM et non le Jazz et le Grind. Mais certains segments instrumentaux peuvent quand même être reliés au Jazz justement, lorsque la clarinette et la guitare s’opposent à une rythmique puissante et rapide, et le résultat obtenu, tout en décalage, est d’importance.
Ce qu’il y a à savoir de fondamental au sujet de cette réalisation n’est pas qu’elle est unique, chose évidente, mais captivante, et réellement efficace. On est immédiatement embarqué dans cette histoire - que l’on s’y intéresse ou pas d’ailleurs - et malgré un timing étiré de quarante minutes pour deux morceaux, le temps n’est jamais long tant les épisodes mélodiques et rythmiques plus ou moins longs se multiplient de façon très diversifiée. Le seul écueil à passer reste la voix parlée de Vittorio Sabelli, intervenant à intervalles réguliers, et qui pourra rebuter quelques auditeurs éventuels. Mais si on s’accommode de ce modus operandi, on découvre un instrumental d’une richesse incroyable, avec des passages dignes d’un drame italien historique, sans que le tout en sonne cliché ou cheap. La production, très ample sert admirablement bien le propos, spécialement sur les passages les plus mélodiques, les inserts BM souffrant quelque peu d’une légèreté pas toujours à propos. Mais loin d’un simple gimmick, cet album est une véritable œuvre, et l’apport d’intervenants extérieurs dont la voix superbe d’Emanuele Prandoni (ANCIENT, ANAMNESI, PROGENIE TERRESTRE PURA, SIMULACRO) enrichit encore plus les textures, comme en témoignent les premières minutes dramatiques du second mouvement. Les doutes encore tenaces au départ de l’aventure s’estompent donc face au brio développé par le musicien italien pour agencer ses longues compositions, et si de mon propre avis, les parties les plus classiques représentent le réel intérêt de la réalisation, les montées en puissance BM sont intelligemment placées pour ne pas sonner trop incongrues, mais n’incarnent pas l’essence même du projet.
C’est donc un sixième album qui en appelle à la sensibilité de chacun, et il est relativement difficile de le recommander à un quelconque public. Sans doute trop mélodique et traditionnel pour une audience purement Black, trop expérimental pour les fans de musique immédiate, il s’adressera à tous ceux dont l’esprit est resté assez ouvert pour supporter un mélange de sonorités classiques, médiévales, Folk et Metal. Mais il est impossible de nier que l’atmosphère de l’œuvre est vraiment hypnotique, et que le voyage musical est magnifique. Sans oublier de parler de la somme de travail proposée par Vittorio Sabelli, qui depuis 2014 est capable de proposer de tels travaux avec une régularité hallucinante. Une œuvre rare, dans tous les sens du terme.
Titres de l’album :
01. La Tavola Osca (I Atto)
02. La Tavola Osca (II Atto)
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