La Vie la Pute
C’est sans doute un peu péremptoire, et les anglais ont une formule plus soutenue pour ça : life’s a bitch, and then you die. Mais ça a le mérite d’être clair, et finalement, très vrai. Dans Se7en, David Fincher citait Ernest Hemingway via Morgan Freeman, et nous assénait la vérité suivante :
Le monde est un endroit merveilleux, qui vaut la peine qu’on se batte pour lui. Je suis d’accord avec la deuxième partie.
Gageons que notre chère Hikiko Mori ne pourrait que valider ce postulat littéraire, en forme de pensée sur une existence de plus en plus difficile à vivre. Mais heureusement pour nous, les BAD TRIPES n’ont pas changé leur crochet d’épaule : leur musique est toujours aussi explosive, juvénile, subtilement provocante, mais terriblement humaine dans le fond. Je pourrais même aller plus loin, et ce, dès le début de cette chronique : La Vie la Pute est sans conteste le meilleur album de la bande, une suite que nous attendions depuis plus de cinq ans et les éclaboussures de sang des Contes de la Tripe.
Le groupe a distillé les teasers via sa campagne Ulule, nous gratifiant avec beaucoup de fourberie sans Scapin d’un clip plagiste entre juilletistes et aoûtiens. « La Madrague des Macchabées » présentait un collectif amusé et amusant, mais en fouillant un peu dans le texte en question, on découvrait une noirceur en filigrane qui est l’apanage de la plume de cette chère Hikiko, philosophe/dessinatrice au charbon des temps modernes, qui pose toujours un regard plein d’acuité sur l’actualité.
Je guetterai la fin du monde
Allongée nue dans un transat
Jusqu'à c'que ma peau dorée fonde
Sur mon squelette d'ocre et d'albâtre
Pas vraiment réjouissant, ni annonciateur d’un gigantesque plat d’oursins servi sous cloche d’argent. Mais les BAD TRIPES ont toujours incarné cette sacro-sainte opposition lumière/ténèbres, et leur Punk/Horror/Shock/Cartoon Rock s’est affiné avec le temps, pour devenir un Metal plus franc, parfois robotique, toujours frénétique, et générateur de sensations épidermiques. Et après une, deux, trois - nous irons au bois - écoutes, La Vie la Pute se révèle sans fard ni perruque, et passe aisément du statut d’amateur éclairé à celui de mateur acclamé. Le groupe a encore franchi une étape, et une sacrée, de celles qui vous collent le maillot à pois sur la peau, et qui vous font radiner au son de l’appeau.
Si les précédents albums laissaient parfois place à une légèreté un peu facile, ce quatrième album est d’une perfection hallucinante. Les pistes proposées par les musiciens sont multiples, les couleurs nombreuses, et les humeurs ténébreuses. Outre le single déjà connu, BAD TRIPES profite d’une production exemplaire pour se concentrer sur sa passion cinématographique, et évoquer Franju, mais du point de vue de sa créature. Ce qui nous donne un joli jeu de rôles pour le joli jeu de jambes vocal d’Hikiko, qui table sur l’horreur pour mieux se dévoiler dans toute sa fragilité, qui finalement, est sa plus grande force.
Véritable petit frère des RITA MITSOUKO façon bordel de Mme Louise, BAD TRIPES ose les tonalités Indus des allemands qui paradent en uniforme parmi les belles de nuit, le Slam/Rap noir comme la suie d’une cheminée mal ramonée, et le title-track de nous prendre tous à rebours de son phrasé à la Arm des irremplaçables PSYKICK LYRIKAH, délire organisé en mode post-confinement, la tristesse en bas qui plissent et les regrets en bigoudis fantaisie. Mais la vision de cette existence terrifiante est encore une fois teintée d’amour, cette relation amour/haine que le groupe prône depuis sa création et qui découle souvent sur une poésie crue, mais terriblement attachante :
Tandis que je pleurais dans les bras chauds de ma maman
L'évidence m'a frappée : la vie est une pute
Si le côté branquignol de cour des miracles a pu nous séduire sur les œuvres précédentes, il laisse la place ici à un professionnalisme qui laisse des traces. En onze morceaux, BAD TRIPES joue le hat-trick, et évite les fillers avec une facilité déconcertante. L’énergie est une fois de plus incroyable, comme si prendre sa revanche sur le destin était devenu le carburant d’un Techno-Punk Metal affolé et affolant (« Schlass et Paillettes » qui rappelle MY RUIN, MAID OF ACES, Mylène Khaski et Arielle Dombasle en mode sortie de douche trop froide). Parlant des arrangements, qui constituent ce tapis de luxe posé sur un parquet en noyer, entre claviers ludiques et cassures lubriques, et « Afro Girl », « Brûle-moi si tu Peux » de se déguiser en courts-métrages pour les oreilles, avec boîte à musique, riffs tranchés dans l’acier, et ambiance grandiloquente de foire à la paille entre deux manèges à faire hurler de peur.
BAD TRIPES nous dépeint donc un monde exsangue, triste à mourir, et manquant de panache dans son agonie. « Apocalypse Now », plus proche d’un NTM enragé que d’un Francis Ford Coppola dégriffé nous parle ainsi de cette réalité blafarde que nous avons tous vécue derrière nos persiennes, et trouve une fois encore les bons mots pour décrire une situation inédite.
Moi qui rêvais d'incendies, d'un déluge lors d'une éclipse
Comme elle triste, l'apocalypse !
Mais heureusement pour nous, les sudistes nous proposent une alternative valable, entre cabaret d’Armageddon et cabinet des curiosités tragi-comique. Celui de boulevard n’a pas sa place ici, et l’amant a depuis longtemps quitté son placard pour faire son coming-out musical. « Supermasochiste » et ses clins d’œil à DIABLO SWING ORCHESTRA et STOLEN BABIES, « La Cadavéreuse », comptine branque et flippante qui t’empêche de dormir entre papa et maman qui se font la gueule, et « Valya », soixante-dix-huit tours bondissant nous accompagnent vers la sortie, pour admirer le triste spectacle d’une humanité en pleine Jean-Michel Aphatie.
BAD TRIPES regarde la vie à l’envers, entre ses jambes, et rend hommage aux Merry Pranksters, Gaspard Noé, Poly Styrene, tout en restant farouchement indépendant. Alors oui :
La Vie la Pute
Mais une pute fardée, fatiguée, qui de temps à autres se souvient qu’elle sait très bien faire les bouffardes pour presque rien.
Titres de l’album :
01. La Madrague des Macchabées
02. Les Yeux Sans Visage
03. La Vie la Pute
04. Schlass et Paillettes
05. Afro Girl
06. Brûle-moi si tu Peux
07. Apocalypse Now
08. Jusqu'à la Lie
09. Supermasochiste
10. La Cadavéreuse
11. Valya
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