Fut un temps où le Heavy Metal britannique régnait sur l’ensemble du monde. Une époque très lointaine aujourd’hui, séparée de nous de presque quarante ans, mais qui a plus ou moins défini les orientations modernes d’un Hard-Rock qui avait jusqu’à lors du mal à faire le deuil de 70’s un peu trop libres. Loin de moi l’idée de vous encombrer d’une hagiographie de la NWOBHM, puisque vous en connaissez la légende tout aussi bien que moi. Mais force est de reconnaître qu’après deux ou trois années de suprématie sans partage, le Rock anglais a fini par marquer le pas, laissant sur le bord de la route ses héros d’hier (SAXON, TRESPASS, SAMSON, ANGEL WITCH et tant d’autres), pour laisser ses plus vaillants conquérants américaniser leur son histoire de rester sur le toit du monde (DEF LEPPARD, IRON MAIDEN, JUDAS PRIEST). Ainsi va l’évolution, et la demande de marché, mais inutile de tourner autour du pot. Sans ces groupes-là, le Heavy à l’américaine n’aurait sans doute jamais vu le jour sous sa forme connue, et lorsqu’un nouveau groupe décide de se replonger dans cette période bénie sans à priori, et surtout, sans opportunisme, il convient de l’honorer de de le mettre en avant, surtout lorsqu’il vient lui-même de la zone géographique concernée par cette nostalgie. Les ELIMINATOR n’ont donc rien à voir avec le Boogie synthétisé des ZZ TOP, mais partagent bien des points communs avec la scène anglaise de l’orée des eighties, qu’ils s’évertuent à faire renaître de sortie en sortie, jouant crânement sa carte sans crainte des comparaisons. Formé dans les années 2000, le quintette de Lancaster (Jamie Brandon - basse, Dave Steen - batterie, Jack MacMichael & Matthew Thomas - guitares, et le petit nouveau, Danny Foster - chant) aura donc dû patienter jusqu’en 2018 pour enfin nous offrir un LP complet, distribué en CD par le label national Dissonance productions. Enregistré au studio Skyhammer par Chris Fielding, et profitant d’une splendide pochette signée Simon Parr, Last Horizon nous offre donc un panorama exhaustif de sonorités d’un passé pas si éloigné que ça.
On pourrait croire qu’une fois encore, la nostalgia est passée par là, et il serait difficile de le nier, même si l’approche du quintette se veut résolument ancrée dans son temps. Ne représentant pas qu’un simple old-school act de plus, ELIMINATOR pourrait s’envisager comme la réincarnation du JUDAS PRIEST le plus ambivalent (celui de l’entre-deux décennies) et du MAIDEN le plus progressif, tout en s’autorisant quelques clins d’œil discrets à la vague sud-américaine des ANGRA, sans tomber dans l’emphatique ou le lyrique. Il n’est question ici que de Heavy Metal de tradition, celui qui réchauffe le cœur de ses riffs francs et de ses rythmiques simples, et qui nous avait convertis à la cause il y a plus de trente ans, faisant de nous ce que nous sommes aujourd’hui. S’il est certain que les plus âgés d’entre vous seront sans doute le public cible de ce premier LP, la jeune garde pourra être séduite aussi par les sonorités subtilement progressives du quintette, qui en Danny Foster aura trouvé son frontman idéal. Après avoir perdu leur ancien vocaliste, les anglais ont eu bien du mal à lui trouver un remplaçant, jusqu’à ce qu’un jeune fan du groupe propose ses services (ce qui rappelle une autre histoire de Ripper sans Jack d’ailleurs…), et séduise le quatuor restant de ses inflexions pleines de passion, qui justifient à elles seules l’oreille attentive que vous pourriez accorder à un album aussi sincère que luxuriant. Se proposant de synthétiser toutes les tendances d’un HM varié, les ELIMINATOR parviennent à se démarquer de leur cohérence diversifiée, et multiplient même les allusions au THIN LIZZY le plus dur, via cet évolutif « Echoes », qui ne se prive pas pour autant de citer Rob, K.K et Glenn dans le texte, tout en adoptant une rythmique échevelée à la Clive Burr/Steve Harris histoire de rester les deux pieds en eaux troublées. On sent que les gamins (plus tant que ça en fait) connaissent leurs classiques sur le bout des doigts, et qu’ils sont tout aussi capables d’innover que de respecter, ce qui confère à ce premier LP un délicieux parfum rétro qui n’en fait jamais trop. Et dès « 2019 », choisi pour être illustré d’une vidéo, le ton est donné, et le vent est chaud. Après une intro digne du meilleur MAIDEN, le quintette développe de beaux arguments d’époque, et nous convainc de sa démarche, s’écartant parfois du chemin pour suggérer des accointances US plus ou moins prononcées (LEATHERWOLF, FIFTH ANGEL).
Sans révolutionner le petit monde cloisonné du Heavy, les cinq anglais tracent leur chemin dans les dédales de leur mémoire, et multiplient les moments héroïques, qu’ils agrémentent de tierces, de riffs d’airain, et de soli malins, pour nous replonger dans un contexte loin d’être périmé (« The Last Horizon », avec encore une fois ce chant si flamboyant). Travaillant les mélodies pour les faire adopter les contours d’un Hard Rock truffé de petites trouvailles harmoniques, et utilisant toutes les armes à leur disposition (arpèges, breaks apaisés, soudaines reprises enflammées), les originaires de Lancaster se permettent de défier les suédois sur le terrain du vintage probant, leur damant même le pion lors de segments encore plus convaincants que la moyenne (« Procession Of Witches », titre Sabbathien au possible, mais ambiance MAIDEN de Piece Of Mind garantie). Tout est fait pour qu’on y croie, et lorsque l’ambiance change au point de se parer d’atours purement Hard-Rock, on trépigne de joie et sautille de foi à l’écoute d’un diabolique « Edge Of A Dream », ou d’un très SAXON « Pride and Ruin », qui s’agite d’un motif de guitare classique, mais méchamment accrocheur. Et en bon historien musical, le groupe ne refuse pas une bonne avancée évolutive, via le progressif final « Spoils Of An Empire », qui pendant presque huit minutes se pose en résumé idoine d’une époque d’explosion créative. Rythmique en procession, guitares à l’unisson, pour un baroud d’honneur qui donne le frisson, et qui ramène à la surface de la mémoire nos premiers émois décibelliques. On s’y croirait, mais si l’exercice est rondement mené, il ne se contente pas de recycler des plans clichés pour s’affilier à une mode, mais propose de véritables chansons à l’emphase bien dosée, ne sacrifiant jamais à l’efficacité. Direct, mais intelligent, percutant mais modulant, ce Last Horizon est une révérence le genou plié, mais pas une recherche d’adoubement forcé. Bien loin des tics les plus irritants de la vague scandinave, il se conforme aux us et coutumes passés de son propre pays pour prouver qu’ils sont toujours d’actualité. Une belle démonstration de force tout en finesse, et surtout, un disque magique qui se permet d’imiter, sans copier.
Fut un temps où le Heavy Metal britannique régnait sur l’ensemble du monde. Un temps que les moins de vingt ans n’ont pas pu connaître, mais qu’ils pourraient retrouver par procuration, pour l’avènement d’un nouveau règne qui ne tient pas forcément du fantasme.
Titres de l'album:
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