Légitimer une appartenance à un clan en arguant de certains éléments dérisoires est aussi futile que de rejeter l’évidence d’une progression qui se lit comme la vérité sur le sourire d’un enfant. La problématique n’est pas vraiment cruciale, et pourtant, le point soulevé loin d’être anodin. Et désolé, mais j’ai de plus en plus de mal à affilier les poitevins de KLONE à une quelconque forme de Hard Rock ou de Metal, et ce depuis plusieurs années. Non par élitisme, jugeant leur musique trop « intelligente » pour être encore liée par des chaines d’acier, mais par simple logique, leurs derniers albums s’éloignant de plus en plus du spectre trop précis de la violence instrumentale pour s’approcher de plus en plus près de la quiétude musicale. Ceux qui connaissent bien le groupe - et ils sont de plus en plus nombreux - verront de quoi je parle et approuveront mes propos. Comment rattacher Here Comes The Sun à autre chose qu’une forme très précise et fragile de Rock Progressif, ce fameux Post Rock dont se gargarisent les critiques depuis la fin des années 2000. Alors, pour rendre les choses plus simples et éviter les querelles inutiles, tranchons dans le vif. KLONE joue simplement une musique riche, et qui finalement, se rapproche de plus en plus de celle d’un autre groupe qui a récemment déclenché les passions, TOOL. Car malgré les dissemblances et les auras différentes, les deux entités ont une optique assez similaire, travaillant les textures pour empiler les couches, laissant respirer les mélodies pour ne pas les étouffer sous la technique ou la banalité, et cette volonté d’emmener l’auditeur plus loin, dans des pays harmoniques pas si imaginaires que ça, et surtout, retrouver l’impulsion primale d’un art : provoquer des sentiments, les suggérer, dessiner un ailleurs qui pourrait tout aussi bien être ici si nous en avions conscience. Je déteste d’ailleurs utiliser des tournures ampoulées pour décrire ce Grand Voyage. Je m’attacherai donc à des mots simples, mais pas vulgarisateurs : l’œuvre mérite de la simplicité, mais aussi de la sincérité.
Après une parenthèse acoustique qui a offert une transition parfaite entre les deux tomes, Le Grand Voyage poursuit le chemin, avec une facilité qui laisse admiratif. Malgré ses trois années de conception, l’album sonne frais, ambitieux mais compréhensible par tous, pour peu que l’auditeur soit doué de sensibilité. Travaillé avec l’aide de Francis Caste des studios Sainte Marthe à Paris, qui a étroitement collaboré avec Guillaume Bernard, le guitariste du groupe, ce sixième chapitre des aventures du groupe se permet une double projection. Vers le passé plus Rock du groupe, et vers un avenir qu’on pressent des plus riches et aventureux. S’il ne sonne pas étranger au regard de la production du groupe, il offre une complexité renouvelée dans l’agencement des structures, louchant parfois vers la violence larvée des HYPNO5E (« The Great Oblivion »), tout en suggérant une allégeance à la scène Néo Progressive des PORCUPINE TREE et autres Steven Wilson. Néanmoins, et aussi littéraire soit le voyage, il reste à la portée de tout le monde. Les critiques ont beau s’acharner à coller l’étiquette encombrante de « Art Rock » dans le dos des musiciens, il n’est pas question ici de condescendance malheureuse, mais bien de beauté harmonique qui transcende les clivages, et unit les publics. Le noyau dur du groupe s’est donc recentré sur ses désirs, et pour la première fois, Morgan Berthet a enregistré ses parties de batterie en studio, validant six ans de présence scénique aux côtés de ses frères d’arme. Nous retrouvons donc un double trio (Aldrick Guadagnino & Guillaume Bernard: Guitares, Jonathan Jolly: Basse, Matthieu Metzger: Saxophone, Samples, Morgan Berthet: Batterie et Yann Ligner: Chant), qui une fois assemblé, peint une toile qui peut évoquer des paysages fantasmagoriques, mais aussi une allégorie : c’est dans les ténèbres de son âme que l’on trouvera la pureté de son cœur. Et en signant avec le label anglais Kscope, les musiciens ont fait le bon choix. Cette introspection sera défendue avec la plus grande pugnacité, la maison de disque croyant fermement au talent de ses poulains.
Mais comment en douter en écoutant ces compositions, ces guitares en écho, toujours claires, cette basse qui adopte des circonvolutions serpentines, ces harmonies éthérées planantes, et surtout, ce chant incroyablement puissant de Yann qui évite le piège de la grandiloquence et du vibrato un peu trop forcé, et qui pose ses lignes avec une délicatesse rare…Tout est bien sur évident dès « Yonder », qui de son orage introductif nous prévient du déchainement des éléments à suivre. Une guitare apaisée parmi le fracas des éclairs et du tonnerre, et puis cette voix sublime qui émerge de nulle part, comme le fantôme de Steven Wilson errant dans les couloirs d’un songe éveillé. Tout se met en place progressivement, le riff électrique et légèrement distordu, mais aussi l’évolution toute en douceur qui va définir les grandes lignes de cet album. Sans trahir leurs derniers efforts, les instrumentistes vont aller plus loin que toute la route entreprise jusqu’à lors, et nous délivrer un message simple : la musique est universelle, seul langage avec les mathématiques à être compréhensible de tous, à parler directement sans détour, et chaque morceau de ce sixième longue durée va s’acharner sans prosélytisme à conforter ce postulat. Si les atours sont classiques, on remarque une attention toute particulière portée aux arrangements et spécialement aux chœurs, qui sonnent plus célestes qu’une psalmodie du Dalaï-Lama sur le toit du monde. Et l’affiliation avec leur label anglais leur permet donc de se frotter à leurs pairs, et le mot n’est pas trop fort, les ANATHEMA, THE PINEAPPLE THIEF, TESSERACT, Steven WILSON, KATATONIA, ULVER, ces confrères dont la philosophie est la même. Traiter la musique comme un langage avant de le considérer comme un art majeur, et transformer « Breach » en message. La brèche, la rupture sont en vous, il suffit de les accepter et de s’y glisser pour pénétrer les arcanes d’un monde différent, plus paisible, mais tout aussi concret que la réalité.
Sans aller trop loin, sans tomber dans le radotage instrumental, KLONE a considéré cet album comme un tout, ensuite divisé en pistes scindées. Mais ne vous y trompez pas, sans être un concept, Le Grand Voyage à un dessein générique, prendre une thématique, travailler une mélodie sur la durée, pour la voir muer, et se transformer au fil de l’inspiration. Alors, on utilise tout, le picking, les arpèges, l’écho, le delay, les sons qui se répercutent, les notes qui se croisent sans se perdre, les interventions individuelles et la cohésion d’ensemble, les volutes magiques de saxo, les percussions qui imposent leur cheminement (« Keystone »), les inflexions 80’s qui colorent de néon la lumière du soleil (la profondeur du son n’est pas sans évoquer parfois les productions de Daniel Lanois)…Le parallèle avec TOOL, un peu en forme de gimmick, n’occulte pas non plus les liens possibles avec OPETH, mais en définitive, ce Grand Voyage est celui d’un groupe unique, seul dans sa catégorie, qui se partage entre initiés, comme un secret d’alcôve qui ne doit pas le rester, et qui doit se transformer en mantra global. Car le plus grand des voyages est celui qu’on accomplit seul ou accompagné, et qui relie la naissance au trépas. La vie en somme. Voilà, la réponse est là, cet album est vivant. Et grandira en vous comme l’idée ultime que l’existence aussi cruelle soit-elle, est le plus beau cadeau que l’on puisse apprécier.
Titres de l’album :
1. Yonder
2. Breach
3. Sealed
4. Indelible
5. Keystone
6. Hidden Passenger
7. The Great Oblivion
8. Sand And Slow
9. Silver Gate
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