Signé par les Acteurs de l’Ombre depuis son split avec TIME LURKER, CEPHEIDE profite aujourd’hui d’une structure respectée pour diffuser son travail, après un premier album autoproduit lâché en 2017 et baptisé Saudade. CEPHEIDE est un peu l’archétype du one-man-band comme on en trouve tant dans le Black Metal, genre misanthropique s’il en est. Une créativité personnelle, un monde ne l’étant pas moins, et une proposition de voyage dans des espaces moins confinés pour découvrir un univers sombre, mais étonnamment coloré et strié de rais de lumière. Pour qui connait Gaetan Juif, et ses nombreux projets (BASILIQUE, BAUME, ou les plus anciens et défunts RANCE et SCAPHANDRE), CEPHEIDE n’est rien de plus qu’une continuité logique de travaux antérieurs, et l’affirmation d’une philosophie artistique bien ancrée dans le cœur des fans : utiliser tous les codes du Black moderne pour le pousser au-delà de ses dernières limites.
2021 est donc l’avènement de CEPHEIDE, qui avec Les Echappées s’évade justement d’un cadre trop restrictif pour explorer, et ramener des souvenirs en traces de nouvelles civilisations musicales. Seul aux commandes, unique compositeur et auteur, Gaetan a donc totale latitude pour élaborer ses structures, et se permettre des choses que peu de musiciens expérimentent. Cette guitare trop fifties pour être honnête soulignée par un beat pataud sur « L'ivresse », suggère par exemple avec beaucoup d’acuité cet état léthargique précédant l’enivrement total, lorsque la réalité et le fantasme se mélangent, et que les langues se délient dans l’alcool. Difficile de croire qu’un concept BM puisse proposer de telles sonorités, mais tel est le gage de liberté proposé par Gaetan : n’admettre aucune limite, ne supporter aucune entrave, et jouer avec les mélodies et les sons pour élaborer des strates complexes, qui s’empilent de façon si dense que le chant et les claviers s’en retrouvent relégués au second plan.
Composé de six chapitres de durées variées, Les Echappées en est une belle, et se pose comme la bande-son idéale d’un film cosmique explorant de nouvelles galaxies pour en ramener l’essence d’intelligences supérieures. Celle de ces compositions leur permet d’atteindre des sommets d’intensité dans la nostalgie, cette nostalgie qui s’exprime au travers de mélodies tournoyant et brûlant comme des étoiles, et quelques nappes de claviers discrètes, qui s’agitent en arrière-plan comme des satellites.
« Le Sang » pose les bases, mais chaque titre adopte la thématique de ses textes. Inutile donc de craindre un long soliloque stérile et egocentrique de plus de quarante minutes, puisque les humeurs sont diverses et complexes. Entre une programmation créative qui accepte des rythmes étranges et surtout, un son presque analogique, une guitare en mode prétexte, et une épaisseur digne des arrangements wagnériens d’EMPEROR, CEPHEIDE réconcilie le Symphonique, le Post, mais aussi l’atmosphérique, son terrain de jeu préféré, et le BM plus classique des années 2010. Tout à fait à sa place dans l’écurie LADLO, Gaetan s’en remet donc à son imagination sans la brider, et impose des partis-pris très personnels dans le mixage et l‘agencement. Impossible de ne pas craquer pour ce rythme improbable, qui taquine l’Industriel le plus froid mais aussi le Rock le plus déstructuré, et pour cette voix s’époumonant dans le lointain en mode « dernier appel avant l’apocalypse ». Et si apocalypse il y a, elle se fera au son de cette démence musicale qui accepte totalement son absence de retenue.
« L'oubli » change immédiatement de braquet, et nous rappelle la scène alternative des nineties, comme l’écurie 4AD la plus obscure, tout en multipliant les clins d‘œil aux références Cold Meat Industry. Toujours sur la brèche, Gaetan pique les guitares traumatisées des héros underground de la vague anglaise des nineties, mais les torture de blasts parfaitement déments qui donnent à l’ensemble des allures d’explosion en plein vol. On se dit même qu’à un moment donné, un saxo époumoné va faire le lien avec le Jazzcore, ou qu’une brisure contemplative va faire baisser la pression pour nous couper le souffle.
Donc, des surprises, une musique vivante, bouillonnante même, qui passionne, mais interroge :
Quels sont ces univers que CEPHEIDE explore pour en ramener des stratégies aussi étranges ?
« Les Larmes » répond à sa façon à cette question légitime, mais bouscule encore plus pour atteindre l‘intensité d’un Black norvégien des années 93/94. Si le lien entre les différents segments est évident et se trouve caché dans les itérations et les mélodies jumelles, c’est l’intérieur des morceaux qui prend par surprise, avec des cassures logiques mais pas forcément là où on les attendait, des silences qui tombent comme une nuit trop précoce, et quelques petits gimmicks comme cette guitare qui ne parvient pas à s’imposer autrement qu’en attendant la rupture de l’équilibre pour enfin laisser le calme s’exprimer.
« Les Cris », toujours aussi porté sur la véhémence, commence sur un beat décalé, avant de nous écraser d’une messe en outrance majeure, durant laquelle tous les instruments se fondent dans un unisson de violence cru et outrancier. Mais une fois encore, quelques pauses salvatrices nous évitent l’asphyxie, et c’est le final « La Nausée », qui suggère Sartre, et qui finalement représente l’acmé d’un album aussi ambitieux que la découverte d’un nouveau système solaire.
Guitare laidback en fond sonore, longue intro qui se fond dans un lyrisme grandiloquent et opératique, pour une lente et longue marche vers un ailleurs. Gaetan pousse tous les curseurs dans le rouge, exagère tout, augmente le niveau sonore, et se propose de nous dévoiler son monde intérieur, entre violence crue et romantisme spatial. Travail personnel, et unique donc, Les Echappées nous entraîne en terre inconnue, et en espace infini. Une façon d’entrevoir quelques possibilités pour que le Post Black ne sombre pas dans les affres du Blackgaze et ne se perdre pas dans des constellations mélodiques trop lointaines pour vraiment intéresser.
Les étoiles sont particulièrement brillantes ce soir. Certains sont déjà mortes au loin, d’autres naissent. Ainsi, va le cycle de la vie, mais l’étoile CEPHEIDE se consumera encore longtemps de sa propre folie.
Titres de l’album:
01. Le Sang
02. L'oubli
03. L'ivresse
04. Les Larmes
05. Les Cris
06. La Nausée
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