« J’ai pour cachot l’enfer de souvenirs les plus lourds, aux barreaux corrodés par la rouille et le sel, secrété dans des nuits où tout semble sourds, hormis le feulement des spectres de mes grêles »
Un groupe qui vous accueille avec un tel vers ne vous veut pas QUE du bien. Mais il y a déjà longtemps qu’une assemblée secrète de fans essaie de percer le mystère artistique de BLURR THROWER, entité démoniaque et misanthrope née en 2014 du côté de Paris. Ce genre de one-man-band qui n’accepte la musique que comme moyen d’expression, et qui aurait tout aussi bien pu prendre la forme d’un écrivain, d’un peintre, ou d’un spectateur désabusé d’une réalité cruelle. Et trois ans après le premier cri janovien de la bête sur le terrassant Les Avatars du Vide, abordé en ces colonnes, le projet revient, en presque longue-durée cette fois-ci, avec un tracklisting doublé, mais une approche tout aussi cruelle et assourdissante. L’artiste s’amuse même de sa condition en mettant le terme Atmosphérique entre parenthèses, comme s’il n’était pas dupe de cette dénomination. Et pour abonder en son sens, Les Voûtes n’est PAS un album de Black Metal atmosphérique, du moins, pas dans le sens ou la masse grouillante l’entend. BLURR THROWER n’est qu’un haut-parleur de douleur, une façon d’exorciser ses démons en laissant les cris les plus glaçants s’échapper, mais en acceptant aussi que la lumière des mélodies et des arrangements perce les barreaux de la prison mentale.
Dans une chronique antérieure, positive évidemment, j’évoquais les noms de WEAKLING, FELL VOICES, ASH BORER, TIME LURKER, ou PARAMNESIA. Mais en trois ans et autant de silence, le concept a évolué, et s’est dégagé de ses obligations d’influences. Aujourd’hui, l’homme qui se cache derrière ce projet assume totalement sa folie et nous en propose un voyage dans les méandres de son esprit pour tenter d’en dénouer l’écheveau. Mais à l’image de Pénélope, déconstruisant son ouvrage chaque nuit pour le recommencer le lendemain, BLURR THROWER construit des structures mouvantes qui ne sont viables qu’à un instant T : celui de la composition, et de l’écoute par l’auditeur. Une fois assimilés les préceptes, l’humeur change, et les opinions aussi. C’est pour cela que la compréhension artistique du projet est trop complexe pour être affiliée à un genre bien particulier. Les esthètes soi-disant précieux parleront de Post Black apocalyptique, les plus engoncés dans leurs certitudes d’un chaos à peine organisé, et les esprits libres, d’un voyage intérieur, une introspection nous obligeant à revoir nos propres conceptions de la musique extrême. Il n’y a pourtant rien de nouveau, ou vraiment nouveau, dans l’univers proposé par Les Voûtes, ce second album que l’on attendait de neurone ferme. La musique est toujours cette hésitation entre plages d’un calme relatif et explosions de haine, et les pistes témoignent d’une liberté d’expression totale, comme si l’auteur laissait sa douleur prendre la plume à sa place. Et dire qu’il souffre est un euphémisme, tant ce second chapitre pousse les névroses encore plus loin que le premier.
« J’ai pour seul décor une gigantesque araignée, prenant nœud d’un cosmos de gros clous du passé, s’extrayant des murs, des cloisons capitonnées, sur lesquels je m’empale quand je tente de bouger »
L’ambiance est froide, la solitude est la maîtresse de notre compositeur, et cette fameuse prison est celle de son esprit, qui refuse de s’extirper de sa condition. L’ironie de cette pochette florale est donc patente dès les premières secondes de l’effort, qui n’en fait absolument aucun pour nous rassurer. Dès la première minute, nous retrouvons ce son si compact et viscéral qui traite les guitares comme des fils barbelés serrant notre gorge, et qui laisse la rythmique adopter des blasts qui semblent être le seul rythme adéquat. La voix encore une fois enterrée dans le mix hurle son mal-être jusqu’au poste de garde, et lorsque les cris atteignent un niveau paroxysmique de terreur, les arrangements mélodiques interviennent, rappelant le BURZUM des premières années, mais aussi un NEUROSIS encore plus maladif que d’habitude. De là, les étiquettes n’ont aucune utilité, ou alors sur les tubes de médicaments qui ne servent plus à grand-chose depuis longtemps. Symphonie de folie et d’effroi à rendre les albums de STALAGGH et SILENCER recommandables et curatifs, Les Voûtes raconte une histoire peut-être cathartique, mais dont le déroulement n’est pas sans heurts.
« Je n’ai pour psychiatre qu’un ego dominant, qui prescrit sans relâche de grands flots médicamenteux, d’une vase cérébrale fatigué et grégaire, dans laquelle je me meus d’un réflex nauséeux. »
Il serait facile de considérer cet album comme la thérapie de la dernière chance, ou comme la dérive vers la folie d’un musicien qui refuse la facilité d’un BM agencé, et découpé en tronçons égaux. L’auteur le confiait lui-même, il raconte des histoires, et n’utilise la musique que comme mise en place d’un décorum personnel. Cette musique, agressive, impulsive, est incroyablement bien pensée, et répond à un besoin de se sortir d’un cauchemar permanent en le partageant. Ainsi, les instants les plus calmes de « Cachot » ne rassurent aucunement, et évoquent plutôt des pas dans le couloir, une menace qu’on ressent, mais qu’on ne distingue pas. Avec un son de batterie gigantesque, des trouvailles sonores qui renforcent le sentiment de claustrophobie, et une solitude qui se matérialise par cette opposition entre violence et tranquillité de surface. Et pendant ces douze minutes introductives, BLURR THROWER jette à terre tous les éléments de sa psychose, pour nous enfermer dans sa propre cellule.
Les quatre degrés de ce nouveau traumatisme sont différents, mais partagent tous cette intensité du désespoir que le projet porte toujours en lui. Loin d’un simple BM atmosphérique, Les Voûtes est un exercice de style, une confidence entre la rouille et les larmes. Une sorte de fuite en avant vers nulle part qui ne laisse pas indemne, et dont la brièveté tranche avec les discours stériles que l’actualité nous oblige à écouter sans envie. Un album qui demande des efforts, et tout sauf une contemplation ou un hurlement gratuit, ce que démontre avec véhémence le tétanisant « Germes Vermeils ».
Du début à la fin, la sortie n’existe pas, et il faut du courage pour affronter cette somme de terreur sans avoir envie d’appuyer sur la touche stop. Telle une confession avant l’extrême-onction, Les Voûtes terrorise, et laisse agoniser les rares espoirs naissants. « Amnos » et ses percussions lourdes de sens, bâti sur un crescendo traumatique, nous laisse sur un sentiment de trop-plein, et nous oblige à évacuer. Alors si BLURR THROWER incarne toujours la Némésis des fanatiques de la normalité, c’est parce que sa folie n’est rien d’autre que la vérité.
Titres de l’album:
1. Cachot
2. Germes Vermeils
3. Fanes
4. Amnos
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