Ligæder

Blot

01/02/2019

Iron Bonehead

Dites-moi, entre nous et en toute confidence, vous l’aimez comment votre Black Metal ? Puriste, violent, dans la lignée d’un MARDUK, ou légèrement déviant comme MAYHEM ? A l’Allemande, rugueux, impitoyable ? A la française, âpre mais créatif et presque avant-gardiste ? Avec une production énorme, qui fait trembler la double grosse caisse et vrombir la basse ? Pro ? Amateur ? CD ? Démo ? Ou alors, complètement lo-fi, d’obédience Punk, enregistré dans la buanderie d’un pote dont la grand-mère a bien voulu vous faire profiter entre deux lessives ? Si cette dernière option reste votre passion, alors jetez-vous sans attendre sur le premier album d’un trio nordique, qui en quarante minutes fait le tour de la question low-budget sans prendre vos oreilles pour des soutes low-cost de voyage risqué au-dessus du Danemark. Et il est justement très difficile de sonner raw sans passer pour un idiot incapable de faire la différence entre un SM58 et un casque-micro de PC déniché dans une brocante, car le feeling doit être là, mais le rendu aussi, sinon, le projet tombe vite dans les excès d’une régurgitation difficile déguisée en messe noire avec lames de rasoirs émoussées qui ne ferait même pas de mal à un poignet éponge de tennisman. Or, les BLOT & BOD ont complètement compris la différence entre amateurisme irrationnel et éthique plurielle, puisque leur premier album, Ligæder est en passe de devenir l’une des pierres angulaires du genre en quarante-deux minutes seulement, grâce à une créativité et une puissance conjointes qui relèguent la majorité des efforts du cru au rang de simples maquettes destinées à faire peur à sa petite sœur. Plus concrètement, BLOT & BOD est un trio, Jøran Elvestad et les frangins Erik et Jesper Bagger Hviid, soit un norvégien et deux danois, fermement ancrés dans leur culture, et avides de patrimoine historique comme de bruit ésotérique. S’inscrivant dans le cercle très fermé du Korpsånd circle danois, sorte d’équivalent à nos Légions Noires nationales, ces trois musiciens proposent donc leur propre version d’un BM très rude, mais diablement corrosif, qui rappelle les pires/meilleures exactions de leur pays, sans jamais prendre l’auditeur éventuel pour un abruti.

Et c’est très légitimement que le label allemand Iron Bonehead s’est empressé de rééditer en vinyle leur premier album, déjà sorti en tirage très limité tape sur Fallow Field, maison de disques américaine. Les quelques dizaines d’exemplaires ayant très rapidement trouvé acquéreur, il convenait de procurer aux frustrés de quoi apprécier l’œuvre en question, qui se réclame d’une brutalité ouverte et d’un minimalisme d’effets notable. Une fois encore enregistré dans les studios de la célèbre salle Mayhem de Copenhague, qui a ouvert ses portes à l’extrême en 2009 et qui demeure le haut lieu du chaos danois, Ligæder, ce LP résolument atypique s’intéresse donc à la mythologie nordique, au travers des prismes norvégien et danois, s’exprimant chacun dans sa langue naturelle et permettant aux trois vocalistes de donner de la gorge, chacun ayant un timbre différent, mais évidemment gravissime. Constitué de douze pistes, ce voyage aux confins du passé permet au groupe de planter le décor, mais aussi d’offrir une incarnation musicale à la mythologie, ce que l’intro « Kom i hu » et l’outro « Erindring », censées représenter les deux corbeaux d’Odin prouvent de leurs mélodies amères. Et entre les deux, des défaites, des victoires, des déchéances et la mort, la rébellion et la rédemption, en dix morceaux faisant la part belle à un nihilisme artistique fascinant, cohérent, mais aussi difficile d’approche, puisque affilié de fait à un BM vraiment sauvage, basique, avec cette touche Punk qui caractérisait les premiers conquérants du style. Pas question ici de subterfuges, d’effets de manche, juste des instruments conventionnels, une guitare, une section rythmique et plusieurs voix, pour un dédale de riffs tous plus laids et poisseux les uns que les autres, et une ambiance globale sépulcrale qui le confine à la misanthropie la plus absolue. En gros, un album qui donne le sentiment d’avoir été enregistré dans une caverne oubliée de l’histoire, par trois primitifs découvrant les joies de la pratique instrumentale, mais déjà dotés d’une sensibilité artistique guerrière et impitoyable. Soit la quintessence d’un BM vraiment dur, qui ne cherche aucun compromis, mais qui prend quand même la peine de travailler sa copie.

Et cette copie, aussi souillée soit-elle, est truffée de riffs catchy, de trouvailles rythmiques inventives, et de lignes vocales vraiment répulsives. Pour employer une image assez parlante, situons le MAYHEM de Deathcrush dans un environnement plus sud-américain que norvégien, et transposons le tout dans un vocabulaire horrifique dont le DARKTHRONE le plus malsain et le REVENGE le moins introverti seraient les gardiens du temple. A savoir, une suite d’histoires toutes plus sombres les unes que les autres, entachées de sang, de tripes, d’honneur et de fatalisme, de violence et de fierté, sous couvert d’un barouf à rendre dingues les plus ardents défenseurs de la cause lo-fi, qui auraient trouvé là un narrateur à la hauteur de leur dégoût de l’humanité. Pour autant point de facilité chez les BLOT & BOD, qui s’ils incarnent le cauchemar absolu des admirateurs du BM symphonique n’en sont pas des incapables pour autant. Car si le son global est aussi étouffé qu’une vieille cassette exhumée des tiroirs de Deathlike Silence, et si le désir intrinsèque de provoquer est à peu près aussi anti-mosh que les réalisations initiales du légendaire label, le tout tient debout, mais vous prend à la gorge dès ses premières mesures, pour ne laisser planer aucun doute. Rapide, mais aussi glauque et poisseux, le Black distillé par Ligæder empeste les pièces scellées depuis des années, la moisissure, l’humidité teintée de salpêtre coulant sur des murs décatis, mais rugit d’une colère ravalée, et dévale de ses blasts naturels et de ses échos analogiques la pente la plus abrupte de la violence crue.

Intelligemment tronçonné en segments de durées diverses, ce premier LP est d’une franchise inouïe, ce que le premier véritable morceau « Ul » définit de sa distorsion excessive en quatre minutes. Bestial, mais toujours musical, emphatique mais dogmatique, ce regard sur une musique qui a pourtant déjà tout dit en une centaine de versions différentes et contradictoires est pertinent, très personnel, et sans limites ni contraintes. On y retrouve même des accès de Metal extrême des années 80, underground évidemment, et très Punk, à l’image de l’oppressant mais direct « Auga », qui en profite pour refourguer l’un des riffs les plus crades depuis les premiers jets de DEAD CONGREGATION ou SORTILEGIA. Ce morceau donne en outre un aperçu de la complémentarité des trois voix, qui se répercutent en un écho assourdissant, avant que l’implacable « Blodstænkte Fjer » ne repousse les limites en violant le Crust le plus infâme de ses perversions raw. Nous sommes même honorés de quelques prises à revers ultrarapides et atroces (« Når ulven Glammer », une minute et quarante-et-une secondes d’infamie bruitiste concentrique), et de pics d’intensité travestissant la distorsion en ronflement indistinct (« Væk døde Mænd »). Voilà donc tout ce que l’on peut dire sur ce manifeste de nihilisme musical qu’est Ligæder, même si d’autres pistes comparatives seraient sans doute exploitables. Mais la meilleure conclusion est offerte de façon promotionnelle par le label lui-même, qui affirme en toute honnêteté que le chaos provoqué par les BLOT & BOD is the heaviest primitive black metal you'll hear.            

  

Titres de l'album :

                          1.Kom i Hu

                          2.Ul

                          3.Auga

                          4.Blodstænkte Fjer

                          5.Sindet Styrter

                          6.Mit Blodbad

                          7.Bær Lig

                          8.Velt din gud

                          9.Når ulven Glammer

                          10.Væk døde Mænd

                          11.Ravne

                          12.Erindring

Facebook officiel

Bandcamp officiel


par mortne2001 le 24/02/2019 à 18:02
78 %    1096

Commentaires (0) | Ajouter un commentaire

pas de commentaire enregistré

Ajouter un commentaire


Derniers articles

Antropofago + Dismo + Markarth

RBD 16/01/2025

Live Report

Sélection Metalnews 2024 !

Jus de cadavre 01/01/2025

Interview

Voyage au centre de la scène : MONOLITHE

Jus de cadavre 15/12/2024

Vidéos

Corentin Charbonnier : l'anthropologue du Metal

mortne2001 09/12/2024

Interview

CARCARIASS + Guests

Simony 06/12/2024

Live Report

FALLING IN REVERSE + HOLLYWOOD UNDEAD

Chief Rebel Angel 06/12/2024

Live Report

Lezard'Os Metal Fest 2024

Simony 02/12/2024

Live Report

Voyage au centre de la scène : STILLE VOLK

Jus de cadavre 01/12/2024

Vidéos
Concerts à 7 jours
Tags
Photos stream
Derniers commentaires
Chazz

Haaaa le Rock est tout sauf négociable !! Merci pour cette belle critique.Chazz (2Sisters)

17/01/2025, 22:44

Bill BAroud

Non putain ça fait chier ! Je m'en fout de revoir Rob derrière le micro de mon groupe préféré d'amour !

17/01/2025, 17:03

Humungus

Le coup de la goutte de résine, ça va me faire la soirée...

17/01/2025, 16:52

senior canardo

2 sisters 1 cup ! haha joli pochette

17/01/2025, 10:02

Seb

J'ai cru comprendre que Zetro se retirait pour problème de santé.J'espère que ça ira pour lui.En tout cas avec Dukes sur scène, ça va envoyer le pâte.

16/01/2025, 18:21

MorbidOM

Super nouvelle pour moi, le chant de Zetro m'est difficilement supportable. Celui de Dukes n'a rien d'extraordinaire mais il colle assez bien à la musique et le gars assure sur scène. 

16/01/2025, 12:15

Jus de cadavre

Eh beh... Étonné par ce changement de line-up. Vu comment Exo était en forme sur scène ces dernières années avec Souza ! Mais bon, Dukes (re)tiendra la barque sans soucis aussi.

16/01/2025, 10:22

Simony

Merci Styx je transmets à notre expert informatique.

15/01/2025, 15:53

Simony

Merci Styx je transmets à notre expert informatique.

15/01/2025, 15:53

Styx

Super. L'album devrait être à la hauteur. Beaucoup de superbes sorties sont à venir ce 1er semestre 2025. P.S. : le site metalnews devrait passer en mode https (internet & connexion sécurisé(e)s) car certains navigateurs le reconnaisent comme(...)

15/01/2025, 12:58

Incroyable album

Je viens de tomber dessus, grosse baffe dans la gueule, et c'est français en plus!Un disque à réécouter plusieurs fois car très riche, j'ai hâte de pouvoir les voir en concert en espérant une tournée pour cet album assez incr(...)

14/01/2025, 09:27

Humungus

Qui a dit que l'on n'était jamais content ?!

13/01/2025, 08:36

Humungus

Capsf1team + 1.Je dirai même plus : Mettre cela directement sur la bandeau vertical de droite qui propose toutes les chroniques. En gros faire comme pour les news quoi : Nom du groupe, titre de l'album et entre parenthèse style + nationalité.

13/01/2025, 08:36

Capsf1team

Oui en effet dans les news on voit bien les étiquettes, mais sur la page chronique on a juste la première ligne de la chro, peut-être que ce serait intéressant de le mettre dans l'en-tête. 

13/01/2025, 07:59

Simony

Capsf1team : tu voudrais que l'on indique cela où exactement ? Dans l'entête des chroniques ? En début de chronique ?Aujourd'hui le style apparait dans les étiquettes que l'on met aux articles, mais peut-être que ça ne se voit pas d&(...)

12/01/2025, 17:38

Humungus

Poh poh poh poh... ... ...Tout le monde ici à l'habitude de te remercier pour la somme de taf fournie mortne2001, mais là... Là, on peut dire que tu t'es surpassé.Improbable cette énumération.Et le pire, c'est qu'a(...)

12/01/2025, 14:27

Benstard

Litany la claque a l'époque. Ce son de grosse caisse du futur.

11/01/2025, 13:35

Buck Dancer

Jus de cadavre, putain mais merci pour la découverte Pneuma Hagion. C'est excellent! Du death qui t'envoie direct brûler en enfer.

11/01/2025, 12:16

Capsf1team

Merci pour tout le travail accompli et ce top fort plaisant à lire tous les ans. Moi aussi je vieilli et impossible de suivre le raz de marée des nouvelles sorties quotidiennes... Suggestion peut-être à propos des chroniques, est-ce que l'on ne pourrait pas indique(...)

10/01/2025, 09:12

RBD

J'aurais pu citer les Brodequin et Benighted que j'avais bien remarqués en début d'année, aussi, mais il faut choisir... Quant au Falling in Reverse, cette pochette ressemble trop à une vieille photo de J-J Goldman dans les années 80, je ne peux p(...)

09/01/2025, 19:49