Le Progressif, on commence à connaitre. Epique, pompier, symphonique, alambiqué, de l’école de Canterburry ou pas, influencé 70’s, plutôt Metal ou Rock, GENESIS, YES d’un côté, DREAM THEATER, PERIPHERY, bref, pour beaucoup, cela reste de la masturbation musicale de musiciens pour musiciens, ou pour étudiants en archi qui n’en peuvent plus de ne pas avoir pu tester en temps et en heure Dark Side of The Moon, sur une sono flambant neuve.
Et on s’en fout. Parce que finalement, quel plaisir apporté ? Quelles transgressions suggérées ? Au départ, l’élan était d’unir dans un même ballet Rock et classique, mais tout a tourné court et ne nous a présenté que d’interminables digressions répondant à quelques questions sur l’onanisme liant un homme avec son propre instrument. Et sans allusion grivoise, je vous prie.
Mais.
Il en est des musiciens comme des magiciens. Certains continuent de nous faire le coup de la femme coupée en deux, ou du building qui disparait dans les cieux, et d’autres tentent encore le prestige, le vrai, celui qui nous laisse le souffle coupé et les interrogations bloquées. Mais ils sont peu, autant l’avouer, à avoir la classe suffisante pour nous bluffer. Tout au plus cherchent-ils l’admiration, mais pas la passion. Sauf quand ils décident enfin de se consacrer à la création, et non à la partition. Et dans ce cas, les portées deviennent mouvantes, les notes fluctuantes, et la puissance rassurante.
Ce qui est indubitablement le banquet auquel nous convient les deux autrichiens de PEROPERO.
Nom étrange, pour une association qui ne l’est pas moins. Expatriés d’Autriche à Berlin, Julian Pajzs (guitare, chant, électronique) et Valentin Schuster (batterie), sont fascinés depuis toujours par la variété des extrêmes. Il n’est donc pas étonnant de trouver dans leur art des traces de styles qui n’ont pas forcément leur place dans un contexte « progressif », comme ces influences/références qu’ils citent, de DAUGHTERS à MESHUGGAH, en passant par SUMAC, HELMET, RAGE AGAINST THE MACHINE, APHEX TWIN, PUMA, ZU, NEUROSIS, ou...IGORRR. Et un groupe qui cite IGORRR, comme vous le savez, ne peut pas être foncièrement mauvais, bien au contraire. Et les PEROPERO prouvent avec Lizards qu’ils sont bons, très bons mêmes, mais dans un exercice très périlleux qui place la rythmique au même niveau que le soliste, et qui laisse au chant non démonstratif une part importante d’expression. D’où celle suggérée par l’écoute prolongée d’un album qui a de quoi décontenancer, et qui associe dans une même mêlée les combinaisons équilibristes du Mathcore, les avancées multiples du Hardcore, la rigueur du Metal, la liberté spontanée du Jazzcore, et puis pas mal de choses encore, qu’on découvre au fur et à mesure des pistes, qui en sus ont le mérite de ne pas s’éterniser pour ne pas lasser.
Alors, l’addition est simple. Musiciens très capables mais humbles, liberté de ton, folie ambiante, mais calibrage de son, égal une grosse ruade dans les brancards qui renvoie les autres « progressistes » dans les cordes de violons qu’ils ne vont pas manquer de faire vibrer d’une fausse émotion étonnée.
Inutile de tergiverser. Si vous êtes fan de déambulations rythmiques striées d’éclairs de génie guitaristiques, alors Lizards est fait pour vous. On pourrait même simplifier le problème à une seule interrogation, à savoir que pourrait donner le rêve commun de passionnés de ZEUS, NOMEANSNO, MESHUGGAH et PRIMUS, enfermés dans le même labo d’étude du sommeil ?
N’étant pas scientifique, j’ignore tout du résultat, mais je m’engage à parier qu’il ne divergerait pas beaucoup de ce qu’on peut déguster sur un puzzle aussi branque que « Lizards », le morceau, incapable de se stabiliser ne serait-ce que quelques secondes. Et pourtant, aussi fragile soit l’équilibre, il tient, parce que niveau composition, les deux lascars ne craignent rien. On pourrait même les assimiler à la vague des CARNIVAL IN COAL et toute cette scène frenchy décomplexée, dont ils semblent partager bien des pieds de nez. Avec un batteur millimétré et un guitariste complètement frappé, le duo se repose sur des bases solides mais aux caprices assumés, dont l’étendue des possibilités est déjà résumé par l’introductif et fédérateur « The Royal Banquet Hall », à l’entame occulte et déjà culte. Puissance Thrash pour menuet qui fâche, et la danse est menée tambour battant par une union logique entre guitare et batterie, soudée par des effets électroniques toujours pertinents et jamais ballants. Difficile de trouver une quelconque faiblesse dans des affabulations lunaires comme « Ehm », illustré d’une vidéo toute aussi marteau, et qui en moins de quatre minutes, étourdit le taureau pour se draper d’une cape Néo-Core en paréo.
Allemands ou autrichiens, Julian et Valentin se rapprochent pourtant de leurs cousins transalpins, qui furent parmi les premiers à tester notre résistance à l’absence de cadre d’insistance (ex : ZEUS et leur Motomonotono béni des Dieux). Et même si parfois, le bizarre prend le pas sur le bras de fer (« Heloderma Suspectum »), on continue de suivre l’affaire, qui se pare d’Ambient un peu louche, mais ne reste pas sur la touche. L’influence APHEX est alors patente, tout du moins jusqu’à ce que « Molting Day » ne nous bouscule de son impatience, relayant quelques idées déjà exploitées par IGORRR, qui adore mélanger Metal qui mord et structures qui ne mettent personne d’accord. Certes, tout ceci semblera inextricable aux plus raisonnables et rationnels d’entre vous, mais pas de problème, puisque cette musique ne vous est pas directement adressée. Il faut avoir gardé l’esprit et le cœur perméables à toute heure, pour pouvoir encaisser des parpaings comme « RPS », qui bastonnent, cognent, se calment et repartent en virée pour quatre minutes de heurts baroques qui transforment les heures en Rock. Et si l’on se dit que les gamins vont surement se calmer vers la fin, « TOCCAC » arrive à point pour ne pas nous laisser sur notre faim, et entamer une toccata en fugue majeure, rythmique en marteau-piqueur pour une symphonie en Zappa Thrash d’honneur.
Ouf, c’est fini, je vais pouvoir entamer mon quatre-heures.
NON, le Progressif n’est pas toujours chiant, pour peu qu’il soit joué par des musiciens qui l’aiment vraiment, et qui le comprennent pleinement. Hors des gammes et des chromatismes égrenés comme des litanies, il existe encore une caste de frappés qui prennent plaisir à nous entraîner là où la musique devrait toujours nous emmener. Où on ne s’y attend pas.
Peut-être qu’ils ne le font pas par peur qu’on ne revienne pas…Et alors ? Rester à Berlin avec les PEROPERO serait un mal pour un bien ? Une sacrée visite des monuments d’outre-Rhin, pour le moins.
Titres de l'album:
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