Je peux dire que je suis gâté en cette fin d’année. Deux de mes groupes favoris me gratifient d’un nouvel album, et pas des moindres. La première salve fut donnée par les miraculeux ARMORED SAINT qui avec Punching the Sky ont confirmé une fois de plus qu’ils étaient bien le meilleur groupe de Heavy Metal américain encore en activité depuis les années 80. Et aujourd’hui, ce sont les FATES WARNING, qui fêtent avec Long Day Good Night leur treizième album, et le troisième après la refonte du groupe au début des années 2010. Après quasiment dix ans de silence original, Darkness in a Different Light nous avait tous agréablement surpris, revenant aux racines du groupes et quasiment au niveau de qualité atteint par les chefs d’œuvre Perfect Symmetry et Parallels. Theories of Flight n’avait pas démenti les promesses faites par le groupe, et cette période de confinement forcé qu’aura imposé 2020 aura permis aux musiciens de bosser ensemble, certes chacun dans leur coin, mais sans que cet isolement ne nuise à la cohésion générale. On le sait, FATES WARNING et ARMORED SAINT ont bien des points communs, et pas seulement parce qu’ils partagent la superbe basse de Joey Vera depuis 1997. Ils sont tous les deux des mal-aimés de la célébrité et de la reconnaissance, ne pouvant compter que sur une poignée de fans fidèles pour répandre leur bonne parole. Et si l’approche du SAINT est résolument Metal, dans le sens le plus direct qui soit, l’optique du FATES est-elle plus biscornue, comme si QUEENSRYCHE et CRIMSON GLORY avaient été fondus dans le même creuset d’inspiration pour donner naissance à une matière unique. Et pour son retour au premier plan, le quintet américain n’a pas lésiné. Treize morceaux pour un treizième album, ils nous refont le même coup que Perfect Symmetry et ses faces symétriques (qui ne l’étaient pas vraiment d’ailleurs), mais nous pondent aussi l’album le plus long de leur carrière, avec plus de soixante-douze minutes de musique, et une poignée de morceaux jouant généreusement la montre.
Composé sur une période d’un an au terme de leur tournée commune avec QUEENSRYCHE par Jim Matheos et Ray Adler, les deux vieux complices, Long Day Good Night est donc une œuvre longue, riche et complexe, comme tous les albums du quintet (Matheos - guitare, Alder - chant, Vera - basse, Bobby Jarzombek - batterie et Mike Abdow - guitare pour quelques soli). Mais cette fois-ci, Jim et Ray ont décidé d’abandonner toute mesure pour pondre le disque le plus ambitieux de leur parcours, encore plus que les étapes cruciales que furent les disques précités. Alors que la tendance depuis quelques années est à la concision (à part dans le cas d’OPETH ou LEPROUS, qui sont clairement à part) et aux albums condensés sous la barre des cinquante minutes, les originaires du Connecticut prennent le contrepied et osent l’heure et dix minutes bien tassées pour exploiter leurs points de vue. Pourtant, au premier contact, Long Day Good Night ne surprend absolument pas de son contenu. Mixé par Joe Barresi (TOOL, QUEENS OF THE STONE AGE, TOMAHAWK, THE MELVINS, KYUSS…), ce treizième album respire de tous ses instruments, et sa clarté a quelque chose de surnaturel. Lorsque les soli de Jim résonne sur un background arythmique, on pourrait presque toucher ses cordes du bout des doigts tant on a le sentiment d’être dans la même pièce que lui. De la même façon, les passages les plus puissants n’épuisent pas les tympans, bénéficiant d’un soin particulier dans l’équilibre. Il faut dire que Jim a largement eu le temps de tester ses idées, lui qui avoue qu’un morceau n’est jamais vraiment fini tant qu’on n’a pas exploré toutes les pistes possibles. Et des pistes, Long Day Good Night en contient, dans son tracklisting évidemment, mais aussi au sein des chansons qui ne se privent jamais d’explorer toutes les directions possibles. Cordes, Jazz, inspiration hispanique, acoustique, violence, préciosité, crossover global, et toujours cette délicatesse dans l’instrumentation qui apparente chaque album du groupe à une construction de cristal qui donne le sentiment d’être trop fragile, mais qui ne casse pourtant jamais.
Si chaque LP du groupe a toujours demandé des efforts et du temps pour être appréhendé dans sa globalité, ce treizième chapitre en demandera encore plus, et pourra laisser un sentiment de trop-plein sur le moment. Trop d’idées, trop de chansons, trop de passages que certains jugeront dispensables, et qui le sont d’une certaine manière. Mais à celle des BEATLES qui avaient blindé leur Double Blanc pour se débarrasser d’un contrat plus vite, Long Day Good Night a tout conservé, pour donner à son reflet des allures de tableau en trompe l’œil, contenant d’infimes détails qu’on ne remarque qu’en regardant de plus près. Ces détails relèvent souvent des performances individuelles de chacun des membres du groupe, et spécialement du poulpe Bobby Jarzombek, qui a profité de l’annulation d’une tournée en compagnie de Sebastian Bach pour enregistrer ses parties. Encore une fois, le batteur livre une partition hallucinante, d’une précision hors du commun, avec toujours en exergue ce jeu de grosse caisse qui en impose aux plus grands et qui rappelle le talent de Dean Castronovo ou Rick Colaluca. Mais évidemment, Bobby n’est pas seul à louer sur Long Day Good Night, et si la basse de Joey Vera se montre plutôt discrète dans le mix, elle n’en oublie pas pour autant de distiller des lignes serpentines qui relient la guitare et la batterie avec beaucoup de fluidité. De son côté, Jim a encore été piocher dans son subconscient des riffs aussi efficaces que ciselés, dont celui imparable de « Shuttered World », qui se démultiplie à l’occasion d’un break hallucinant de calibrage, ou celui de « Scars », à la lisière du Thrash, qui rappelle la première époque du groupe, lorsqu’il jouait encore beaucoup avec les frontières.
Mais même avec sa somme de données, ce treizième chapitre n’incarnera pas le pinacle d’une carrière qui n’a connu que peu de bas créatifs, et dont la seule faute de goût pour beaucoup restera à jamais le controversé A Pleasant Shade of Gray. Il contient pourtant des moments de génie pur, comme ce « Begin Again », délicat comme une Pop Rock des années 80 traduite dans un langage plus viril, ou « Glass Houses » qui démontre que le groupe n’a rien perdu de son énergie. Mais évidemment, « The Destination Onward » et ses huit minutes placées en intro d’un LP gigantesque dans tous les sens du terme prévient des efforts à venir, et place l’auditeur dans une position enviable et précieuse : celle d’observateur attentif de l’imagination de musiciens ayant depuis longtemps abandonné toute mesure. Avec sa longue entame presque silencieuse, ce morceau explose soudainement d’une rage Heavy typiquement américaine (et qui rappelle certaines idées d’ARMORED SAINT justement), et rappelle au bon moment quel modèle FATES WARNING a toujours été pour les fans de Progressif. De l’autre côté du spectre, « The Longest Shadow Of The Day » n’hésite pas à en faire trop, et à arrêter sa course sous les douze minutes pour offrir l’acmé qu’on est en droit d’attendre d’un tel disque. Intro typiquement Gilmour, progression jazzy, pour finalement renouer avec les vieux démons de la puissance et lâcher les watts sans gêne.
Je ne me prononcerai certainement pas sur la place qu’occupera Long Day Good Night à l’avenir dans la discographie de FATES WARNING. Mais malgré sa treizième place à table, il m’étonnerait que ce disque porte malheur au groupe.
Titres de l’album:
01. The Destination Onward
02. Shuttered World
03. Alone We Walk
04. Now Comes The Rain
05. The Way Home
06. Under The Sun
07. Scars
08. Begin Again
09. When Snow Falls
10. Liar
11. Glass Houses
12. The Longest Shadow Of The Day
13. The Last Song
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