Puristes du Black Metal, passez votre chemin. Si seules les sonorités les plus abrasives, les constructions les plus simples et les approches les plus élémentaires sont pour vous les seuls composantes d’un genre qui a pourtant beaucoup plus à dire, WHITE WARD n’aura que peu de choses à vous offrir, si ce ne sont de multiples contradictions à vos croyances. Et les ukrainiens s’y entendent comme personne pour dévier d’une trajectoire que personne n’a vraiment établie, en renforçant leurs structures d’arrangements et de constructions atypiques. Mais là où beaucoup s’amusent de l’utilisation incongrue d’un violon, d’un piano, d’un saxo, pour déstabiliser l’auditeur et conférer à leur musique un côté excentré, gratuitement oserais-je dire, les WHITE WARD préfèrent assimiler leur originalité dans un contexte valide pour proposer une musique étrange, pleine, dérivative, et tout sauf cheap dans la singularité. On le sait depuis la sortie de leur premier LP en 2017, ce Futility Report qui se reposait sur des bases Post pour mieux digresser Jazz, Electronica, Death et Hardcore même parfois. Le public et la critique furent surpris de cette intelligence d’amalgame, et de ces propositions toutes plus viables et équilibrées les unes que les autres. A contrario de nombre de leurs « frères d’armes », les ukrainiens se montraient intelligents, pertinents, et efficaces. Et là ou l’originalité à tout prix mène souvent sur le chemin de l’ennui, leur volonté de s’extirper d’un carcan trop figé symbolisait une ouverture sur un univers différent, et enivrant. Et finalement, leurs contrastes se calquaient parfaitement sur la vie en elle-même, ce mélange de réalité difficile et d’onirisme frustrant. Ces contrastes, deux ans plus tard, n’ont pas changé, sont tout aussi prononcés, et pourtant, le résultat est le même. L’hybridation fonctionne, et le rendu est de toute beauté.
A l’image de nos HYPNO5E ou de Mike Patton en solo, WHITE WARD aime raconter des histoires musicales, dépeindre des tableaux cinématographiques, instaurer des ambiances qui nous plongent dans des scenarii concrets, et pourtant oniriques. C’est une envie palpable dès les premières secondes de « Love Exchange Failure », qui pendant quatre minutes s’ingénie à créer une atmosphère de film noir, piano et saxo à l’unisson, dans une fausse douceur cotonneuse qui évoque les petits matins de ces pellicules des années 80, lorsque le héros rentre chez lui, fatigué, légèrement désabusé, mais toujours romantique dans sa foi en une vie meilleure possible. Et lorsque les rugissements d’une rythmique implacable surgissent, lorsque les guitares envahissent le panorama, la violence n’en est que plus crue, et le traditionalisme BM choquant. La dualité nous frappe donc de plein fouet, et affirme la personnalité du quintet (Yurii Kazaryan, Andrii Pechatkin, Sergii Dariyenko, Eugen Karamuschko). Décomposé en quasiment cinq parties différentes, ce premier titre est une déclaration d’intention, et une synthèse des idées brillantes du groupe. Il permet d’appréhender leur univers sans avoir à fouiller dans des recoins trop cachés, et de comprendre leur démarche. La créativité oui, mais pas au prix d’une cohésion manquée et d’une disparité trop rebutante. Ici, le piano, le saxo, la douceur et la délicatesse ont autant le droit de cité que l’ultraviolence et la méchanceté crue. A l’image de cette superbe pochette qui assume l’envie d’être différent, Love Exchange Failure expérimente, mais jamais dans le vide. Les crises BM sont franches, certes Post, mais empruntes de ce formalisme des débuts et cette abrasivité des années 2000. Les interstices mélodieux le sont aussi, délicats, ouvragés, détaillés. Et la juxtaposition des deux donne lieu à l’émergence d’une troisième émotion, entre quiétude et colère, entre inquiétude et galère.
Pour autant, la musique n’est pas facile d’accès. Loin de là. Avec quatre pistes totalisant plus de quarante-cinq minutes à elles-seules, Love Exchange Failure n’a pas choisi l’effet immédiat ni la synthèse. « Dead Heart Confession », construit peu ou prou sur le même moule que « Love Exchange Failure » impose une intro soft et soyeuse, pour mieux nous arracher la peau d’un BM trivial et impitoyable. On pense à IMMORTAL et BATHORY, mais aussi à SHINING et NEUROSIS, mais cette façon d’opérer des transitions incroyables comme si elles étaient tout à fait naturelles déroute et impressionne. Car les breaks ne sont pas des excuses à l’expérimentation pour arborer avec fatuité l’étiquette d’avant-garde, mais bien des passages obligés d’une dimension à une autre. Une formalisation du monde d’aujourd’hui noyé dans un déluge d’informations et d’émotions contradictoires, passant sans vergogne d’une empathie presque irréelle à un égoïsme larvé, d’une tendresse de surface à une rancœur tenace. Ainsi, « No Cure For Pain » démontre pendant quelques minutes que la douleur n’en est pas vraiment, et qu’elle ne nécessite pas de guérison. Mais lorsque le Metal le plus noir fait son apparition, on comprend bien que tout ceci n’est qu’illusion. La concrétisation de ces idées et concepts se fait de la façon la plus logique et compréhensive qui soit. Les passages doux le sont vraiment, mélodiques, progressifs, tandis que la partie Metal assume sa véhémence, tout en offrant parfois des oppositions avec un saxo évanescent. Ce même morceau, aux percussions diaboliques, aux riffs solides et accrocheurs, et aux mélodies vénéneuses est un véritable modèle d’un genre qui n’existe nulle part ailleurs que dans l’imagination des ukrainiens, et adoucit les différences pour oser l’équilibre. On sent que c’est lui le pivot de l’album, avec cette basse montante et descendante, ces harmonies subtiles, ce chant qui s’éloigne soudain. L’avenir de WHITE WARD, après mutation se cache peut-être dans ces douze minutes parmi les plus créatives du Metal moderne, qui réconcilient OPETH et EMPEROR.
Les inserts, indéniables, sont à l’échelle, longs et étranges. « Shelter » superpose des hurlements stridents d’arrière-plan à un piano de premier plan aux notes martelées, le tout ruiné d’un feedback assourdissant. « Surfaces And Depths » est aussi Néo-Pop qu’un classement de Pitchfork peut l’être, martelant toujours le même leitmotiv. L’instrument roi sur Love Exchange Failure n’est pas la guitare, c’est l’imagination, qui se concrétise autour d’un piano, d’une basse, d’une voix soudainement posée, d’une accélération fulgurante. « Uncanny Delusions » n’a plus qu’à refermer le second chapitre en reprenant peu ou prou les mêmes astuces que les trois autres morceaux longs. L’alternance, la recherche de mélodies viables, le contrepied.
Puristes du Black Metal, passez votre chemin, puisque Love Exchange Failure n’en est pas. Il est une forme très curieuse de Metal extrême, qui lui-même n’en est pas vraiment. Il est une démonstration de force en nuance, ce qui n’est pas la moindre de ses contradictions. Mais il est surtout la plus fidèle retranscription du monde dans lequel nous vivons, sorte d’allégorie musicale sur une expérience hors du commun.
Titres de l’album :
01. Love Exchange Failure
02. Poisonous Flowers Of Violence
03. Dead Heart Confession
04. Shelter
05. No Cure For Pain
06. Surfaces And Depths
07. Uncanny Delusions
Haaaa le Rock est tout sauf négociable !! Merci pour cette belle critique.Chazz (2Sisters)
17/01/2025, 22:44
Non putain ça fait chier ! Je m'en fout de revoir Rob derrière le micro de mon groupe préféré d'amour !
17/01/2025, 17:03
J'ai cru comprendre que Zetro se retirait pour problème de santé.J'espère que ça ira pour lui.En tout cas avec Dukes sur scène, ça va envoyer le pâte.
16/01/2025, 18:21
Super nouvelle pour moi, le chant de Zetro m'est difficilement supportable. Celui de Dukes n'a rien d'extraordinaire mais il colle assez bien à la musique et le gars assure sur scène.
16/01/2025, 12:15
Eh beh... Étonné par ce changement de line-up. Vu comment Exo était en forme sur scène ces dernières années avec Souza ! Mais bon, Dukes (re)tiendra la barque sans soucis aussi.
16/01/2025, 10:22
Super. L'album devrait être à la hauteur. Beaucoup de superbes sorties sont à venir ce 1er semestre 2025. P.S. : le site metalnews devrait passer en mode https (internet & connexion sécurisé(e)s) car certains navigateurs le reconnaisent comme(...)
15/01/2025, 12:58
Je viens de tomber dessus, grosse baffe dans la gueule, et c'est français en plus!Un disque à réécouter plusieurs fois car très riche, j'ai hâte de pouvoir les voir en concert en espérant une tournée pour cet album assez incr(...)
14/01/2025, 09:27
Capsf1team + 1.Je dirai même plus : Mettre cela directement sur la bandeau vertical de droite qui propose toutes les chroniques. En gros faire comme pour les news quoi : Nom du groupe, titre de l'album et entre parenthèse style + nationalité.
13/01/2025, 08:36
Oui en effet dans les news on voit bien les étiquettes, mais sur la page chronique on a juste la première ligne de la chro, peut-être que ce serait intéressant de le mettre dans l'en-tête.
13/01/2025, 07:59
Capsf1team : tu voudrais que l'on indique cela où exactement ? Dans l'entête des chroniques ? En début de chronique ?Aujourd'hui le style apparait dans les étiquettes que l'on met aux articles, mais peut-être que ça ne se voit pas d&(...)
12/01/2025, 17:38
Poh poh poh poh... ... ...Tout le monde ici à l'habitude de te remercier pour la somme de taf fournie mortne2001, mais là... Là, on peut dire que tu t'es surpassé.Improbable cette énumération.Et le pire, c'est qu'a(...)
12/01/2025, 14:27
Jus de cadavre, putain mais merci pour la découverte Pneuma Hagion. C'est excellent! Du death qui t'envoie direct brûler en enfer.
11/01/2025, 12:16
Merci pour tout le travail accompli et ce top fort plaisant à lire tous les ans. Moi aussi je vieilli et impossible de suivre le raz de marée des nouvelles sorties quotidiennes... Suggestion peut-être à propos des chroniques, est-ce que l'on ne pourrait pas indique(...)
10/01/2025, 09:12
J'aurais pu citer les Brodequin et Benighted que j'avais bien remarqués en début d'année, aussi, mais il faut choisir... Quant au Falling in Reverse, cette pochette ressemble trop à une vieille photo de J-J Goldman dans les années 80, je ne peux p(...)
09/01/2025, 19:49