Plus old-school que ça, tu as les badges qui s’épinglent sur le torse et les clous qui sortent des poignets. De cette pochette casher à ce look improbable, de ces riffs évidents à cette rythmique massive, tout ici renifle le fumet des early 80’s. Une habitude vintage que tout le monde connaît bien, mais qui est si poussée à ses extrêmes qu’on en viendrait presque à croire qu’on a oublié quelque chose en fermant la porte de 1982.
GRIMOIRE comme son nom ne peut l’indiquer vient de Pologne, et pratique une sorte de crossover Hard ‘n’Heavy, un peu occulte sur les bords, mais généreusement NWOBHM au milieu. Un gâteau bien rond, qui donne faim, en forme de premier album conséquent, aux parts larges et aux intentions sucrées/salées. Tout cela est bien beau, mais qu’en est-il du goût ? Reste-t-il en bouche ou s’évanouit-il à peine dégluti ? La réponse est évidemment la seconde option, puisque les quatre musiciens ont mis tous les atouts de leur côté, en profitant d’une imagination raisonnable et d’une technique l’étant tout autant.
GRIMOIRE nous vient de Wrocław, ville polonaise l’ayant vu naître il y a trois ans pile. Sans être encore la coqueluche d’une région, le quatuor (Jakub Zajkowski - chant, Eryk Jakubczyk - guitare, Aleksander Hybś - basse et Filip Małż - batterie) peut aisément passer pour un VRP digne de ce nom. En choisissant de brouiller les frontières entre les genres, les époques, et les publics, les musiciens ont pris la bonne décision, tant ce Lovehunt est difficile à dater pour celui ne connaissant pas le passé du combo.
Tout est d’époque. De la production à l’instrumentation, de la place laissée à la basse jusqu’à cette frappe sèche et matte sur la caisse claire, en passant par un chant un peu fluet et des ambiances délicieusement sombres. Les artistes sont doués pour le mimétisme global, mais tiennent à garder une identité minimale. Si « Runaway » sent le Heavy des années de gloire anglaise, « Tomorrow’s Gone (To Nowhere) » change immédiatement de braquet, et se donne les moyens épiques de ses ambitions héroïques. Beaucoup de flair au moment de trier les idées, une envie de traverser les décennies en témoin actif, et un son clair, sans écho, sans artifices mais avec beaucoup de brio.
Et la fascination de s’installer sur le fauteuil alors qu’à la base, elle n’y était pas forcément invitée.
Lovehunt se range assez rapidement dans le bac des surprises inattendues, mais bienvenues. La mouvance vintage qui refile de l’occasion tape à l’œil pour un prix de déraison en prendra pour son grade en découvrant un album qui lui, ne fait pas semblant d’y croire en refilant deux ou trois plans usés jusqu’à la corde. En découvrant ce tracklisting on ne peut s’empêcher de penser à des outsiders comme ASHBURY, MANILLA ROAD, et même nos MYSTERY BLUE. Des références qui changent donc, et qui nous évitent les atermoiements en réflexes conditionnés, que l’on subit semaine après semaine, mois après mois, et année après année.
GRIMOIRE est donc à l’image de son patronyme. Livre revenant à la vie via quelques formules bien senties, qui permet d’ouvrir un portail nous séparant des enfers les plus raisonnables, le groupe se permet même de faire les yeux doux à RAVEN sur une ou deux accélérations fumeuses, avant de reprendre le cours de son propos sans hésitation aucune. Je ne saurais donc trop vous recommander l’écoute répétée du joyau « Power Of The Venom », qui synthétise toutes les écoles de pensées des années 80, des Etats-Unis jusqu’à l’Allemagne, en passant évidemment par l’Angleterre.
Proto-Metal de première catégorie, qui aurait indifféremment pu être enregistré en 1975 ou 1982, Lovehunt se permet d’être allusif au vieux JUDAS PRIEST, au MAIDEN pré-Iron Maiden, mais aussi à cette vague britannique des TRESPASS, WHITE SPIRIT, ce qui confère à ce premier album un délicat parfum de nostalgie tout sauf passive. Car les polonais envoient du bois, et ne se contentent pas de reproduire bêtement. Ainsi, « The Heretic » se veut épique, musclé, mais toujours aussi direct et sincère de sa production.
Titres longs, ambiances développées, mystique bien emballé, les atouts sont nombreux, et le résultat totalement absorbant. Ne rechignant pas à tamiser les lumières pour se faire plus intime, GRIMOIRE flirte parfois avec les cimes Progressives de la fin des années 70, lorsque le genre se durcissait pour s’adapter au marché. « Still Remains » en est l’exemple type, avec sa cavalcade rythmique à la Steve Harris, et son déroulé à la URIAH HEEP.
De l’occasion en état neuf, de la poussière qui vole de la surface des meubles pour se disperser dans l’air, le tout avec une honnêteté rare. « Mirrorless Reflections » renvoie même un reflet subtilement jauni, entre Hard-Rock souple et Heavy de couple. Avec la solidité d’une rythmique qui ne s’en laisse pas conter, et un soliste qui peaufine ses soli afin qu’ils servent le morceau, GRIMOIRE joue ouvert mais compact, et entraîne dans son sillage tous les fans de vintage pur et dur.
Et comme chaque titre diffère du précédent sur de nombreux détails, l’écoute n’en est que plus plaisante et diversifiée. Parfois léger et mélancolique (« The Game »), parfois lourd et emphatique, voire dramatique, avant une sale accélération Thrash (« No Love For The Prey »), Lovehunt traque l’amour pour l’ancien et passe de l’encaustique sur ses boiseries.
Plus chineur que collectionneur, le quatuor polonais ne garde que les pièces les plus authentiques, allant même jusqu’à nous faire valser d’un boogie déchaîné (« Lovehunt », chant approximatif et chaleur des riffs, l’idéal pour s’en aller avant le début de la matinée). Pour un premier album, GRIMOIRE fait fort, et prend ses distances avec les copistes trop fidèles et peu regardants sur l’originalité de la plume.
Plus old-school que ça, c’est d’époque. Et donc new-school. Intéressant paradoxe.
Titres de l’album :
01. Runaway
02. Tomorrow’s Gone (To Nowhere)
03. Power Of The Venom
04. The Heretic
05. Still Remains
06. Mirrorless Reflections
07. The Game
08. No Love For The Prey
09. Lovehunt
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