L’homme ou la machine ? Depuis l’essor technologique du 20ème siècle, la révolution industrielle, la question se pose, et reste d’importance. D’abord, sous un angle social et professionnel, les avancées technologiques ayant la plupart du temps été faites au détriment de la main d’œuvre humaine. Ensuite, sous un angle d’avenir entièrement confié aux processeurs d’ordinateurs, susceptibles de prendre le pouvoir à tout moment. L’art a souvent abordé cette problématique, de façon ludique mais lucide dans Les Temps modernes avec Chaplin, et plus récemment avec les œuvres de James Cameron ou les réflexions portées par Matrix, Ex-Machina, sans oublier la littérature d’Orwell. Il est donc normal que les musiciens s’y soient souvent penchés aussi, des FEAR FACTORY au « Man Against Machine » des WILD DOGS, j’en oublie des centaines évidemment, mais là n’est pas vraiment le propos. Il se situe aujourd’hui au niveau de la nouveauté offerte par un groupe qui n’est pas né d’hier, et qui a justement fait partie de cette génération devant faire face à une nouvelle technologie musicale basée sur les logiciels et autres boîtes à rythmes dans les années 80. Car le projet WRETCH, bien que publiant son quatrième album, a vu le jour en 1984, l’année funeste de la prédiction du roman éponyme, du côté de Cleveland. Et dire que ces américains ont su faire preuve d’abnégation et d’obstination est d’une lénifiante évidence, puisqu’il leur fallut patienter jusqu’en 2006 pour enfin sortir leur premier longue-durée, très justement intitulé Reborn. C’est donc plus de vingt ans après leurs débuts que les désormais californiens ont pu exprimer leurs vues musicales de façon professionnelle, et autant dire que depuis, ils n’ont pas lâché le morceau, au point que leur seconde partie de carrière est de loin leur plus prolifique. Pensez donc, pas moins de trois albums depuis 2014, et Warriors qui avait entériné leur comeback, suivi trois ans plus tard d’un The Hunt qui ne déméritait pas, et qui terminait d’asseoir leur réputation de vieux briscards d’un Heavy Metal pur comme l’acier, et prêt à défier la robotique de son énergie analogique.
Aujourd’hui, le quintet (Juan Ricardo - chant, Nick Giannakos & Michael Stephenson - guitares, Tim Frederick - basse et Jeff Curinton - batterie) nous propose donc d’affronter nos peurs ancestrales via un Power Metal toujours aussi puissant et acéré, et rien que la présence d’une cover de nos chers et légendaires JUDAS PRIEST vous suffira à comprendre à quel genre de musiciens vous aurez affaire. Sachant en sus que la dite reprise à tendance à gonfler les burnes du morceau en question et à le transformer en boucherie Power/Thrash de première catégorie, les questions s’envoleront encore plus vite et vous saurez immédiatement que les WRETCH ne sont pas revenus sur le devant de la scène pour faire de la figuration. En termes plus simples et accessibles à tous, WRETCH est une sorte de machine à broyer les mélodies par une rythmique puissante, sans les détruire mais en les coulant en plomb pour mieux couvrir des riffs limpides comme l’acier trempé. Toujours fidèles à une recette qu’ils ont mise au point dans les années 80, les américains ne ralentissant pas le rythme, se posant pile à la jonction du Heavy, du Thrash et du Power Metal, pour un spectacle en pyrotechnie majeure, n’abusant pas de gimmicks tape-à-l’œil pour se faire remarquer. Non, ce qui les distingue de la masse, ce sont leurs capacités individuelles mises au service d’un collectif soudé, qui sait faire la différence entre astuces et réelles accroches, et chacun des neufs morceaux (le dernier est acoustique) est un hymne au Metal le plus franc et bouillonnant, ce qui donne à ce quatrième LP des allures d’achèvement complet et de revanche définitive sur le destin. Etant peu enclin à me montrer clément envers les groupes les plus insipides d’un genre que je n’affectionne pas particulièrement, mon avis se veut donc d’une objectivité totale, et si la tendance globale nous ramène du côté de la Finlande des années 90 (STRATOVARIUS) ou l’Allemagne des années 80 (HELLOWEEN), la touche de classe et de précision typiquement américaine fait la différence, et le background de plusieurs décennies du combo leur permet de se distancier de la masse.
Et finalement, Man or Machine incarne quasiment la perfection d’une approche qui ne supporte plus la médiocrité ou la banalité depuis longtemps. Et outre cette reprise impeccable du « Steeler » de JUDAS, le reste du répertoire prouve qu’il n’a pas grand-chose à envier aux plus grands légendes. Nous en sommes d’ailleurs convaincus assez rapidement, dès l’intro en title-track qui déboule sans crier gare dans la plus droite lignée des hymnes proto-Speed des nineties, profitant d’un tempo presque Thrash pour imposer ses mélodies épiques. Le chant de Juan Ricardo, dans la lignée des plus purs élancements de Michael Kiske catapulte des titres aux structures formelles dans une dimension de lyrisme étincelant, et en un seul morceau, les WRETCH nous rassurent quant à leur envie et leurs capacités à se maintenir à flot d’une nouvelle génération qui ne fait preuve d’aucune pitié. En restant classiques, mais en poussant les parties au maximum de leur puissance, les cinq musiciens balaient tout sur leur passage, partageant les tâches entre couplets qui fâchent, soli qui s’envolent et refrains qui décollent, et l’apogée de cette optique est atteinte dès le tonitruant et musclé « Destroyer Of Worlds », le genre de calotte que les WILD DOGS et le PRIEST auraient pu produire à l’issue d’une tournée commune. Evidemment, la recette est connue depuis longtemps, mais elle fonctionne ici à plein régime grâce à une implication totale, à des chœurs incroyablement efficaces, et à un volume sonore encore accentué par une production efficiente. Un son global ample, qui permet de tutoyer les cimes de la violence, mais aussi d’atterrir dans les plaines de la nuance, lorsque l’intensité baisse d’un cran (« Requiem Aeternam », formel, mais aussi brillant qu’un soleil post-apocalyptique).
Tornade qui souffle tout sur son passage, ce quatrième album est un festival de maestria, qui se permet même un triptyque de clôture ébouriffant de certitudes. « The Inquisitor Trilogy» a en effet de quoi ridiculiser bien des formations plus portées sur les clichés, car ici, ces mêmes clichés sont transformés en actes héroïques de riffs qui lacèrent les chairs et d’intonations vocales de l’enfer, pour un passage en revue de tout ce que le style compte de plus pompier et fier. Sans chercher l’épure, et loin de là, les WRETCH signent un manifeste d’amour, une déclaration d’allégeance au Power Metal le plus fier, et nous emportent dans leurs aventures sans nous avoir à l’usure. Un modèle du genre qui risque fort de servir de nouveau mètre-étalon, et qui va donner des sueurs froides aux machines qui trouveront en face d’elles des chevaliers prêts à sacrifier leurs vies pour sauver l’analogie.
Titres de l'album :
1. Man Or Machine
2. Destroyer Of Worlds
3. Schwarzenberg
4. Steeler
5. Strike Force One
6. Requiem Aeternam
7. The Inquisitor Trilogy Part I: Castle Black
8. The Inquisitor Trilogy Part II: The Inquisitor
9. The Inquisitor Trilogy Part III: Fire, Water, Salt and Earth
10. Man Or Machine (Acoustic)
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