Au final, qu’attend-on d’un bon album de Thrash ? Qu’il mule pendant quarante minutes en ne cherchant pas midi à quatorze heures ? C’est une possibilité. Qu’il finasse, glose, tourne et vire en arabesque façon Techno-Thrash ? C’est une éventualité. Qu’il nous repompe les plans les plus glorieux du Big 4 ? Pas vraiment, en tout cas plus depuis quelques années. Qu’il se focalise au contraire sur l’underground de l’époque pour nous charcler une dose de violence plus crue et moins évidente ? Qu’il tape chez les brésiliens de quoi redéfinir l’ultra-bestialité ? Qu’il pille les boucheries allemandes ? Autant de questions auxquelles il est difficile de répondre, puisqu’il n’y a pas vraiment de recette idéale. Il n’y en avait pas au départ, il y en a encore moins depuis l’éclosion de la vague old-school, et en 2019, seul le ressenti peut permettre de juger de la qualité d’une œuvre, en se basant sur sa propre perception et sa propre culture. Sous ce point de vue-là, et après avoir écouté des centaines, voire des milliers d’albums, je peux l’affirmer, le second long des serbes de KOBOLD est un grand album. Pour quelles raisons ? Parce qu’il est intense, parce qu’il est solide, parce que les performances individuelles sont notables, que la cohésion d’ensemble crève les oreilles (alors que les circonstances auraient pu laisser présager du contraire), parce qu’il possède ce grain de folie qui distingue les travaux singuliers des copies de masse, et parce qu’il contient assez d’idées et fait montre d’un culot assez dingue pour être soulignés. Mais un peu d’histoire du passé pour situer le présent.
Ce groupe né à Belgrade il y a quatre ans n’en est pas à son coup d’essai. Avec un EP et un premier album à son actif (Death Parade il y a deux ans), ce quatuor devenu entretemps power-trio s’est forgé une réputation de groupe puissant mais atypique, impression encore plus renforcée par ce délirant et exubérant Masterpace, au jeu de mot assez bien troussé. Je parlais d’une cohésion d’ensemble frappante malgré les circonstances, et au regard de l’instabilité de son line-up, KOBOLD a sincèrement du mérite d’avancer à ce rythme, puisque de la formation d’origine ne subsiste que le chanteur/guitariste Elio Rigonat. A ses côtés, Marko Stefanović au kit, depuis quelques temps, et le petit dernier, Stefan Stanojević, aka "Edwin Pickett" à la basse. Et les trois musiciens ensemble produisent un effet bœuf, en se contentant de sept longues compositions qui en remontrent à la concurrence en termes d’intensité et d’ampleur. Mais alors, et puisqu’il faut bien préciser les arguments, qu’est-ce qui distingue Masterpace de la masse grouillante de longue-durée qui encombre le marché actuel ? D’abord, une réelle volonté de s’écarter des chemins trop bien tracés, en évitant les influences un peu trop marquantes. Enfin un groupe qui ne se contente pas de braquer avec des collants sur la guitare les coffres de SLAYER, METALLICA, DESTRUCTION, KREATOR ou les plus récents VEKTOR et MUNICIPAL WASTE, et qui joue sa propre musique, qui rappelle toutefois d’autres formations moins classiques. Premier point à souligner, et pas des moindres, la voix très spéciale et suraiguë d’Elio Rigonat qui nous épargne enfin la routine des grogneurs habituels sevrés au biberon de lait Mille ou James. L’homme possède un timbre très particulier, rappelant les invectives démoniaques de l’antéchrist Paul Baloff, ou les vindictes hystériques de Sean Killian de VIO-LENCE, avec un peu de furie TOXIK pour corser le discours. Ensuite, les chœurs. Très travaillés, à l’allemande dans le fond, mais pertinents dans la forme, et pas uniquement là pour faire joli au niveau des arrangements.
Ensuite, et loin d’être anecdotique, les riffs et les structures des morceaux. Elio, outre son chant unique nous délivre un quota de plans de guitare complètement tordus, parfois francs et massifs, de temps à autres déviants et dissonants, et se laisse aller à des évolutions presque progressives sans perdre en impact. Le meilleur exemple, bien qu’il y en ait dans les faits au moins sept, reste le phénoménal et foudroyant « Ad Astra », bâti comme une orgie sonore dans une cathédrale en ruines, et qui a de sévères airs de classique de l’âge d’or. Empruntant aux combos Techno leur science de l’exactitude rythmique, aux combos germains leur efficacité, et aux américains leur précision, les KOBOLD sont capables de faire remonter à la surface les fantômes d’INFERNAL MAJESTY, BELIEVER, TOXIK, mais aussi la silhouette dégingandée de VOÏVOD (l’intro de « Vertigo » et sa disharmonie en témoigne, sorte d’entame à la Hitchcock Metal habile et dérangeante), tout en gardant une assise personnelle très prononcée. Et lorsque les morceaux imposent la brièveté, le tout tient du massacre organisé, avec licks circulaires, fioritures mélodiques, et rythmique nucléaire (« Thrash Overlords », un mélange de psychopathes entre « Strike of the Beast » d’EXODUS et « Serial Killer » de VIO-LENCE, avec des chœurs d‘outre-tombe). Dns un autre ordre d’idée, mais en suivant la piste de la concision, « Blood Drops » développe une vilaine atmosphère glauque, en mixant les pistes psychédéliques de Dimension Hatross des canadiens de VOÏVOD et le dramatisme suintant des VEKTOR (la complexité en moins), et démontre en quatre minutes que les serbes n’ont pas besoin de la vitesse pour imposer leur méchanceté.
Et même si plus de la moitié des titres dépassent les six minutes, le trio n’est jamais en manque d’inspiration, jouant avec les effets et les arrangements pour plaquer des motifs écrasants (« Fractured », qui pourrait s’apparenter à du STRAPPING YOUNG LAD revu et corrigé par un glouton de LSD des 60’s). Et en ajoutant à ce constat quelques éléments disparates mais importants comme des intros très subtiles et utiles (celle de l’ouverture « Masterpace » notamment), un son de basse gigantesque et limite Core qui en appelle à l’amour des Lilker et autre Bello, et une ambiance générale de folie et de démence, vous comprendrez assez vite que ce Masterpace aurait largement pu être baptisé Masterpiece avec moins de malice et plus de franchise. Un vrai plaisir que de tomber sur un LP qui tient compte de la tradition pour mieux l’adapter à ses ambitions, et d’écouter une musique imprévisible, mais riche et logique. Merci messieurs, et continuez sur cette voie. C’est la bonne.
Titres de l’album :
1.Masterpace
2.Deus Ex
3.Ad Astra
4.Vertigo
5.Thrash Overlords
6.Blood Drops
7.Fractured
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