May You Be Held

Sumac

02/10/2020

Thrill Jockey

Provenant des baies séchées et broyées, le sumac est une poudre à la couleur rouge foncé avec une texture onctueuse. Son goût est plutôt proche du citron et du vinaigre, c'est à dire légèrement aigre acidulé et fruité sans être astringent.

Mais bien sûr. Oh, certes, la définition est bonne prise au sens premier pour désigner cette poudre, mais quand on connaît la traduction musicale du truc, on rigole doucement dans sa barbe. Ou alors en considérant que le vinaigre et ne citron sont projetés directement dans les yeux, et la poudre enfoncée bien grave dans les oreilles. Parce que depuis sa création autour de trois mastodontes de la scène, Brian Cook (RUSSIAN CIRCLES, ex-MOUTH OF THE ARCHITECT, ex-BOTCH, ex-ONALASKA, ex-ROY, ex-THESE ARMS ARE SNAKES), Nick Yacyshyn (BAPTISTS, ex-A TEXTBOOK TRAGEDY) et surtout Aaron Turner (HOUSE OF LOW CULTURE, OLD MAN GLOOM, ex-ISIS, DRAWING VOICES, GREYMACHINE, HOLLOWMEN, JODIS, MAMIFFER, SPLIT CRANIUM, ex-TWILIGHT, ex-LOTUS EATERS, ex-UNIONSUIT), SUMAC a tout fait pour suggérer chez l’auditeur des sensations désagréables, itératives, dérangeantes, et ne s’apparente donc pas vraiment à une poudre délicate provenant du broyage de baies, mais plutôt d’un capharnaüm né du broyage de nos tympans, pourtant déjà rompus à l’exercice de l’Ambient, du Noise, du Doom, du Sludge et toute autre extension bruitiste qui le revendique fièrement. Pourtant, après trois longue-durée qui en disaient déjà pas mal sur leurs plus bas instincts, les canadiens reviennent pour ravager les restes d’une année qui ne nous a pas épargnés, et qui annonce un sorte d’apocalypse que May You Be Held décrit avec une acuité terrifiante.

Depuis The Deal en 2015, on connaît le contrat justement, tacite, passé entre ces tarés et nous. Eux doivent produire la musique la plus moite, la plus lourde, la plus sujette à des crises de claustrophobie, et nous, public, devons encaisser les coups, un par un, tenir la distance lorsque la voix s’empêtre dans les nausées les plus sombres de l’âme, plier le dos sous les coups de caisse claire massifs et épars, et entraîner notre thorax à subir la pression de graves qui ne font qu’endommager de plus en plus nos organes internes. Mais outre notre physique, c’est aussi notre mental qui subit de dommages irréversibles. Car après What One Becomes en 2015 et Love in Shadow en 2018, et ses quatre longs segments souffreteux, on commence à avoir méchamment du mal à courber l’échine et à convaincre nos pauvres neurones que cette torture est nécessaire. Elle l’est, car elle représente la quintessence de la liberté artistique extrême d’un trio qui repousse sans cesse les limites, sans jamais dévier d’un iota de sa trajectoire. Depuis le début, SUMAC expérimente, rallonge, étire les notes, accentue les stridences, monte le volume, accumule les irritations en feedback et autres grattages de cordes peu catholiques, et si son Sludge est toujours aussi maladif et dur, il devient de plus en plus affranchi de toute contrainte, pour parfois prendre des allures d’expérience lysergique des années 70, lorsque les groupes se perdaient dans des jams interminables censées les rapprocher du divin disharmonique suprême.   

Rien de neuf sur ce quatrième LP qui n’ait déjà été hurlé aussi fort sur les albums précédents. Avec cinq titres cette fois-ci, le trio de Vancouver se permet encore de très longues divagations dépassant largement le quart d’heure, notamment sur le title-track qui nous écrase de ses vingt minutes presque atteintes et de ses hurlements qui n’ont plus rien d’humain depuis la découverte du feu. Si les amateurs de Sludge poussé à bout de souffrance et de déviations sauront déjà que le nouvel album de leurs héros de désespoir comblera leurs attentes, les autres sauront aussi qu’ils n’ont plus rien à attendre d’un groupe qui répète la même formule avec plus ou moins de bonheur tous les deux ou trois ans. Après tout, Aaron Turner sait très bien ce qu’il fait et ce qu’il veut, que ce soit dans le cadre de SUMAC, d’OLD MAN GLOOM ou d’ISIS quand il en faisait partie, alors inutile d’attendre autre chose de lui qu’une accumulation de bruits sourds, de passages aussi Heavy que la terre sur les épaules d’Atlas, ou qu’une souffrance instrumentale qui ne supporte le silence que lorsqu’il annonce une reprise éléphantesque nous ôtant une fois encore quelques pourcentages d’audition. 

Elégamment produit pour que le brouet ne perde pas de son aspect compact, May You Be Held réserve des moments de Noise pur, avec ces bruits blancs que le trio adore triturer avant de replonger dans un Sludge qui s’apparente d’ailleurs plus à une sorte de proto Death/Doom vraiment maladif, nous ramenant aux origines de l’extrême américain et suédois de l’orée des années 90. On se croirait presque perdu dans un coin pas vraiment recommandable de Louisiane, avec des tarés locaux qui apprennent à jouer le NOLA alors qu’ils ne passent dans leur boom-box que dISEMBOWELMENT et quelques anciens INCANTATION. Des tarés qui ne nous veulent pas que du bien, mais beaucoup de mal, et qui préparent la grange pour nous accueillir et nous réserver un sort bien funeste. Des barges qui mettent le micro et la guitare trop près de l’ampli et qui se mettent à hurler comme des hyènes, trop heureux de savoir que cette chaise rouillée va nous entamer les chairs et nous laisser KO pour le compte (« The Iron Chair »). Alors de là, percussions erratiques, riffs qui n’en sont pas, chant qui ressuscite les morts, basse qui se contente de gronder dans le lointain, et morceaux qui accumulent les plans sans vraiment chercher à les mettre dans l’ordre. Ces musiciens-là sont libres depuis longtemps, aiment les improvisations les plus glauques, et nous mettent à l’épreuve depuis 2014 à grands coups de larsen, de médiator qui se coince dans les cordes, et de cris poussés de la chambre d’à côté et captés par un vieux micro fatigué.

La perspective n’est jamais joyeuse, mais elle a le mérite de tester votre résistance au bruit et à la fureur instrumentale la moins contrôlée. A vous de voir si l’exercice en vaut toujours la peine.               

                                       

Titres de l’album:

01. A Prayer for Your Path

02. May You Be Held

03. The Iron Chair

04. Consumed

05. Laughter and Silence


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par mortne2001 le 23/06/2021 à 18:03
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