France, Black Metal. Il est inutile d’expliquer une fois encore pourquoi la scène BM française est l’une des plus respectées au monde depuis les fameuses Légions Noires, mais on peut toujours s’étonner de la constance dans la qualité de notre production nationale. Une nouvelle preuve nous en est donnée via la seconde démo/album du projet LURE, qui en tant que one-man-band s’inscrit dans une logique misanthropique de solitude et de démarche personnelle.
LURE n’est peut-être pas connu en tant que tel, mais l’homme qui se cache derrière ce nom a déjà une solide réputation, et pas forcément dans le domaine musical. Non, car LURE cache en fait Business for Satan, tatoueur connu dans le milieu, et dont l’état civil Pierre Perichaud éclairera sans doute la lanterne des passionnés d’encre sur la peau. Et depuis quelques années, Pierre s’épanouit dans divers projets, toujours en solo, pour proposer le Black le plus âpre et dru, mais aussi l’un des plus inspirés et prolifiques. J’en veux pour preuve la durée de ce second métrage, qui dépasse largement l’heure de jeu pour seulement sept morceaux.
Trois ans après le coup de semonce initial Morbid Funeral, Pierre reprend donc l’aiguille pour une suite ambitieuse, développée et ample. Méritant plus qu’un simple entrefilet dans la rubrique News, Memories of Humanity dresse le portrait d’une humanité à la dérive, entre déni et renoncement, au bord de ce précipice à côté duquel nous jouons à colin-maillard depuis trop longtemps.
Et la chute est rude, pour le moins.
Parfaitement produit, ou produite, cet album est d’un classicisme indéniable, et d’une envie progressive manifeste. Constellé de riffs aussi froids qu’un matin d’hiver en Sibérie, aussi râpeux qu’une croute enlevée sur le bras, et sombre comme une nuit éternelle quelque part en Norvège, Memories of Humanity n’est pas sans évoquer la scène originelle, celle de BURZUM, de DARKTHRONE, avec toutefois quelques nuances. Une musicalité très prononcée via quelques mélodies acides, et un plan structuré pour ne pas nous laisser un seul instant de répit, malgré quelques cassures appréciables.
Il est assez éprouvant d’écouter cette œuvre in extenso sans avoir mal au cœur, et à l’âme. Car si nous sommes protégés par un pare-feu d’un BM rudimentaire et raw comme un os à ronger, la tendance n’en est pas pour autant à l’empathie, mais bien au désespoir, à la colère renoncée, et aux regrets qu’on remise par derrière sa veste. Inutile de nier que tout ceci fait une bande-son tout à fait honorable à notre époque de dévastation et d’inconscience, et si certains titres auraient peut-être pu être expurgés de deux ou trois minutes, la majorité d’entre eux tapent le carton plein, grâce à un flair imparable au moment d’agencer les idées les unes derrière les autres.
Eprouvant, mais cathartique. C’est ainsi qu’on pourrait définit simplement Memories of Humanity qui tient le rôle de souvenirs passés d’une humanité qui n’en était pas encore une que de nom. On sent les remords, mais aussi l’acceptation d’une époque d’égoïsme flagrant, et de cette inévitable chute dans les abysses de l’horreur, une fois que nous aurons compris à quel point il est trop tard pour faire machine arrière.
Et puis, pourquoi faire ? Répéter les mêmes erreurs ? Mais après tout, si cette dernière chance nous donne le droit de nous repaître de titres aussi amples et majestueux que « Memories of Humanity », alors peut-être est-il possible d’envisager un énième comeback de la raison, avant destruction finale. Car cette voix volontairement sous-mixée, cette guitare congelée qui fait trembler les cordes de congères dures comme l’acier, et cette rythmique polyvalente nous donnent le droit d’exiger un délai supplémentaire avant fermeture définitive des portes.
Le côté formel et traditionaliste jusqu’au bout des ongles de l’opération est sans doute sa qualité première. LURE n’a pas cherché à jouer les petits malins, et s’est inspiré de l’histoire avec un grand H du Black Metal des années 90 pour peindre son tableau, sans oser bousculer l’ordre des choses. Mais ce traditionalisme rend l’expérience encore plus profonde et violente, comme en témoigne l’impitoyable « Tempest... Death Triumphant », ou le terminal et gargantuesque « Eternal Torments... By the Winds Into Eternity ».
Acide, noir, ténébreux, lumineux, formel et impeccable, Memories of Humanity souligne les qualités de son concepteur, décidément à l’aise dans bien des domaines. Une ambiance de mort pour une fin de vie misérable, entre errance dans des rues dévastées et regard tourné vers un avenir qui n’existe plus derrière les nuages de poussière. Une dystopie effrayante, pour un cheminement passionnant, nous menant vers notre dernière demeure, fin inéluctable que nous avons tous bien méritée.
Titres de l’album:
01. Open Wounds
02. A Place Where Reality Is Worthless
03. Memories of Humanity
04. Tempest... Death Triumphant
05. The White Dragon
06. The Deathlike Silence
07. Eternal Torments... By the Winds Into Eternity
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