Il est d’usage de penser que les Allemands ont une conception du Hardcore chaotique bien à eux. Il suffit de se pencher sur quelques exemples, les ZANN ou AKELA pour en avoir une preuve tangible, mais il est certain que si les Américains ne sont pas les derniers à aborder le Hardcore par son versant le plus abrupt, nos cousins germains aiment les ascensions difficiles, piton à la main, et prêts à basculer dans le vide du chaos…qu’ils adorent remplir de sons, de cris, et de sonorités de guitare sans écho.
Je parlais d’AKELA qui visiblement n’enregistrera plus, ou du moins pas tout de suite, mais pour tous ceux que cette nouvelle attristerait, j’ai rassurez-vous un palliatif valide, à déguster toutefois en doses homéopathiques.
Les MERAINE viennent de Lüdenscheid, ville de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, évoluent sous la forme d’un quatuor (Jan. Simon. Joti et Flo), et ont donc sorti leur premier longue durée à la fin du mois de septembre cette année. Ils proposent donc un prolongement des travaux d’AKELA, dont plusieurs membres viennent d’ailleurs, mais ont procédé à quelques ajustements pour honorer leur nouvelle direction, pas forcément radicalement différente de l’ancienne.
Si AKELA se permettait quelques digressions atmosphériques et mélodiques, l’extension de l’histoire via le prisme MERAINE s’est débarrassé des inserts trop prononcés harmoniquement, pour se concentrer sur la puissance abrasive d’un Hardcore vraiment teigneux et hargneux. On connaît plus ou moins la méthode qui parfois frise les délires du Post Hardcore, mais cette fois ci, admettons que l’école Allemande a souhaité une fois de plus propager son message aux institutions voisines, en prônant une certaine forme de nihilisme musical dénué d’empathie.
Et pourtant, paradoxe oblige, c’est le titre du morceau d’ouverture de ce LP éponyme. Sauf qu’en guise de générosité musicale, les MERAINE ont préféré l’expression radicale d’un Hardcore aux limites du Crust abrasif et corrosif, sans renier pour autant leur fascination convergente vers les moteurs UNSANE et DILLINGER. Rythme enlevé, chant hurlé, nombreux breaks cassés, et riffs qui se partagent entre tronçonnages graves et lacérations stridentes, usant du feedback et du silence comme pourraient le faire les PROTESTANT s’ils battaient pavillon CONVERGE.
En gros, énormément de véhémence sourde, typique de la pratique d’un certain Hardcore vénéneux outre Rhin, mais sans toutefois tomber dans le piège de la trop grande fidélité au genre. Des libertés ? Il y en a, peu, sous une forme larvée ou abstraite, mais appréhendez Meraine pour ce qu’il est. Un terrifiant album de Core très heurté, à la puissance sourde et à la vitesse de croisière parfois largement au-dessus de la moyenne du créneau (« Rusted Veins », qui joue avec le tempo de vos nerfs en prenant un malin plaisir à ralentir de façon presque aléatoire).
Tout ceci suffit-il à faire un bon album susceptible de se démarquer de la production globale ? Oui, puisque la qualité AKELA est toujours au rendez-vous, juste expurgée de ses tics les plus…empathiques.
La structure est simple d’apparence, avec une large bordée de morceaux courts et très percutants rythmiquement, ce qui reste la caractéristique principale des groupes de cette famille, pour terminer par deux segments plus développés qui ne sont pas pour autant moins radicaux.
Ainsi, « Abandon » qui débute sous les mêmes auspices que les tranches de violence précédentes, finit par s’égarer le long d’un Dark Ambient light mais grondant, dont la surface mouvante est à peine striée de quelques notes fantômes et de tremblements venteux assez inquiétants. Puis la quiétude finit par l’emporter sur l’inquiétude, et le long morceau se fond dans le final « Marrow », qui lui aussi se complait dans une sévérité instrumentale assez corsée, avant d’oser invoquer l’esprit défunt des AKELA, pour un long fade out final tirant sa révérence conjointe au « I Want You » des BEATLES pour sa spirale hypnotique, mais aussi aux étirements sombres des NEUROSIS de milieu de carrière, ceux qui n’hésitaient jamais à éprouver le silence d’une ambiance moite et onirique.
Mais avant d’en arriver à cette conclusion somme toute fort logique, il vous faudra vous ruiner les nerfs sur sept autres titres qui ne laissent pas plus de place à la relaxation qu’un discours de Fidel Castro. On pourrait les nommer tous et les envisager comme un bloc, mais chacun possède sa propre touche, même si les points communs sont nombreux.
Que le quatuor ose la pesanteur d’un Sludgecore à touches Indus (« Entropy », et son utilisation de samples très intelligente), qu’il se lance dans une course folle d’intensité, capable de laisser les CONVERGE sur le bord de la route (« Teeth », suintant de méchanceté bavant du Crustcore par tous les pores, « Limbs », aussi peu apte à renoncer à une origine d’appellation contrôlée déposée pourtant par les créateurs de Jane Doe), ou qu’il mette les pieds de chaque côté d’une frontière entre le Hardcore acide et le Crust aride (« Black Raven », un des plus effrayants du lot avec ses fantaisies rythmiques incessantes et ses énormes riffs en nuages d’orage), prouve que le Hardcore Allemand n’a rien perdu de sa brutalité inventive, qui peut parfois sembler un peu excessive dans la douleur, mais toujours pertinente dans le malheur.
Plus vraiment de quoi regretter la fin de l’aventure AKELA, puisque MERAINE en est presque la réincarnation. Certes, les chaînes du fantôme trainent encore un peu dans les couloirs du château, mais le quatuor nouveau à su extraire la quintessence de son ancien ensemble pour la rendre encore plus létale.
Du Hardcore chaotique, du Crust frénétique, un ballet de violence à outrance qui rappelle le meilleur des enseignements US traités avec une rigueur toute germanique.
Violent mais parfois apaisant comme dans l’œil du cyclone, déstructuré à vous en donner la nausée, mais cathartique d’une certaine façon.
A voir en live, pour en apprécier d’autant plus la débauche de colère. Mais la colère est saine, et c’est un exutoire comme un autre.
Titres de l'album:
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