Projet lancé par le mystérieux Geistaz (qui se cache aussi derrière GRIGORIEN), GEISTAZ'IKA fait partie de cette catégorie de concepts créés en hommage au Black Metal norvégien des années 90, négligeant de fait tous les apports au genre depuis vingt-cinq ou trente ans. On le sait, la nostalgie est en vogue, et elle a du bon lorsqu’elle est manipulée par de véritables passionnés qui n’hésitent pas à innover dans le passéisme.
Cinq ans après l’introductif Trolddomssejd i skovens dybe kedel, déjà racheté en version physique par Signal Rex, GEISTAZ'IKA fait donc son retour par la même porte, ouverte par le même label, nous proposant près de cinquante minutes de musique en seulement cinq morceaux. Ce qui n’est guère surprenant lorsqu’on sait que l’un d’entre eux dépasse les vingt minutes de jeu.
Mais la quantité est une chose et la qualité une autre. Un bon premier album ne garantit nullement une suite à la hauteur des attentes, et c’est avec une légitime méfiance que ce Midnatsbøn ved Djævelens Port est abordé, même si les éléments à décharge pèsent lourd sur le procès d’intention.
La confiance affichée par l’exigeant label Signal Rex se devait donc d’être confirmée par la musique développée sur ce second long, qui visiblement, prône les mêmes principes que son prédécesseur. Beaucoup de traditionalisme, mais aussi beaucoup de finesse, des mélodies pures, des attaques franches, et une instrumentation assez inhabituelle qui dessine un brouillard enfumant un vieux cimetière danois.
Outre le travail de fond règlementaire, ce sont les arrangements qui fascinent et qui aguichent l’oreille. Loin de se contenter d’un sempiternel basse/guitare/batterie/chant principal, GEISTAZ'IKA impose des nappes de chœurs désincarnés, des harmonies évanescentes, des claviers sépulcraux, le tout bouillonnant dans la marmite Black old-school pour produire un ragout au fumet alléchant et au goût tenace.
Basse qui se laisse entendre sans avoir à se faire vraiment remarquer, chant empreint de formalisme mais parfaitement en place, rythmique solide et stable, la structure est classique, mais le rendu beaucoup moins. Il faut dire que le niveau sonore atteint par les idées d’arrière-plan est assourdissant, et donne le sentiment d’une expression post-mortem captée sur du matériel pointu. Piano, guitare acoustique, grondement à la LUSTMORD, accointances Folk, pour un voyage vers un ailleurs vraiment dépaysant, suffisamment en tout cas pour oublier le côté scolaire de cette scène vintage qui ne se creuse plus vraiment la tête pour remettre à jour les enseignements d’avant-hier.
Trois morceaux, deux transitions, tel est le menu de ce Midnatsbøn ved Djævelens Port qui nous permet de nous évader de la production actuelle, et qui relance le Danemark sur la scène BM internationale, ou au moins européenne. Et entre Black formel, Black atmosphérique, Black nostalgique et même DSBM parfois lorsque l’humeur s’assombrit, ce deuxième album enfonce des portes fermées à double tour pour nous faire redécouvrir l’essence même d’un genre qui n’a jamais supporté les règlementations et autres injonctions.
Construit comme un crescendo épique, Midnatsbøn ved Djævelens Port est un rêve en cinq étapes, parfaitement agencé pour que son histoire parvienne à son terme. Comprenez : les quatre premiers inserts vous guident jusqu’à cette ultime intervention, développée à outrance et dont les premières notes psychédéliques inquiétantes évoquent la scène occulte des années 70, plus que celle extrême des nineties.
« Fortabt Moribund » se laisse donc aller et n’édulcore pas ses idées pour être plus concis. Développé au-delà de toute mesure, il est la conclusion qu’un tel album méritait, et incarne le meilleur d’une scène qui sait s’affranchir des obligations pour laisser parler son inspiration.
Synthèse de ce que l‘album a proposé jusque-là, il va même encore plus loin, en plaquant des riffs terriblement accrocheurs, souvent annonciateurs d’une accélération en réflexe et de quelques irritations vocales rauques et écorchées. Les références ne manquent pas, mais il est inutile de vouloir dresser un dictionnaire d’inspiration, la façon qu’a le projet Danois de les éviter étant justement l’une de ses principales qualités.
Aussi noir que n’importe quelle sincérité diabolique, onirique, viscéral et animal, Midnatsbøn ved Djævelens Port est une perle dans un océan noir, et certainement l’un des albums les plus poétiques de cette année. Une poésie ténébreuse et macabre certes, mais dont les rimes feront le bonheur des amateurs de littérature musicale occulte et lettrée.
Il y aura donc toujours quelque chose de pourri au royaume du Danemark.
Titres de l’album:
01. Mareredet Hyrdetime
02. Bestænkt af Syndens Vievand
03. Med Korstegn og Grådkvalt Fadervor
04. Asken fra Hendes Brænden
05. Fortabt Moribund
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