La toile mondiale est devenue un vaste terrain de jeu, sur lequel chaque esprit s’amuse à échauffer les autres à grands coups d’idées, pertinentes ou pas. Les médias s’emparent de n’importe quel point de détail et lui donnent un sens qu’il n’a pas.
On s’affronte à grands coups de formules toutes faites, mais ne vous trompez pas. Il ne s’agit pas là de réelles discussions, mais bien d’oppositions d’arguments, de soliloques imbriqués pour donner l’illusion d’un échange. Trop d’informations, trop de contradictions qui s’incarnent en impasses de la liberté d’expression. Trop de gimmicks, de germes morts nés, trop de…tout.
Le résultat ? Un gigantesque cimetière de la pensée ou les tombes des « philosophes » n’ont plus de nom, puisqu’ils désiraient rester anonymes.
Le cimetière de la pensée. On pourrait disserter des heures sur ce concept…Mais finalement, le plus simple pour en comprendre les rouages serait de se pencher sur l’album de COMA CLUSTER VOID. Puisque dans son énoncé même, on retrouve toutes les composantes du problème. Le coma intellectuel dans lequel nous plongent la stérilité des fausses conversations et l’accumulation d’informations, les fameux clusters qui stockent les données et qui parfois sont trop endommagés pour continuer à fournir, et ce fameux vide…qui nous entoure.
Ce vide, les musiciens de tous horizons (USA, Allemagne, Canada) proposent de le combler avec un débit de données inconstant, débit irrégulier fondé sur l’instabilité de la connexion qui les relie au monde musical extérieur. Il faut dire que les bits défilent à une vitesse hallucinante, et que l’auditeur lambda n’aura pas toujours la possibilité d’en saisir toute la richesse.
Concrètement, les COMA CLUSTER VOID sont cinq (Mike DiSalvo (Chant), Austin Taylor (Chant), Chris Burrows (Batterie), Sylvia Hinz (Basse), John Strieder (Guitare)), se sont assemblés en 2013, sont fascinés par l’ultra dissonance d’un monde qui ne trouve plus l’équilibre harmonique d’une pensée plurielle, mais aussi la dissonance musicale, poussée à son paroxysme, et surtout, par l’exploration d’un extrémisme bruitiste qui les pose en pionniers plutôt qu’en suiveurs.
On le sait depuis longtemps, le Death Metal technique a ses chantres, ses figures de proue, et lorsqu’on aborde le cas de ce groupe cosmopolite, on ne peut éviter de mentionner des noms fameux, histoire de situer un peu le contexte qui de toute façon échappe à tout contexte.
Alors, référons. DEATHSPELL OMEGA évidemment, DILLINGER ESCAPE PLAN, surement, GORGUTS pour la violence travaillée et triturée, et puis MESHUGGAH pour cette gravité de son et ces répétitions mécaniques huilées comme un fusil prêt à tirer. La nouvelle vague aussi, les KHARIOT, INTONATE, et je ne m’amuserai pas à tous les coucher sur papier pour vous faire plaisir. Le plaisir, vous le retirerez ou non de l’écoute de Mind Cemetaries, qui contemple benoitement les sépultures des fausses icones tombées au combat de l’inutilité en proposant leurs propres gerbes de fleurs monochromes.
Le premier à avoir déambulé dans les dédales de la froideur du marbre de la réflexion fut le compositeur et guitariste d’avant-garde John Strieder, vite rejoint par la fantastique bassiste Sylvia Hinz. Le noyau dur fut vite complété par un duo de vocalistes dont un plus fameux que l’autre (Mike DiSalvo, ex-CRYPTOPSY), et cimenté par un batteur d’expérience capable de jouer la déconstruction rythmique. Une fois l’équipe assemblée, la direction fut prise, et fut multiple et ouverte.
Un Death Metal sombre et puissant, animé de pulsions automatiques héritées du Chaotic et du Mathcore, le tout traité avec forces dissonances, stridences, instabilité et pluralité. Le résultat produit fut vite raccroché à la locomotive de la nouvelle école du Death technique prônée par les groupes mentionnés en préambule, mais il faut reconnaître que le rendu va beaucoup plus loin qu’une simple recherche mathématique de violence exacerbée, même si la musique peut guider vers ce résumé.
Mais il est très difficile de juger sans approfondir. On pense évidemment à une version négative et accentuée des travaux les plus denses de MESHUGGAH, à cause de la profondeur de cette fameuse guitare dix cordes, dont la régularité instable serait remise en cause par les préceptes du Mathcore et du Hardcore chaotique tels qu’ils furent posés par des ensembles tels que DILLINGER évidemment, mais aussi CONVERGE et CANDIRIA.
Le tout est joué avec l’animosité d’un Death à la GORGUTS/SUFFOCATION, pour rendre le monolithe encore plus compact, mais fissuré par une utilisation constante de la disharmonie, poussée elle aussi à son extrémité la plus absolue.
Et finalement, on ne sait plus vraiment dans quel courant de pensée situer Mind Cemetaries. Alors on l’écoute, on souffre beaucoup puisque la musique en elle-même est assourdissante et assommante, et le seul fait que l’on puisse établir après analyse est qu’on n’a pas vraiment entendu ça auparavant.
Le groupe ne crache pas sur un brin de musicalité, déformée bien sûr (les quelques passages vraiment chantés de « Petrified Tears », l’intro étrange et pénétrante de « The Hollow Gaze »), et sait parsemer ses fulgurances rythmiques de quelques blasts qui densifient encore plus la chose, tout en signant un morceau lourd, pesant au motif presque mémorisable (« Everything Is Meant To Kill Us » illustré d’une vidéo, et la construction la plus proche des fièvres les plus carabinées de CONVERGE époque Jane Doe, accentuées par la moiteur d’un GORGUTS vraiment nauséeux).
Mais chaque morceau à dire vrai en est un de bravoure, que le choc soit frontal et totalement Math Death (« Iron Empress » qui réduit le rythme à une emprise Sludgecore suintante), ou si violent et hideux qu’il laisse avec un son amer dans les oreilles (« All Bitter Endings », les mêmes pistes que précédemment, mais suivies jusqu’à l’impasse mélodique la plus inquiétante). En somme…Une nouvelle créature qui assume un héritage déshumanisé et qui admet que le flux d’informations créé le vide total et l’absence de réflexion.
Avec des featuring vocaux de Lord Worm (CRYPTOPSY) et Will Smith (ARTIFICIAL BRAIN), mais aussi une participation instrumentale d’Alexa Renger (violon) et une incursion de John Strieder au violoncelle, Mind Cemetaries se pose en fin de compte en symphonie de l’outrance qui refuse les barrières et nous plonge dans une cacophonie de sons qui finissent par former un opéra impossible, saturé de violence et nous plongeant dans le chaos.
Un album qui fonctionne comme une connexion de fibre optique qui débite des données à une vitesse hallucinante et de façon aléatoire, et qui finit par donner tellement d’informations que notre pauvre cerveau est incapable d’y faire le tri.
Inédit, impalpable, violent, arythmique, indécent dans la débauche et pourtant essentiel. Un pas de plus vers l’absolu, pour peut-être toucher du doigt le néant qui nous entoure. Et qui est subtilement déguisé en masse de données. Que personne de toute façon ne prend le temps d’interpréter. Jusqu’à ce que nous tombions tous dans un coma prononcé lorsque nos neurones seront vides et ne pourront plus stocker la moindre ligne de code humain.
Titres de l'album:
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