Depuis leur émergence dans les mid 2010’s, les portugais de GAEREA n’ont eu de cesse de repousser leurs limites, mais aussi celles d’un Black Metal progressif, évolutif, polymorphe, et cette volonté de faire tomber les barrières leur a valu une énorme fanbase, qui est allée au-delà des gimmicks, des masques, des symboles et autre décorum ésotérique. On sait pourtant depuis longtemps que l’image joue un rôle très important dans la popularité d’un groupe, et le quintet de Porto l’a bien compris, offrant ainsi un packaging complet à son public, mais surtout, des albums d’une noirceur et d’une originalité équivalente.
Toujours épaulés par Season of Mist, GAEREA perpétue cette tradition d’un album tous les deux ans, allonge encore un chouïa la durée, pour se rapprocher dangereusement de l’heure de jeu, avec des titres de plus en plus conséquents. Mais qui dit rallonge ne dit pas forcément dilution d’idées ou répétitions hasardeuses : Mirage n’en est donc pas un, et exhibe avec fierté toutes les qualités d’un groupe unique, aussi pointilleux que barbare.
Emergeant de la solitude d’une période de pandémie, entre doutes et craintes, Mirage est - sans jouer sur les clichés - l’album de la maturité pour les portugais, qui ont décidé de passer à la vitesse supérieure. Cette ambition est palpable dès « Memoir », long de huit minutes, et qui oppose un canevas Post Black à une violence extrême qui est difficile à définir. Ainsi, mieux vaut se référer au Metal extrême en parlant de GAEREA, plutôt qu’à un simple Black Metal, car la richesse de leurs orchestrations et leur puissance tout bonnement époustouflante méritent mieux qu’une petite étiquette réductrice.
Huit titres, une ligne directrice, un son gigantesque, un regard tourné vers l’avenir mais qui synthétise le passé, une sorte de transition entre 2020 et 2022, deux années bien différentes et qui pourtant sont liées par un même destin : la tragédie, l’isolation, la perdition, la dépression, et la rage finalement, qui oblige à aller de l’avant malgré les heurts et les heures.
Décrire la musique que contient ce troisième album est difficile. On reconnaît bien sûr les ingrédients de base d’un BM formel et concentrique, mais on note aussi une volonté de s’en extirper sans loucher vers le Post ennuyeux et redondant. Ainsi, entre Death explosif et BM noir comme la nuit, GAEREA nous lacère les chairs, nous mine l’audition, sans concessions, mais avec une férocité qui s’accentue avec les années (« Salve »).
On pense parfois une version sophistiquée de 1349, mais une version méchamment améliorée, qui n’hésite pas à jouer avec les codes de l’Industriel pour appuyer sur la lancinance et la pesanteur (« Deluge », moite, robotique et clinique), ou qui au contraire s’abreuve à la fontaine de la mélodie pour créer une longue suite brûlante, en parfaite adéquation avec son titre (« Arson », qui brule vraiment tout sur son passage, cendres comprises). Impitoyable, le quintet fonce, bouscule, renverse, mais le fait avec un panache éclatant. L’album brille de mille feux, se veut aussi cruel que transposition fidèle de notre époque, entre harmonies maladives et prêtes à crever et assauts rythmiques impitoyables et témoins du temps qui passe de plus en plus vite et nous rapproche de la fin.
Décliné en double vinyle avec deux morceaux par face, Mirage exige donc une attention toute particulière. Il ne fait pas partie de cette caste vulgaire d’album instantanés, qui s’apprécient et s’oublient aussi rapidement, et demande des efforts d’immersion pour révéler toute sa richesse. Si la première impression est celle d’une cohésion d’ensemble et de plans trouvant un écho de titre en titre, les détails se révèlent avec l’insistance et la persévérance, entre classicisme et tradition, pour un voyage dans un désert d’émotions que l’on appelle encore « existence », sans trop y croire.
Le vrai Mirage est donc celui d’une rédemption possible, et d’un destin pris à rebours. On veut y croire, on veut penser que tout est encore possible, même si l’on sait pertinemment que nous sommes allées trop loin pour revenir. De fait, la brutalité outrancière d’un « Mirage » et ses coupures illustre à merveille cette prise de conscience qui nous ramène à la réalité, sans ménagement.
Parfait de bout en bout, décoré régulièrement d’arrangements idoines, Mirage est un constat impitoyable, mais aussi un sommet de créativité, qu’on admire de près pour mieux l’observer de loin. On déguste avec délice cette bestialité froide et rigide, ce formalisme dévié de sa trajectoire pour épouser le concept (« Mantle »), et on reste bouche-bée, un peu assommé, vraiment résigné à enfin accepter notre destinée : la mort, l’oubli, et le purgatoire pour une éternité à venir.
GAEREA signe et soigne là l’album de Black de cette rentrée 2022, et hisse encore un peu plus la barre des exigences en matière de violence instrumental. Du Metal extrême dans le sens le plus noble du terme, pour une traversée du désert éprouvante et bouillante. L’enfer est parfois sur terre, et cette fois-ci, il compte bien y rester.
Titres de l’album :
01. Memoir
02. Salve
03. Deluge
04. Arson
05. Ebb
06. Mirage
07. Mantle
08. Laude
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