Beaucoup se demanderont si le Grind a encore une quelconque pertinence en 2018. Puisqu’après tout, le style semble avoir tout dit depuis son émergence à la fin des années 80, via quelques pamphlets définitifs gravés pour la postérité bruitiste par des flingués comme NAPALM DEATH, CARCASS, TERRORIZER, REPULSION, NASUM, BRUTAL TRUTH et quelques autres égarés de la cause mélodique. Pourtant, je ne peux m’empêcher d’y voir une Catharsis moderne parfaitement adaptée à notre époque, pour peu que ses pratiquants actualisent son approche pour ne pas trop l’ancrer dans un passé qui se veut presque révolu. On le sait, les anglais et les américains en restent les rois incontestés, trône qu’ils partagent de temps à autres avec leurs amis scandinaves, qui ne sont jamais les derniers à en repousser les limites. Pourtant, du Canada a surgit il y a quelques années une créature immonde, bien décidée à apporter son canon à la destruction de l’édifice, et sa science millimétrée à la déconstruction de l’harmonie la plus rachitique. Ainsi, j’avais découvert le potentiel énorme des WAKE à l’occasion de la sortie de leur troisième longue-durée Sowing the Seeds of a Worthless Tomorrow, qui faisait suite à deux premiers jets acides, Leeches en 2011 et False en 2013. Ce postulat m’avait pris de court, mais m’avait surtout fait appréhender la réalité d’un extrême qui tout en réfutant ses propres limites, savait encore rester intelligible tout en poussant les murs de l’incompréhension. J’y avais décelé des traces d’évolution dans la déévolution, théorie d’écroulement prônée par les DEVO il y a quelques décennies, sous une nouvelle forme, constructive autant qu’elle n’était destructive. Et aujourd’hui, via ce quatrième né (pas beaucoup plus grand que les précédents, mais un peu plus quand même), mes soupçons se confirment à l’écoute de ce terrifiant Misery Rites, qui n’est autre qu’une exploration des traumas personnels d’un musicien en proie aux affres de sa propre nature.
« Misery Rites est un concept axé autour de mes combats personnels contre la dépression, l’addiction, la solitude et leur cycle perpétuel dans lequel je me retrouve prisonnier, encore et encore. Mais certains morceaux s’éloignent de ce thème, pour se focaliser sur diverses incarnations de l’arrogance humaine. »
C’est ainsi que Kyle Ball, chanteur des WAKE définit ce quatrième album, qui loin de tout étonnement, se concentre sur une violence de ton omniprésente, empruntant au Grind son radicalisme, mais se permettant aussi de piquer au Doom sa lourdeur de fardeau, au Crust sa véhémence de propos, et au Sludge limite Indus ses obsessions en forme de boucles. C’est donc à une illustration des impasses limitant le chant d’action d’un homme face à ses démons que nous affrontons, et force est de reconnaître que le résultat est aussi effrayant qu’un patient du docteur Janov devant expurger son âme des traumatismes de son enfance en un ultime cri glaçant les sangs. Si Sowing the Seeds of a Worthless Tomorrow montrait déjà des signes de glissement vers une ultraviolence dérangeante, Misery Rites va encore plus loin dans la fascination pour les zones les plus sombres de l’âme humaine. On y retrouve évidemment toutes les composantes nihilistes de ce groupe hors normes, cette façon de malmener la vitesse pour la faire entrer dans un cadre d’exploitation optimal, ce chant si caverneux et lucide quant à sa capacité d’exhortation, cette rythmique en chien de fusil capable de lâcher les blasts les plus radicaux tout en pilonnant le moral d’une frappe Heavy assurée, et surtout, cette multitude de riffs lâchés comme autant d’arguments abondant dans le sens d’une impossibilité de s’extirper d’une schizophrénie latente. Car le quintette canadien, à l’instar d’une poignée de ses collègues, est une assemblée de véritables passionnés du genre, qui cherchent à le transcender, et non à s’y adonner par facilité. Et si les accointances stylistiques poussent les originaires de Calgary à s’aventurer de plus en plus sur une voie Death Metal, et limite Deathcore par moments (à comprendre par un mélange de Death et de Hardcore, et non par cette extension bâtarde et infâme qui nous vrille les oreilles depuis des années), le fond de leur pensée n’a pas changé leur pratique, qui privilégie toujours les secteurs de jeu les plus dangereux.
Il n’est donc pas étonnant parfois de penser à des références réactualisées, comme les PRIMITIVE MAN, NAILS, ou même une grosse partie de l’écurie Throatruiner, influences que Misery Rites valide à chaque instant. Mais avouons-le, la progression dantesque affichée par les WAKE commence à faire salement peur. En rivalisant d’intensité avec les derniers jets des horribles FULL OF HELL, tout en louchant du côté de leur passé où ils risquent de sombrer à chaque seconde, les canadiens ont choisi la solution la plus viable pour s’assurer un avenir traumatique, mais étonnamment jouissif. En maintenant une fois de plus la montre sous la demi-heure fatale, ils constatent les dégâts occasionnés par les pathologies sur leur propre organisme, et nous poussent à réfléchir à notre propre condition, sans influencer notre libre-arbitre. Et dès l’entame grondante et tonitruante de « Exhumation », le quintette pose les jalons des déflagrations à venir en entamant leur nouvel effort de la façon la plus biaisée qui soit. C’est bien là que le parallèle avec PRIMITIVE MAN prend tout son sens, à cause de cette épaisseur dans la lourdeur bien sûr, mais aussi par cette approche résolument traumatique d’un Death bruyant, aux contours Hardcore, qui ose le feedback comme excuse, tout en semant des guitares aux thématiques arides et acides en chemin. C’est pesant, éprouvant, mais on sent d’emblée que le groupe ne va pas se contenter d’un chapitre supplémentaire, ce que le title-track confirme dans la foulée. Multiplicité des thèmes rythmiques, maelstrom de sons qui se télescopent à grande vitesse, et urgence dans la folie, via ce besoin non d’aller mieux, mais de comprendre pourquoi on va de plus en plus mal. Symptomatique d’une époque d’égocentrisme forcené, ce nouvel album nous jette la réalité en pleine face, et démontre que le Grind, manipulé par des experts peut encore aller plus loin que ses dogmes de base, et réfuter tout principe de répétition en s’ouvrant à d’autres influences.
On sent que les mecs composent avec les tripes, mais aussi avec leurs neurones, puisque chaque seconde de ce quatrième LP se valide automatiquement en termes de créativité. On y retrouve la brutalité intrinsèque des plus grandes figures, mais aussi la touche personnelle d’un groupe qui avance quoiqu’il arrive, jusqu’à atteindre une sorte d’apogée dans la souffrance sur « Burial Ground », final définitif, qui se permet même de taquiner les ténèbres d’un BM fortement connoté Core, un peu comme une solution qui n’en est pas une proposée conjointement par les NAILS et la scène BM canadienne. Et de saillies instantanées hurlées comme un cri Grind de la dernière chance (« Rumination »), en allusions d’ultraviolence pures sinuant entre les genres pour imposer le leur (« Paradigm Lost », Doom, Sludge, Grind, Death, pour un ciel plombé), Misery Rites prend des airs de journal intime rédigé d’une plume de sang. Et tant que des hommes comme Kyle Ball souffriront sans pouvoir envisager une porte de sortie, le Grind continuera d’être le style le plus essentiel de l’extrême, sans que sa légitimité ne soit remise en doute. Conclusion terrible pour le moral, mais rassurante.
Titres de l'album:
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21/11/2024, 08:46
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