La première chose que l’on remarque lorsqu’on découvre le second album du projet australien TYRANNIC est qu’il se termine par une intro. Caprice ou petit pied de nez à la logique, le détail n’est pas anodin. Ce qu’on remarque ensuite, c’est que Mortuus Decadence est distribué par la référence allemande Iron Bonehead, qui ne s’embarrasse pas de sous-produits encombrants. Et puis finalement, on prend acte de la durée des morceaux, approchant pour la plupart les dix minutes, ce qui n’est pas chose rare dans le Black Doom. Mais les habitués du genre ont déjà découvert ce trio/duo de Sydney, qui depuis 2012 partage ses humeurs via des splits, des démos, des compilations, mais aussi un premier longue-durée, paru en 2018 et baptisé Ethereal Sepulchre.
La scène extrême australienne étant l’une des plus fertiles en bizarreries, on s’intéressera donc de près à cette découverte, si tant est qu’elle en soit une. Ethereal Sepulchre posait déjà les jalons de la philosophie, qui se voit ici développée en plein format, de façon très homogène et agréable. Loin d’un produit lo-fi, ou d’une énième exaction minimaliste à donner des cauchemars aux ORL, Mortuus Decadence est une expérience agréable artistiquement parlant, avec ses nombreux thèmes et changements de cap, mais aussi en termes de confort de son, grave, profond, mais juste assez sec pour éviter le mainstream de la violence.
Considéré comme un 12’’, ce second chapitre de la saga TYRANNIC est pourtant un véritable album, disponible dans tous les formats. Et si Iron Bonehead, en bon puriste vintage s’occupe du vinyle, c’est Seance Records qui distribue le CD et la tape. De tout pour tous les goûts donc, et après une écoute répétée de l’objet en question, je me dois d’admettre que son achat est totalement justifié. D’une part par la qualité de ces chansons qui ne s’éternisent jamais pour ne rien hurler, mais aussi pour l’aspect théâtral de l‘entreprise.
Car loin du Black/Doom basique à la litanie unique et forcée, Mortuus Decadence accumule les idées, les plans, empile les dissonances, les cassures rythmiques étranges, et impose une atmosphère vraiment bizarre, aux confins de l’onirisme cruel et de la rêverie maléfique. Sa violence est pourtant très concrète, et les passages purement Black Metal le sont, sans ambiguïté possible. Les blasts sont percutants, les riffs classiques mais effilés et tranchants, et le chant grave fait office de sentence prononcée depuis un désert australien quelconque, en attendant l’apocalypse.
Mais la troisième chose qu’on remarque en écoutant cet album, est justement l’importance donnée à l’interprétation, qui n’hésite pas à verser dans la grandiloquence et à provoquer le ridicule pour atteindre son but. Et le ridicule est justement évité par cette exubérance, qui transforme les hurlements en litanie opératique caverneuse, comme des injonctions émanant d’une crypte cachée au fond des temps et âges. On pense évidemment aux tonalités adoptées par MAYHEM sur son chef d’œuvre De Mysteriis, mais TYRANNIC est bien loin de l’univers des norvégiens, ce qui n’est pas la moindre de ses qualités. Il est ainsi très difficile de les affilier au Doom, malgré la lenteur effective de certains passages, et plus simple de les rapprocher d’un Black Metal processionnel qui emprunte quelques astuces au Doom pour exprimer les émotions idoines. En résulte un album fascinant, variable dédale d’humeurs toutes aussi sombres et vicieuses les unes que les autres, mais constamment boosté par des accélérations bienvenues, par des écrasements douloureux, et par une alternance vocale le confinant au jeu expressionniste d’un chanteur vraiment investi par son rôle de conteur noir.
N’importe quel morceau pris au hasard est symptomatique de la démarche du groupe. Ainsi, pas de mauvaise surprise en tombant sur un passage étrange et isolé, mais un sentiment de plénitude dans l’agencement et de logique dans la construction. Dès lors, si vous êtes fans de shuffle et de lecture aléatoire, « Tormented by Deathly Cataract », « Osmos Burial » ou « Mortuus Decadence » feront l’affaire pour envisager une écoute intégrale, chacun disposant de ses propres qualités.
Les fans de vrai Doom souffreteux mais mélodique opteront pour le lancinant « Osmos Burial », procession nocturne nostalgique, qui contient lui aussi son lot de déviations et de modulations vocales. Les accros au BM plus classique se rueront sur « Mortuus Decadence », vilain, déformé et franchement dégoutant, mais tous les amateurs d’extrême trouveront leur compte sur ce second chapitre de la saga TYRANNIC. Tyrannie des sens ou tyrannie des sons, Mortuus Decadence est d’une décadence délicieuse, et d’une fertilité remarquable.
Et ce qu’on remarque au final, est la qualité globale du projet qui ne repose pas que sur quelques gimmicks pour trouver un sens à son existence.
Titres de l’album:
01. Mortuus Decadence
02. Singe of Orgiastic Waste
03. Tormented by Deathly Cataract
04. Night Plague Manifest
05. Osmos Burial
06. Introduction
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