L’homme est un loup pour l’homme. Mais certains loups sont des loups pour les loups, ce qui nous entraîne dans un paroxysme assez intéressant. Il serait assez simple de ramener la chose aux psychopathes, serial killers, mais sans aller aussi loin, les hommes politiques, les businessmen, mais aussi les machos, violeurs et autres questionneurs d’un genre qui se doit d’être unique pour eux font aussi partie de cette meute dangereuse que la société protège de règles édictées…par des hommes. Non, la société n’est pas égale, ni belle, non le politiquement correct asséné comme un mantra n’a pas changé les mentalités, et il en reste toujours dans le fond et même les premiers rangs à parler de « salopes », de « cons de pauvres », de « marionnettes » et de « pédales », et le vernis d’un discours policé n’y changera rien. Pour faire évoluer les choses et muter les mentalités, il ne faut plus discuter, argumenter ou essayer de ménager la chèvre et le chou, il faut hurler, il faut casser, il faut détruire le mur des inégalités et de la violence…par la violence. Et ça, les américains de HIVE l’ont bien compris, au moment de sortir leur album distribué conjointement par deux labels référentiels, Crown and Throne Ltd et Seeing Red Records, deux refourgueurs de haine musicale dont la réputation underground n’est plus à faire. Alors, et sous couvert d’une labellisation qui se veut plutôt réductrice, nous parlons donc de Blackened Crust et de D-beat, deux genres qui se sont durcis au travers des années, et qui aujourd’hui trouvent une acmé apocalyptique à faire froid dans le dos. Venant de Minneapolis, HIVE se veut donc le mégaphone d’une rage non contenue, qu’il a déjà livrée en moyenne et longue durée, testant son ire via le terrifiant Parasitic Twins en 2017 et un EP éponyme en 2015. Mais autant mettre les choses au point et affirmer que cet implacable Most Vicious Animal va encore plus loin, renforce le son et les prises de position, et se pose comme l’album de Crust/D-beat d’une année pourtant chargée en explosions.
Trio (Jim Adolphson: basse/chant, Morgan Carpenter: guitare/chant et Mike Paradise: batterie), HIVE est le type même de groupe qui place la puissance intelligente au centre des débats. Mais sans renoncer à une urgence qui leur est indispensable, puisque ce second long a été capté dans des conditions live, en deux jours, respectant les dogmes de l’esprit Hardcore à la lettre pour ne pas perdre l’énergie en route. Fixé sur bande dans un marathon de deux jours au studio The Hideaway de Minneapolis avec l’ingé-son Dan Jensen (depuis devenu quatrième membre du combo), et évitant les artifices de production, Most Vicious Animal est un mur du son à rendre fou de rage un homonyme suédois de Phil Spector, tant il reprend à la lettre les commandements scandinaves en termes de Hardcore dur et sur. Masterisé avec soin par Jack Control au Enormous Door Mastering pour ne rien perdre de la colère, ce deuxième album est un concentré de haine pure dirigé à l’encontre des hommes politiques véreux, des phallocrates et autres agités du poing, qui se souvient aussi des conséquences dramatiques de l’histoire (avec un morceau consacré à Hiroshima et Nagasaki), mais surtout, un manifeste de Crust, de Hardcore et de D-beat d’une telle intensité que les murs en trembleront encore pendant des années. Si les suédois sont longtemps restés les maîtres du genre et la référence ultime, ces trois américains remettent en cause leur leadership de leur talent naturel, et nous livrent l’album le plus sauvage et grave de la création, un peu comme si les DISCHARGE se retrouvaient produits par IMMORTAL BIRD sous la direction artistique nihiliste de NAILS et CURSED. Tout est fait ici pour ne pas travestir la réalité et rendre les faits moins graves qu’ils ne le sont, et l’atmosphère globale, étouffante et glauque nous enserre la gorge de son réalisme cru, le tout sous couvert d’une musique aussi agressive que rageuse.
Et plus qu’un simple disque, Most Vicious Animal est un cocktail Molotov balancé dans la vitrine de la complaisance, une réaction épidermique, un énorme cri primal, et la réaction des justes envers les corrompus et les déviants de la moralité. On y sent un besoin viscéral de traduire la réalité dans un vocabulaire musical aussi dense qu’effrayant, ce que l’intro « Waste of Man » prouve de son énorme mise en jambes. Son gigantesque, batterie captée live pour ne pas perdre le choc de la moindre frappe, guitare qui occupe l’espace sonore avec une écume bavant des cordes, et évidemment, un chant grave et éraillé, qui éructe ses vindictes sans aucune honte ni retenue. Difficile de croire que seuls trois musiciens ont enregistré cet album, tant la production donne le sentiment d’avoir rameuté tous les instrumentistes de la ville, mais HIVE redonne tout son sens à l’expression Power-trio, réfutant les idées trop surfaites pour se concentrer sur l’essentiel. Beaucoup de noms ont été cités pour placer les américains sur un échiquier, de ceux que j’ai moi-même employés à POISON IDEA, HIS HERO IS GONE, RISE FROM THE ASHES, DAMAD, ou DROPDEAD, soit la quintessence de la violence musicale la plus brute, mais si toutes ces allusions ne sont pas pertinentes à cent pour cent, elles permettent au moins de mesurer l’intensité des déflagrations que sont « Fear of a Female Planet », habile démarquage nominal des PUBLIC ENEMY, qui cavale comme si toute l’histoire du Crust anglais et suédois était à apprendre par cœur pour des lendemains plus qu’incertains. S’appuyant donc sur un son dantesque, le trio ose à peu près tout, des dissonances d’intro qui rappellent la scène Anarcho-Core anglaise des eighties (« Threaten »), jusqu’aux saillies les plus lapidaires et instantanées possibles (« Chains of Apathy », même NAPALM DEATH n’a jamais torché un truc aussi maousse). Et chaque intervention est à sa place, mais ce qui choque le plus, au-delà de cet investissement qui tient des vœux prononcés, c’est cette production qui donne le sentiment que le groupe répète dans la pièce à côté…Rarement son n’aura été si ample et brut, et l’aura qu’il confère à Most Vicious Animal rend l’album encore plus dangereux, si besoin en était.
Beaucoup d’habitués, et même des néophytes me diront que tout cela reste classique dans l’optique, et ils n’auront pas totalement tort. Mais ça n’est pas l’effet de surprise qui compte ici, c’est l’intensité dégagée, et cette résignation dans la haine qui marque les esprits de ses désillusions, comme le démontre si bien le lourd et oppressant « Deceiving Days ». Un disque d’utilité publique, terriblement bien ancré dans son époque de mal-être et de souffrance, et un discours branché sur les haut-parleurs de la révolte, qui si elle éclate de cette façon, détruira tout pour reconstruire autrement. Tsunami musical, HIVE se pose en leader d’une contestation Hardcore loin des facilités et des gimmicks, et nous oblige à voir la triste réalité en face. Exercice difficile, mais Ô combien libérateur.
Titres de l’album :
1.Waste of Man
2.Fear of a Female Planet
3.Threaten
4.Deceiving Days
5.Turing Test Subject
6.Human Jaw
7.Most Vicious Animal
8.Chains of Apathy
9.Passenger
10.Ritualized Crime
11.Immunity
12.Tomorrow Will Be Worse
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