Du NOLA Doom ? Quoi, genre DOWN qui tape le bœuf avec TROUBLE ? Le gros Phil et Kirk qui s’en vont en ballade pour remplir les bouteilles avant de faire cramer les feuilles ? J’imagine bien le trip tapé par ces deux-là, du côté de la Nouvelle-Orléans dans un coin peinard de forêt, sûrs de ne pas être dérangés. Ils se tapent alors des barres en reprenant de vieux riffs du SAB’, façon BLUE CHEER, et se gaussent de leur propre passion, complètement défoncés, mais hilares. J’aime bien le tableau que ça dépeint, sauf que finalement, la scène n’implique ni l’un ni l’autre, mais un autre groupe de Louisiane, qui a bien retenu leur façon de faire rouler un quatre feuilles. Le briquet dans la poche, le médiator dans l’autre, les LEAFDRINKER, c’est un peu une façon de voir le CORROSION OF CONFORMITY des années 90 à travers les yeux de KYUSS et CROWBAR. En version moins sale, plus underground, mais terriblement Rock. J’imagine très bien la bande dans les années 60, escortée par une horde de Hell’s Angels, allant jouer un nouveau concert pour choquer les hippies et repousser le record de décibels des WHO. Fondé je ne sais quand par je ne sais qui, le collectif LEAFDRINKER nous assomme depuis 2017 avec un maximum de réalisations, dont trois EP’s à la suite, Remnants en 2017, Planeswalker et Settlers of Kratom en 2018, avant de nous asséner le coup de grave en 2019 via un premier longue-durée, Nothing Grows. Mais il m’étonnerait que rien ne pousse par chez eux, au moins des champignons un peu spéciaux et une bonne herbe qu’on fume quand le soleil se lève, qu’il pointe à midi, qu’il décline à seize heures, et qu’il se couche à vingt-deux. Un peu toute la journée donc, pour se souvenir du premier choc de la vague NOLA des nineties, celle initiée par les bouseux du coin, EYEHATEGOD, DOWN, et puis aussi les ACID BATH tient, pendant qu’on y est.
D’ailleurs, Nausea provoque un peu le même genre de nausée qu’on a ressentie à l’écoute de When the Kite String Pops, le culot et le dégoût en moins. Ici, on joue Heavy, mais aéré, pas trop claustrophobe pour ne pas refiler de bad trip, guitares en avant, mais basse qui roule des mécaniques à la Rex Brown, malgré un groove totalement absent et une fascination pour les thèmes les plus lourds et poisseux. Poisseux, mais pas trop, poisson ou verseau, je ne sais pas, mais ce second LP doit avoir un méchant bon thème astral vu les sensations épidermiques qu’il donne. Sorti à compte d’auteur, il représente en quelque sorte le classicisme du sud des Etats-Unis dans toute sa splendeur, mais aussi le meilleur de ce mouvement d’ours mal léchés qui voient l’évolution du Heavy d’un mauvais œil. Et c’est ainsi que doté d’une production méchamment rêche et abrasive, le trio (J. Romagosa - guitare/chant/textes, L. Condes - batterie et un peu de guitare, E. Cole - basse et un peu de guitare aussi, on partage) nous délivre un genre de journal de bord d’une journée comme les autres pour eux, passée, à composer, à picoler, à fumer, pour accoucher de morceaux à la lisière du Doom et du Stoner salement psychédélique. Un peu 13TH FLOOR ELEVATORS, beaucoup BLACK SABBATH, un peu ST VITUS, vachement DOWN et EYEHATEGOD, subtilement Desert Rock, mais pas celui qui vous emmène à Joshua Tree, celui qui vous perd dans le sable le gosier asséché, et prêt à sucer un cactus.
C’est formel, ne le nions pas, mais avec ces interludes malins qui ne durent qu’une poignée de secondes, ces longues digressions en forme d’improvisation, l’album est très bien agencé, et ne lasse jamais, un bon point pour ce genre de musique. Ce qui n’empêche guère les musiciens d’appuyer, de faire mal, d’insister, jusqu’à ce que la corde de mi lâche, pour aller jusqu’au bout du truc. Doom, certes, mais pas uniquement, malgré des machins qui pèsent sur l’âme comme « Charybdis », mais qui finalement cèdent sous les coups de boutoir du Rock, puisque c’est bien de ça dont il s’agit. Du Rock joué Heavy certes, mais libre, affranchi des contraintes de la musique trop calibrée, pour se sentir vivant, et penser qu’on fait finalement ce que l’on veut. Et moi qui ne suis guère tenté par l’exercice, me suis laissé prendre au jeu, et j’ai même accepté de tirer une taffe sur le bong pour me mettre dans l’ambiance. Cette ambiance bizarre et changeante comme une humeur sous stupéfiants, qui passe de la montée d’adrénaline courte mais euphorique (« Father Inire's Mirrors »), à la transe qui danse et module le paysage (« Scylla »), jusqu’à avoir la foi en un Dieu qui peut être n’importe lequel, mais qui pardonne tous les péchés avec un rictus complice. Tiens, ce Dieu-là aime le fuzz, les gros riffs qui rebondissent sur les toms, et qui provoquent le spectre encore vivant d’Ozzy pour animer une witchboard DOWN (« Bad Faith »).
Rien à dire, les hôtes savent recevoir, avec peu (un pack de bière, mais fraîche, peut-être un reste de pizza, ou du poisson), mais avec la classe de ceux qui connaissent l’essentiel. La culture Rock du Sud, le partage entre initiés, et les secrets inavouables qu’on s’avoue pourtant quand le soleil est mort depuis quelques heures. Cette façon de les répéter a d’ailleurs quelque chose d’hypnotique (« Mereology », du NEUROSIS rachitique raconté par Catherine Laborde), pour que finalement, la vérité chaotique n’éclate au grand jour qui aveugle les mirettes (« Endless, Nameless, Formless », du UNSANE sous amphés, qui cogne comme Keith Moon et qui sature comme HAWKWIND). Et puis « Phage » en final, en guise d’adieu, ça fait un bien fou. Une aurore nouvelle, on parle plus doucement, et puis soudain, les embrassades Doom, les éclats Stoner, et on se rappellera de cette journée/nuit comme d’un voyage entre potes, sans émotion facile, mais sans provocation cheap pour faire chier les voisins.
Titres de l’album:
01. Landsickness
02. Father Inire's Mirrors
03. Scylla
04. Bad Faith
05. 1,000 Plateaus
06. Weirding Way
07. Charybdis
08. Mereology
09. Endless, Nameless, Formless
10. Phage
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