Mon fils est à fond dans les créatures mythiques et les vieilles légendes parlant de fantômes et de monstres. Nous avons trouvé cette histoire, Night Parade of One Hundred Demons dans un vieil ouvrage traditionnel de fantômes japonais. J’ai aimé cette idée de gens qui se cachent et peuvent entendre toute la folie mais ne pas la voir. C’est vraiment la peur de l’inconnu.
Ainsi parlait non Zarathoustra, mais Mike Eginton, le bassiste d’EARTHLESS, pour expliquer la genèse de ce nouvel album que les fans attendaient de pied ferme depuis 2018. D’ailleurs, plus que de pied ferme, c’est d’oreille intransigeante que les fans patientaient, puisque Black Heaven avait révélé au grand jour une pratique peu coutumière chez les américains. Un raccourcissement notable des titres, et même des lignes de chant, de quoi éloigner la fanbase de ses obsessions, et les interroger sur la direction. Conscients d’avoir joué cette carte une fois suffisante, les trois compères décidèrent donc de revenir aux fondamentaux, en utilisant même le premier riff composé pour le groupe, il y a plus de vingt ans.
Et s’il n’y a pas de mal à s’écarter d’une ligne de conduite trop bien tracée, il n’y a rien de condamnable à y revenir, et même encore plus : à se rapprocher de ses racines les plus anciennes pour publier une œuvre qui pourrait presque faire croire que le trio fait ses armes en ce moment même. En choisissant cette légende japonaise truffée de fantômes, les originaires de San Diego, Californie, optaient pour une nouvelle palette de sons, et un durcissement de ton. Les fantômes nippons s’accordant assez mal d’une badinerie de surface, il convenait d’assombrir les guitares, et de transformer l’arrière-plan pour qu’il colle au concept. Et c’est ainsi que Night Parade of One Hundred Demons est sans conteste l’album le plus assombri et le plus violent de la bande, sans toutefois jouer les fiers à bras démoniaques et rompus à l’exercice de l’occulte.
Ce retour aux sources s’accompagne évidemment d’un ajustement. Les compositions, au nombre de trois, dévoilent un triptyque ambitieux, et surtout, un pivot central basé sur la légende de plus de quarante minutes, totalement instrumentales. Blindé de feedback, de percussions tribales, de fulgurances Rock, « Night Parade Of One Hundred Demons » est évidemment le point de focalisation de ce sixième album, qui retrouve l’impulsion du classique Sonic Prayer, tout en explorant des pistes plus déviantes. Pas de folklore déplacé à craindre, ni d’appropriation culturelle, puisque les trois californiens s’en tiennent toujours à ce qu’ils savent faire de mieux : adapter le Desert Rock des nineties aux exigences corrompues des libertés 70’s. Et en fusionnant le FLOYD, HAWKWIND, NEUROSIS et KYUSS, le tout sous couvert d’une exploration à la JEFFERSON AIRPLANE des grands jours et aux amplis au maximum de leur rendement, EARTHLESS nous fait une fois de plus quitter cette terre trop rationnelle pour nous entraîner dans un voyage cosmique à la frontière de la vie et de la mort.
A la base, nous voulions condenser le morceau titre pour qu’il occupe toute une face de LP. Mais plus nous le jouions, plus nous explorions de directions. Alors, finalement, nous avons décidé de le laisser respirer et de continuer à jouer.
C’est ainsi que cette légende couvre donc un territoire vaste, constellé d’effets, de changements de rythme et d’humeurs, de continuité dans la liberté, comme un trip ultime à Joshua Tree avec quelques champignons dans le sac à dos. En retrouvant sa zone de sécurité, le groupe s’est laissé aller à sa nature profonde, et n’a rien fait pour altérer ce son si particulier, entre Space Rock et Stoner alourdi, pour mieux retrouver des sensations qu’il avait laissées de côté l‘espace d’un instant.
Black Heaven se situait au-delà de notre zone de confort. Je le considère toujours comme un bon album, mais c’était un défi que d’écrire des chansons plus traditionnelles, suivant le schéma couplet/refrain/couplet. Ce nouvel album a été plus enthousiasmant et motivant, et si je reste persuadé que nous enregistrerons des morceaux chantés à l’avenir, nous nous concentrons pour le moment sur cette parenthèse.
Et cette parenthèse, loin d’être enchantée, reproduit comme elle peut les contours d’une légende de fantômes comme en regorge la culture japonaise, toujours respectueuse de ses aînés et de leur mémoire. Les longues digressions sur un thème unique, évoquent avec acuité cette farandole d’esprits qui reviennent sur terre pour contempler le spectacle, non comme des menaces, mais comme des souvenirs d‘une ancienne vie. A ce titre, « Night Parade Of One Hundred Demons (Part 2) » est vraiment conçu comme une continuité globale, à la manière qu’avaient les groupes Kraut des années 70 de triturer un concept pour en tirer toutes les possibilités avant de revenir façon jazzmen à un gimmick initial.
En clôture, « Death To The Red Sun » retrouve le Blues seventies, et le cajole de soli chauds, de breaks parcimonieux, pour se rapprocher d’un mix entre le SAB le plus léger et SIR LORD BALTIMORE, avec wah-wah, fuzz et tous les ingrédients nécessaires. Sorte de jam en épilogue, ce troisième chapitre, plus illuminé et moins confiné, retrouve le EARTHLESS des débuts, celui qui posait les jalons avant de partir à l’aventure.
De fait, et comme conclusion, affirmons que ce Night Parade of One Hundred Demons se rapproche le plus de l’identité la plus sincère et vraie d’EARTHLESS. Une façon de confronter les cultures sans perdre la sienne, mais en s’ouvrant à d’autres possibilités. Un album que les puristes de la première heure apprécieront, mais aussi un point d‘entrée idéal pour découvrir un groupe toujours aussi farouchement libre.
Titres de l’album:
01. Night Parade Of One Hundred Demons (Part 1)
02. Night Parade Of One Hundred Demons (Part 2)
03. Death To The Red Sun
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