Deux ans après Messe Basse, je retrouve les parisiens de NATURE MORTE, plus vivants que jamais. Passés de Source Atone à Frozen Records, les musiciens n’ont pas vraiment changé leur approche, et nous proposent toujours ce mélange éthéré entre Black Metal agressif et Blackgaze évanescent. L’équilibre est toujours aussi parfait, les mélodies arrondies, les riffs dépolis, et l’ambiance générale onirique, entre rêverie diurne et insomnie durable. Oddity n’est donc pas une singularité dans le parcours des français, qui continuent leur route en toute logique, le même bagage à la main.
Mais un bagage qui se nourrit de leurs expériences et rencontres, et qui pèse aujourd’hui un certain poids.
Enregistré au Lower Tones Place Studio de Margency, Oddity poursuit donc la mutation du trio, qui une fois encore se retrouve à la croisée des chemins. Et pas n’importe laquelle : celle du troisième album, qui ouvre plusieurs routes possibles, toute risquées mais obligatoires pour accéder au statut de groupe référence.
Les perspectives sont donc toute exposées sur ce disque qui déconstruit pour mieux rebâtir, et qui propose une intéressante digression sur des thèmes bien connus par les fans. Une digression que nous classerons par facilité sous l’étiquette Post-Metal, qu’il soit Black ou Hardcore, puisque le résultat est le même. Distordre la réalité, lui faire épouser les contours d’un projet bien défini, pour construire un univers personnel fait de chaos, de bousculades, de dystopie, et de valeurs de non-compromission qui le confinent à l’intégrité la plus absolue.
Que trouve-t-on sur ce nouveau disque à la surprenante pochette pastel ?
La même chose que sur les œuvres précédentes. De longs morceaux, développés à outrance, qui explorent des univers contradictoires et pourtant complémentaires. Un affrontement permanent entre la beauté concrète et la laideur abstraite, pour une demi-teinte fascinante, comme le souligne avec beaucoup d’emphase « Here Comes the Rain », journée automnale humide et propice à la contemplation, que LUSH aurait pu raconter pour les DEFTONES du nouveau siècle, ou des SMASHING PUMPKINS en plein extase christique.
En parlant des DEFTONES, les parisiens se sont fendus d’un hommage au groupe américain, en s’appropriant le classique « Fireal ». Cette reprise, judicieusement placée en clôture, nous entraîne dans les post-nineties, époque tendue durant laquelle les musiciens ont choisi de continuer l’histoire en mélangeant les évènements. Le plus beau dans l’affaire, est que cette cover s’inscrit parfaitement dans le déroulé d’Oddity, qui accepte finalement toutes les teintes pour les adapter à sa tonalité.
Comme d’habitude, cet album est à prendre avec des pincettes, et se découvre petit à petit, révélant ses intentions tout en cachant ses sentiments les plus enfouis. Il convient de lui laisser un temps conséquent pour infuser, avant qu’il ne révèle ses saveurs, douces-amères, comme un HYPNO5E apaisé, loin des côtes et dans les terres, appréciant un vent venu d‘ailleurs.
Les contrastes, saisissants, entre la crudité et la docilité, sont la base même de cette longue poésie qui est plus qu’un disque. Un tableau accroché sur les murs pales d’une galerie étrange, qui fascine autant qu’il ne dérange. Un tableau qui impose d’abord le silence, la réflexion avant de laisser place à l’interprétation. Un tableau aux couleurs douces, aux roses délavés, aux jaunes enflammés, mais au noir intense et toujours en sous-couche. « New Dawn », crescendo dérangeant et séance d’urbex au milieu de nulle part, déjoue notre sens de l’orientation pour nous perdre dans une nature sauvage, piétinée par les bâtiments ébranlés et décatis d’une ère industrielle révolue.
Black des années norvégiennes, Post-Black européen, Blackgaze à la nordique, NATURE MORTE défie les classements et s’affirme pleinement. Cet album en tournant d’une carrière déjà bien remplie atteint ses objectifs, et nous laisse des décors plein la tête. On y décèle du Post-Alternatif, du Grunge étrange, du Black amaigri, mais surtout, des stridences, des fulgurances, et une opposition permanente entre des lignes mélodiques appuyées et des poussées de colère non retenues.
« Banquet Overflow for the Mind House », dansant comme du JOY DIVISION étrangement primesautier, « Nothingness » et son vide relatif, les titres s’enchaînent et la magie opère une fois encore à plein régime. NATURE MORTE, toile peinte de la main d’un magicien des nuisances trône sur son chevalet de travail comme une épreuve de plus à passer pour atteindre l’âge adulte, sans renoncer à son âme d’enfant rêveur.
Le rêve est d’ailleurs enchanteur, mais garde cette petite touche de cauchemar diffus qui vous réveille en pleine nuit avec cette sensation désagréable d’avoir oublié quelque chose au passage.
Un amour, une chance, un hasard, ou tout autre élément qui forge le caractère, et qui dessine la ligne droite brisée qui nous mène tous au même endroit.
L’infini.
Titres de l’album:
01. Bruises & Lace
02. The Pier
03. Here Comes the Rain
04. New Dawn
05. Monday is Fry Day
06. Banquet Overflow for the Mind House
07. Nothingness
08. Untitled
09. Fireal (DEFTONES cover)
Magistral
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