Dans ce scénario catastrophe de pandémie mondiale plus ou moins bien écrit par un auteur un peu barge, le confinement est désormais de mise, et l’isolement presque total pour certains. Si la plupart d’entre nous avons une famille, des animaux de compagnie, et des moyens de communication modernes, d’autres sont plus isolés que jamais, avec interdiction formelle de côtoyer leurs contemporains. Dans ma misanthropie globale, j’avoue très bien me satisfaire de cette situation, propice au repli sur soi et à la créativité. Et sans vouloir extrapoler, je pense que s’il avait expérimenté cette situation au moment de composer son album, Jared Stimpfl s’en serait parfaitement satisfait lui aussi. Pour cause, il a tout fait tout seul, dans son home studio, avec juste un petit coup de main au niveau des vocaux. Mais qui est donc Jared Stimpfl, nom qui ne doit pas évoquer grand-chose pour la plupart d ‘entre vous ? Jared Stimpfl est l’ex-batteur d’OKTOBER SKYLINE et actuel de SECRET CUTTER, deux groupes pas vraiment versés dans la complaisance, et un habitué du chaos et des structures libres et erratiques. Désirant expérimenter dans son coin, le percussionniste a donc lancé son propre mécanisme il y a quelques années, lâchant des albums que l’on pourrait presque qualifier d’expérimentaux s’ils n’étaient aussi logiques dans leur développement. Ainsi naquit ORPHAN DONOR, qui depuis 2010 sert de catharsis à son créateur, qui ne s’est jamais vraiment remis de la perte de son père alors qu’il n’avait que treize ans. Pour Jared, le concept est donc bien plus qu’un simple exutoire ou une récréation en off de ses projets officiels. C’est selon lui le miroir de son processus de pensée fragmenté, et une façon de faire ressortir des émotions qu’il a du mal à gérer depuis huit ans. Et dans les faits, après avoir pris connaissance de sa musique, on comprend peu à peu la douleur qui peut animer le musicien, et le retenir prisonnier. Mais à l’inverse d’un Morries qui enregistre à peu près tout ce qui lui passe par la tête, Jared lui se concentre et ne s’exprime que lorsqu’il a quelque chose à dire.
Enregistré et mixé aux Captured Recording Studios, composé et interprété par Jared lui-même, Old Patterns n’a admis que la participation de Chris Pandolfo de CLOUDS COLLIDE, venu poser des lignes de chant. Une fois encore, c’est un album difficile d’accès, plutôt réservé à tous ceux qui admettent le Crossover global comme seule échappatoire à la routine musicale moderne. On retrouve dans la musique d’ORPHAN DONOR toutes les composantes de l’extrême moderne de ces vingt ou trente dernières années, du Grind, du Sludge massif, de l’avant-garde, du Mathcore, du Hardcore, de l’Indus, et presque des traces de NOLA aussi, un peu comme si les EYEHATEGOD, NAILS, PRIMITIVE MAN, ORGAN DONOR, FULL OF HELL, UNSANE, DILLINGER ESCAPE PLAN, TOMBS et autres flingués de l’underground ou pas s’étaient réunis pour un meeting des esprits perturbés anonymes. Il y a évidemment quelque chose de très abrasif dans la musique de Jared, qui pousse le volume à fond et la violence à son paroxysme pour se libérer de démons intérieurs. Il est évident qu’en tant que batteur, Jared conçoit la musique sous un aspect de percussion, de frappe brute, de résonnance, et de rythme. C’est ainsi qu’il fait appel à toute la puissance des bruits mats et blancs pour construire de courtes chansons, ne dépassant qu’en trois occurrences les trois minutes, pour construire un mur sonore infranchissable, parfois à la limite du Screamo de psychotique, et souvent à la lisière d’un Math Grind que les TOTAL FUCKING DESTRUCTION connaissent par cœur. On pense aussi à la scène Hardcore allemande de ces cinq dernières années, avec cette absence de complaisance mélodique, et cette rigueur germaine qui érige des plans au biseau et des angles calculés au millimètre. Tout ceci donne parfois lieu à des orgies mélangeant le Sludge dissonant au Grind presque Black (« Body On Fire », course sans pitié de deux minutes et dix secondes), ou au contraire à des fièvres incroyablement Heavy qui présentent officiellement le SWANS des débuts au SCORN de son orée de carrière (« Planks »).
Rien n’est vraiment joli sur Old Patterns, disons-le tout net, tout est même assez laid musicalement parlant. Mais pour un travail effectué en total solo, il est admirable. Jared a empilé des couches de sons et créé une épaisseur noise parfaitement hypnotique de son gigantisme, et surtout, à synthétisé tout ce que l’extrême à de plus puissant et moche à offrir pour illustrer sa propre catharsis. On pense parfois à une version excessive de BREACH sur le chemin de rédemption d’un NAPALM DEATH plus lent qu’à l’ordinaire, mais la démarche est si personnelle qu’on rechigne à trop employer de comparaisons. Le son global n’est pas de ceux qui flattent les oreilles, mais qui cherchent à les endommager définitivement, et avec une entame de la franchise de « Hamsteria », sorte de Blackened Crust ou de D-Beat déviant, il était inutile d’attendre autre chose qu’un bruit de fond permanent. Rythmiquement parlant, l’album en lui-même est une réussite incontestable. Jared à empilé les coups de caisse claire, donné à la grosse caisse cette résonnance presque vide, et zappé les cymbales de l’équation pour ne pas être trop perturbé par le scintillement. La guitare, plus qu’une usine à riffs tisse des textures, des strates, et on a souvent le sentiment que l’instrument solo est bien la batterie, et que le reste n’est là que pour enrober. C’est évidemment très grave et très dissonant, presque un brouillon génial parfois, comme si les DEP et GODFLESH se faisaient encore les dents sur des morceaux de BM norvégien des nineties (« Salvia Is A Bitch »).
Pas forcément à la portée de tout le monde, et clairement adressé à ceux rompus à l’exercice du Hardcore noisy new-yorkais ou bostonien, Old Patterns résonne comme un écho ancien, stoppe parfois l’avancée de la machine (« New Patterns »), ose des répétitions maladives, avant de finir sa course sur une énormité au gigantisme stupéfiant (« Profound Loss »). Et si la solitude ne vous pèse pas plus que ça, si l’épaisseur des murs que nous avons construits entre nous ne vous fait pas peur, si la perspective d’une fin inéluctable vous réjouit en ces temps difficiles, alors ORPHAN DONOR pourrait être votre non compagnon de route idéal.
Titres de l’album :
01.Hamsteria
02.Salvia Is A Bitch
03.New Patterns
04.Pole Disdain
05.Mind State Dependency
06.Old Stains
07.Planks
08.Body On Fire
09.Profound Loss
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