D’ordinaire, lorsque je n’ai pas trop envie de me fouler, je vais sur mes Vk Grind, Noise, Hardcore ou Crust favoris, histoire de pêcher un petit truc pas trop long à chroniquer.
Une démo, un EP, un truc d’une poignée de minutes qui ne demandera que quelques lignes de plus et l’affaire est dans le code, et sur le site.
La plupart du temps, ça fonctionne et me ponctionne quelques dizaines de minutes.
Et rarement, ça foire.
Parce que je tombe sur un album beaucoup plus ambitieux que ce que je croyais. Et c’est exactement ce qui m’est arrivé avec le premier LP des Russes de VORVAN.
Mais vous savez quoi ?
Finalement, je m’en sors très bien. Et grand gagnant de l’affaire.
Pour situer le truc, sachez donc que les VORVAN viennent de Moscou, qu’ils sont quatre (Eli Mavrychev – chant, guitare, Eugene Cherevkov – guitare, Igor Butz – basse et Zakk Hemma – batterie), et qu’ils ont déjà deux EP à leur actif (Sailing The Vastness Of Oceans en 2012 et In Gloom en 2013).
Jusqu’ici, rien que de très classiques infos, qui n’aiguillent en rien sur le caractère particulier de ce premier effort…Alors sachez que d’ordinaire, le Hardcore Russe reste local, et qu’il s’expatrie très difficilement en dehors de ses frontières. Je le sais d’expérience, d’autant plus lorsque l’on parle de franchir les frontières Américaines, pas vraiment poreuses en ce qui concerne les importations Russes. Vous avez dit « guerre froide » ? Oui, et depuis quelques années, elle s’est même encore refroidie, au point d’avoisiner les températures de la campagne d’hiver 41 d’Hitler et ses troupes.
Et pourtant, cet album a relevé la gageure de symboliser à lui seul une possible réconciliation, ou tout du moins apporter un début de preuve au fait que la musique échappe peut-être aux règles de la politique. Puisqu’on retrouve au casting de ce Once Love Was Lost des noms comme ceux de Kurt Ballou (CONVERGE, mixage), Brad Boatright (FROM ASHES RISE, mastering) ou même Jack Shirley (producteur de DEAFHEAVEN et CROWNHURST, production), qui vous en conviendrez ne sont pas d’ordinaire ceux que l’on note dans les crédits d’enregistrements venant de Russie.
Alors pourquoi, comment, où et alors ? Bonnes questions. Je n’en sais absolument rien. Réseau de fans underground, carnet d’adresse bien rempli, appui d’oligarques en goguette affectionnant une musique brutale, intervention du KGB, de Vladimir lui-même, tout est possible.
Mais en dehors de ces hypothèses à ruiner un très mauvais James Bond, je crois que la réponse est évidente, et qu’elle vous sautera aux oreilles dès que vous les aurez posées sur Once Love Was Lost. Car dans le style d’un Hardcore extrêmement chaotique, inventif, à tendance Crust, Grind et Post, il pourrait bien représenter ce qui s’est fait de mieux depuis longtemps, très longtemps. Et soyez sûrs que je ne cantonne pas cette constatation aux limites géopolitiques de la Russie, mais bien du monde entier.
Et je serai très clair et ferme sur ce point. En dépit des patronymes fameux qu’on retrouve à divers postes (mais n’oublions pas celui d’Igor Butz, le propre bassiste du combo qui a enregistré l’œuvre aux Pentagram House studios), cet album ne doit son destin qu’au talent de ses créateurs qui ont su composer et interpréter des morceaux incroyablement bien construits, intuitifs mais logiques, et furieusement décapants, qui méritent largement d’avoir attiré l’attention des cadors qui se sont joints à sa légende.
Et non, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre à crédit, et Kurt Ballou n’a pas pour habitude d’apposer sa signature sur des machins bancals promis à l’oubli instantané.
Mais pour en être convaincu définitivement, dix minutes de votre petite existence suffisent. Celles que vous consacrerez à l’écoute du monstrueux pavé poétiquement intitulé « Celestine », qu’on retrouve en plein milieu de ce gros moellon balancé en pleine face d’une Europe et d’une Amérique médusées…
« Celestine », malgré son titre qui suggère la douceur et la contemplation amoureuse, et peut-être le chef d’œuvre absolu que les CONVERGE n’ont jamais réussi à enregistrer malgré leurs nombreuses tentatives.
D’ordinaire, lorsqu’on trouve un titre de ce calibre et de cette durée sur un album de Hardcore chaotique, c’est souvent un prétexte à un délire bruitiste sans queue ni tête, ou un exercice de bourdonnement Ambient destiné à boucher des trous.
Mais ici, c’est un pamphlet d’une violence rare qui renvoie les DEAFHEAVEN dans les cordes, et qui fait la nique au passé de Ballou, les doigts dans le nez et les guitares dans le ventre. Doté d’un son monstrueux, ce titre est sans conteste l’épiphanie de violence intelligente d’un album qui pourtant représente globalement un sommet, et le pire est de constater que ces fameuses dix minutes passent comme un single Pop des années 60. Stridences, gravité, breaks créatifs, pauses malsaines, chant hurlé au-delà de la douleur, reprises emphatiques qui vous clouent au sol, c’est un véritable festival de véhémence, de puissance et de méchanceté comme un chroniqueur n’en a que très rarement entendu en dehors du séminal Jane Doe de la bande à Kurt.
« The End (Hemicrania » », parvient tout de même en huit minutes à égaler l’intensité de cet épisode fumant, en optant pour une direction un peu plus déviante. Si son appellation suggère une migraine toute féminine dans la définition, son rendu n’hésite pas à intégrer des mélodies nostalgiques, des arpèges, mais surtout d’incontrôlables poussées de fièvres intensifiées par des blasts impromptus et autres accélérations rythmiques démentes. Succession de riffs maladifs ou monolithiques, d’intermèdes stridents inquiétants et assourdissants, et de passages en mid complètement étouffants, ce final est largement à la hauteur des standards de Once Love Was Lost qui justement à les exigences élevées de ses prétentions avouées.
Avec un travail individuel époustouflant de dextérité et un collectif aussi efficace qu’une légion de chars déboulant sur la lande, VORVAN incarne à lui seul la vitalité et la hargne de cette scène Hardcore Russe dont je vous parle avec passion depuis des années.
Mais avec dix morceaux pour une heure de Hardcore noir, sale et désabusé, l’aventure est intégrale. Et comme en plus les VORVAN sont aussi à l’aise dans l’agit-prop lapidaire que dans la démonstration de force en longueur, le carnage est total.
Un morceau comme « Sirens » donne effectivement le vertige de ses heurts rythmiques incessants et de son ballet vocal en dualité de haine. « When Serpent Strikes First » se calque sur la même ligne en laissant Zakk Hemma dérouler des plans vertigineux de fluidité et de rapidité sans jamais le laisser se fixer sur un pattern.
A l’opposé, « Turned Away » aiguise son up tempo du même venin suintant des crocs des UNSANE. « Last to Wintess » récite son CONVERGE et son NAILS dans le texte en agrémentant le tout de coups de marteau dignes des psychopathes de PRIMITIVE MAN.
Quant à l’ouverture « Of Menace and Favour », elle prouve que les Kollapse et Venom des BREACH ne sont pas tombées dans les oreilles sourdes d’un Hardcore de l’Est. Sauf qu’en plus, ils en agrémentent la violence de quelques chœurs Metalcore très efficaces.
Sidérant. Terrassant. Effrayant. Et les adjectifs pourraient s’empiler sans que je manque d’inspiration pour les coucher sur papier.
Disons simplement que si Once Love Was Lost illustre le ressenti d’une nation à l’égard d’une autre, alors le conflit est proche, malgré les promesses de rapprochement de Donald T. Et disons aussi que si je n’ai pas accordé la note maximale à ce premier album, c’est que je sais au fond de moi-même que les VORVAN sont capables de pousser les choses encore plus loin.
Et ça, c’est ce qui fout vraiment les jetons finalement.
Titres de l'album:
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