Après SELCOUTH, projet cosmopolite et ouvert, les Italiens de I, Voidhanger continuent sur la voie de la non-normalité en publiant dans une édition luxurieuse (digipack quatre volets avec booklet, merci) le second album du concept US IN HUMAN FORM, qui avouons-le, est loin de représenter un consensus dans le monde fermé du BM international.
Existant depuis 2006, et ayant depuis proposé deux EP, un split et un premier album (Earthen Urn en 2013), ces originaires de Lowell, Massachusetts, ont abordé le genre avec des yeux et un cœur neufs, désirant s’extirper d’une condition figée en ouvrant la boite de pandore de la créativité et en se laissant perméable à des influences totalement étrangères au créneau.
En résulte donc un mariage mixte entre un BM assez véhément dans le fond mais terriblement précieux et précis dans la forme, et des structures empruntant tout autant au Free-Jazz, à l’expérimental, au dadaïsme instrumental des Zappa et Beefheart, qu’au progressif des ELP et autres KING CRIMSON, sans pour autant se perdre dans les méandres d’un raout improbable à la cuisson aléatoire.
Difficile donc d’accoler une quelconque étiquette à ce quintette, autre que celle qu’ils ont eux-mêmes choisie dans un désir de liberté, et ce Black ésotérique et progressif leur convient à merveille, surtout après avoir entendu, analysé et disséqué cette seconde œuvre, encore plus ambitieuse peut-être que la première.
Le trio de base du groupe (Richard Dixon – batterie, Patrick Dupras – chant et Nick Clark – guitare), s’est donc solidifié de l’adjonction de Dave Kaminsky à la seconde guitare (STONE HEALER, ex AUTOLATRY) et de Shalin Shah à la basse (PROTOLITH), pour prolonger ses vues sur la conception d’une musique grandiloquente, très provocante et ambitieuse, tout en gardant cette attache indéfectible à l’underground qui reste leur terrain de jeu de prédilection.
Inutile donc de penser qu’Opening of the Eye by the Death of I les entrainera dans la lumière, même si ce second effort n’en est pas dénué loin de là.
Semblant basé sur la philosophie Hindi affirmant que l’affirmation de l’être et de la conscience supérieure passe par la mort de l’Ego (qu’on trouvait déjà mise en musique il y a cinquante ans dans les chansons de George Harrison, notamment « I, Me, Mine »), ce second chapitre respecte peu ou prou les codes de son prédécesseur, en laissant l’inspiration profiter de constructions amples et libres, qui dérivent selon des thèmes précis qui sont traités avec tout le respect qui leur est dû.
Bien sûr, les dissonances, les atonalités et les chromatismes se taillent la part du lion sur les digressions les plus complaisantes, et il n’est pas incongru de penser que les IN HUMAN FORM pourraient se concevoir comme l’alliage informel entre l’abstraction du KING CRIMSON de Red et le BM de VED BUENS ENDE, sans toutefois plagier ni l’un ni l’autre…
Niveau agencement, les points communs avec Earthen Urn sont plus que patents, mais légèrement adaptés à la nouvelle inspiration. On retrouve toujours ces longs morceaux frisant ou dépassant le quart d’heure, mais ils sont cette fois-ci aérés par de courts interludes leur permettant de respirer et de s’imposer avec plus de latitude. Les Américains ont travaillé leur copie et l’ont remise propre et nette, et la progression logique des cinquante minutes de Opening of the Eye by the Death of I nous embarque dans un voyage intérieur à la recherche de ténèbres personnelles, histoire de tuer dans l’œuf toute velléité d’égocentrisme apte à nous aveugler et nous empêcher de percevoir les choses telles qu’elles sont vraiment, au-delà de ce fameux mur de l’illusion.
Ils définissent d’ailleurs leur démarche/voyage en ces termes, assez peu enclins à laisser planer un doute quelconque sur leurs desseins :
« Une grande introspection méditative, sur des thèmes abyssaux, et la mortalité ».
Difficile après de ne pas être convaincus que les IN HUMAN FORM ont adapté leur concept à la nature même de l’homme, cette condition humaine qui nous enferme dans des diktats de comportement et de pensée, imposés par la religion, la politique, la société et une certaine forme de recherche de mysticisme, qui nous permettrait de nous en extirper avec un réel effort de volonté.
Cette élévation passe donc une fois de plus par une transcendance, celle d’une musique pluriforme qui échappe à toute catégorisation contraignante, et qui adapte la crudité d’un BM vraiment très abrasif aux aspérités d’un progressif d’avant-garde, un peu comme si VOÏVOD, MAYHEM, TAAKE et le KING CRIMSON de Thrak se concentraient sur un projet commun, laissant le soin à la vague Post-Metal le soin de relier le tout d’interventions éthérées (« Ghosts Alike », intermède apaisant et découlant sur le morceau le plus long et dense de l’album)
Et des trois chapitres évolutifs de l’album, il est très ardu de tirer une synthèse. Si la démarche globale répond à des besoins somme toute assez évidents, sa concrétisation empêche tout parallèle trop précis. En trois fois un quart d’heure ou presque, IN HUMAN FORM se désolidarise de tout mouvement un peu trop restreint, et explore les possibilités offertes par l’amalgame de genres antagonistes, dans un mouvement ample de BM progressif aux subtiles et indirectes touches psychédéliques, sans pour autant bégayer le vocable des VIRUS et autres SOLEFALD.
Non, leur lexique est tout à fait personnel, et passe par l’alternance, se reposant sur une trame de violence sourde et larvée (qui se manifeste surtout dans les cris inhumains de Patrick, qui hurle comme jamais), débordée d’extensions et de prolongements hypnotiques, symbolisés par la guitare de Nick Clarke, plus instable et versatile que jamais, tricotant des motifs changeants et fluctuants, en osant rarement jouer le jeu d’un riff prenant et assumé.
Dès lors, impossible de se fixer sur une thématique figée, puisqu’il n’y en a aucune. Le groupe vire et tourne entre des passages d’une véhémence totalement Black à des sinuosités progressives occultes, flirtant parfois avec une forme de Sludge caverneux mais déformé, sans jamais se départir de ces accords dissonants et de cette basse énorme qui louvoie aux avant-postes.
Parfois (« Through An Obstructionist's Eye »), des instrumentations impromptues tissent des climats acoustiques étranges, avant qu’un solo purement Rock ne vienne nous ramener sur le terrain Metal, mais tel est la philosophie de ce groupe unique, qui refuse la facilité sans tomber dans l’incongruité de ceux qui naviguent à l’aveugle et se complaisent dans l’expérimentation stérile.
Aussi puissant et envoutant que ne l’était Earthen Urn, Opening of the Eye by the Death of I confirme que les IN HUMAN FORM ne sont pas prêts de quitter cet underground qu’ils affectionnent tant, pour se lancer dans une opération de séduction massive.
Êtes-vous prêt maintenant à regarder en vous-même et à vous priver d’une vue concrète pour réellement voir ? C’est en tout cas ce que cet album vous propose, en vous perdant dans un monde difforme et abstrait qui pourrait être la seule image fiable de celui qui nous entoure.
Titres de l'album:
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