Amusant pour des suédois de baptiser leur groupe 偏執症者 (qu’on traduit toujours par PARANOID pour une lecture plus compréhensive), et de nommer tous leurs morceaux en langue étrangère. Mais après tout pourquoi pas, un brin d’exotisme n’a jamais fait de mal à personne, d’autant plus que c’est la seule trace d’exotisme que vous pourrez trouver dans leur musique. Cette musique, depuis 2012, se fonde en effet sur des bases très nordiques de Punk Hardcore à tendance D-beat, et reste assez traditionnelle dans son approche, mais néanmoins salement joussive. Formé à Frösön, PARANOID est le genre de combo qui déteste rester inactif, et qui produit au gré de sa créativité toujours dense, et j’en veux pour preuve leur lourde discographie recensée sur The Metal Archives. Pas moins de six EP’s, cinq compilations, des splits, les albums en live, une poignée de singles et une démo, en seulement huit ans d’existence, voici qui nous rapproche des débiteurs Grind les plus productifs, ou des grossistes Noise qui n’hésitent jamais à brader leur stock. Mais pour autant, l’optique des suédois est-elle viable et surtout, intéressante d’un point de vue musical ? Oui et non, les musiciens suivant une ligne de conduite très précise dont ils ne s’éloignent jamais, et autant avouer que leurs longue-durée se ressemblent tous. A l’image d’un mix entre TOTALITAR et GBH, les suédois rappellent une version très propre des tarés de GENOCIDE, et proposent une fois encore dix glaviots bien épais et gras, crachés au même rythme, et qui enthousiasmeront les amateurs d’un Hardcore sévère et rapide.
Enregistré au Studio Mangel, de Frösön, entre avril 2019 et février 2020 par Joakim Staaf-Sylsjö, mixé par l’infatigable Joel Grind à Portland, masterisé par Jack Control à l’Enormous Door, et produit par Jocke D-take, décoré d’un superbe artwork signé Anton Atanasov, Out Raising Hell est le type même d’album qui ne se domestique pas, et qu’on adopte brut de chez brut, avec tous les coups de griffe que ça peut impliquer. Mais c’est le prix à payer pour écouter des chansons qui tiennent autant de HELLHAMMER que de THE EXPLOITED, et qui viennent même taquiner le VENOM de légende sur son propre terrain (« Hikari no Yakata »). Doté d’un son tout à fait raisonnable dans la laideur, sec comme un coup de trique, ce troisième chapitre full-lenght des suédois ressemble à s’y méprendre aux deux premiers, se veut aussi méchant, aussi rapide, et se présente comme la synthèse parfaite des versants punk suédois et anglais. Le trio est donc toujours aussi incorruptible et malpoli (Jocke D-takt - chant/basse, Emil Bergslid - batterie et Henrik Låsgårdh - guitare), toujours aussi doué dans les amalgames entre DISCHARGE et HELLHAMMER (« Hakaba no Me »), et toujours aussi enclin à ne balancer que les riffs les plus primaires et instinctifs pour ne rien perdre en spontanéité. Et on savoure leur sauvagerie, car elle nous ramène aux principes les plus élémentaires du Punk/Hardcore de l’orée des années 80, ce Hardcore sombre et méchant que les suédois ont beaucoup écouté pour mettre au point leur propre version en mode Crust et D-Beat.
Alors, évidemment, pour les fans, aucune information ne sera utile, puisqu’ils connaissent déjà les méthodes par cœur. Un morceau sur deux cavale comme un shoplifter pris sur le fait, la lourdeur est souvent effective et oppressante, et le tout nous replonge dans les affres d’une jeunesse passée à explorer les extrêmes pour dénicher le groupe le plus rude et violent. Mais cette violence, aussi sale soit-elle et réaliste n’en reste pas moins accessible aux plus sensibles, le trio ne passant pas son temps à roter sur les parkings des supermarchés pour choquer le bourgeois, mais bien à composer dans sa cave entre deux bières tièdes. En rallongeant la durée de leurs morceaux, les trois lascars ont pris le risque de la redondance d’autant que l’album frise les quarante minutes (une hérésie ou presque pour ce genre de musique immédiate), et pourtant, le timing ne handicape pas ce troisième né qui affiche une forme olympique. Et en encaissant l’enchaînement diabolique de « Kikaijikake no Satsurikusya » et « Mada Minu Yuutopia », on se mange une gigantesque tartine dans la tronche, ce qui est je le rappelle le seul objectif des suédois : nous frapper les tympans avec une jouissance sadique, persuadés que nous trouverons un plaisir masochiste à cette violence tacite. Et ils ont raison les bougres, une fois encore, puisque malgré la linéarité de l’opération, elle fonctionne à plein régime, et nous assistons médusés à un spectacle de mimétisme incroyable, comme si dans un rêve, VENOM et AGNOSTIC FRONT mixaient leur musique pour donner un concert unique.
La fin de l’album fait même montre d’ambitions incroyables pour quatre greasers plein d’huile, avec pas moins de trois morceaux dépassant la barre des quatre minutes. Alors évidemment, le tempo s‘adapte et adopte un pas mid appréciable, d’autant que les riffs semblent toujours piqués au DARKTHRONE le plus minimaliste, celui-là même qui parvenait à garder le Black souillé tout en le tâchant de Rock N’Roll (« Kyoki no Hashi »). Mais n’allez pas croire pour autant que les PARANOID soient capables de garder le cap de la modération, puisque « Minagoroshi » revient vite vers des rivages HELLHAMMER, avant que « Jigoku no Gunzei » ne nous assène le coup de grâce.
Bon, on ne va pas se la jouer, on sait d’avance que le prochain album des trois marsouins sonnera exactement comme celui-ci, mais en l’attendant, on ne va pas bouder notre plaisir. Plus rillettes sur pain de mie que mousse de foie gras sur toast, le Hardcore d’Out Raising Hell n’est pas du luxe, mais calme les faims les plus sauvages. Et même si Noël approche, vous n’allez pas faire la fine bouche.
Titres de l’album:
1. 晦冥勢力 (Kaimei Seiryoku)
2. 機械仕掛けの殺戮者 (Kikaijikake no Satsurikusya)
3. まだ見ぬユートピア (Mada Minu Yuutopia)
4. 光の館 (Hikari no Yakata)
5. 墓場の目 (Hakaba no Me)
6. 闇夜の火炎 (Yamiyo no Kaen)
7. 汚れた支配者 (Yogoreta Shihaisya)
8. 狂気の端 (Kyoki no Hashi)
9. 狂気の端 (Minagoroshi)
10. 地獄の軍勢 (Jigoku no Gunzei)
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