Les Acteurs de l’Ombre, comme tous les labels investis dans la cause Black Metal considèrent chacune de leurs sorties comme des évènements, et proposent des supports physiques léchés, mais surtout, des œuvres musicales conséquentes et d’importance. Bien que pas toujours en adéquation totale avec leur parti-pris stylistique, je n’ai jamais été déçu par leurs choix, la musique des groupes constituant leur écurie étant toujours riche, surprenante, ambitieuse et mystique. Et c’est toujours un plaisir que de recevoir une nouveauté de leur part, cette réception s’accompagnant d’une écoute profonde d’un produit qui n’en est pas un, et qui tient à garder le statut d’œuvre d’art à part entière. Alors, en découvrant dans l’enveloppe scellée le premier album du projet CREPUSCULE D’HIVER, je savais qu’une fois encore, le label de Gérald allait me soigner aux petits oignons, même si le créneau revisité par l’ensemble en question échappe à mon champ d’investigation habituel. Je connais très peu le BM médiéval il est vrai, et encore moins le mouvement Dungeon Synth, mais je sais reconnaître un instrumental en valant la peine, et j’ai de sérieuses connaissances en BM épique, via ses représentants les plus nobles des nineties. De plus, et malgré le fait que Par Delà Noireglaces et Brumes Sinistres soit un premier album, la musique de CREPUSCULE D’HIVER est déjà connue d’un bon millier de fans, puisqu’une première démo a vu le jour il y a quelques années sous le titre de Songes Hérétiques. Et justement, ce premier tome se pose en prolongement de la dite démo, en reprenant certains de ses titres, et en se focalisant sur les mêmes thèmes et obsessions, mais une fois n’est pas coutume, l’homme derrière ce concept n’a pas travaillé seul, et s’est fait accompagner par une figure bien connue de l’underground.
CREPUSCULE D’HIVER est donc le bébé de Stuurm (chant, textes, guitares, claviers) qui pour l’occasion s’est associé avec N.K.L.S (IN CAUDA VENENUM) qui a pris en charge l’enregistrement de la basse et de la batterie, d’ordinaire programmées par Stuurm. Cette association plus analogique que d’ordinaire confère donc une ambiance plus naturelle à ce premier et très long album, qui ose les soixante-dix minutes de musique, dont un énorme pavé de conclusion de plus de vingt minutes. Une longueur pareille aura de quoi faire fuir les détracteurs et les amateurs de BM compact et immédiat, mais faites-moi confiance : le leader du projet ne s’est pas contenté de rabâcher les mêmes plans et notes sur une durée rédhibitoire, et a arrangé ses morceaux de façon à les rendre fascinants et mystiques. Et il n’est pas excessif de dire qu’une brume épaisse et qu’un brouillard étrange nimbent cette réalisation de leur flou naturel, puisque Par Delà Noireglaces et Brumes Sinistres évolue dans un créneau de Black Metal ambitieux et mélodique, sans mettre de côté la véhémence naturelle des pionniers des années 90. Impeccablement produit pour éviter un son trop synthétique, ce premier tome a bénéficié des soins de Nerik aux Darkened Studios qui s’est occupé du mix et du mastering. En découle une puissance phénoménale dans les moments les plus furieux, et une précision non négligeable lorsque les harmonies anciennes s’imposent au premier plan. Et le premier plan est justement occupé par le long et massif « Le Sang Sur Ma Lame », qui après une belle intro place les pions et dose les ingrédients avec beaucoup de pertinence. Dès le départ, la guitare et les claviers cohabitent en complémentarité, tout en s’éloignant des références trop encombrantes des DISSECTION, BURZUM et autres fans d’harmonies développées. Le projet à son identité propre et souhaite le faire savoir, et si le chant de Stuurm est classique dans sa façon de se racler les cordes vocales, il est en parfaite adéquation avec une bande instrumentale alternant entre la violence la plus crue aux riffs concentriques et les breaks plus atmosphériques qui évitent la niaiserie du Dungeon Synth fait maison.
D’ailleurs, le concept est plus proche d’un BM progressif et presque Folk que d’un Dungeon Synth redondant et plastique, et c’est ce qui permet à l’œuvre de se distinguer de la masse. Etant clairement allergique aux divagations de synthé des diablotins de cave et de grenier, si CREPUSCULE D’HIVER avait joué ce petit jeu de dupes, j’aurais balayé l’écoute en quelques minutes histoire de m’acquitter de ma tâche, au lieu de m’immerger dans une œuvre fascinante trouvant un équilibre très stable entre les genres extrêmes. On pourra toujours arguer du caractère un peu naïf des orchestrations, qui ont un rendu parfois trop ludique, mais le duo reste si crédible dans la construction des crescendos et des évolutions qu’on pardonne la naïveté de l’emploi du synthé. Mais le talent de Stuurm à la composition est d’avoir vraiment construit des labyrinthes et des chemins de traverse, nous emmenant aux quatre coins du monde et aux confins du genre, sans en négliger un seul aspect. Rares sont les albums capables de susciter autant d’émotions complémentaires, et à ce titre, « Tyran De La Tour Immaculée » est un modèle du genre, avec son intro incroyablement catchy à la basse redondante et au riff immédiatement mémorisable. Les amateurs de crudité et de cruauté seront comblés par la puissance qui se dégage des segments les plus véhéments, évidemment drivés par des blasts inspirés, mais aux changements de rythme et d’ambiance fréquents. Car pour combler un morceau de dix minutes, il faut plus qu’une litanie insipide et nihiliste et ça, Stuurm l’a très bien compris.
« Le Souffle De La Guerre » en est l’illustration la plus parfaite, avec ses onze minutes intenses et variées. Tout commence par une intro sombre et venteuse, créant une ambiance étrange et opaque, avant que l’Ambient ne cède la place à un Heavy Black presque Viking, aux mélodies fortes et à l’ampleur incroyable. Les arrangements, sobres n’empiètent pas sur les thèmes principaux, et si on aurait aimé plus de variation dans le chant, l’instrumental nous apporte les modulations nécessaires. Ambitieux sans être pompeux, toujours sur la brèche du grotesque sans tomber dans le ridicule, Par Delà Noireglaces et Brumes Sinistres est une quête qui comme toutes les quêtes se termine par un combat de titan, et son morceau éponyme de plus de vingt minutes. Exceptionnel résumé de tout ce que l’auteur est capable de créer, « Par-delà Noireglaces Et Brumes Sinistres » multiplie les riffs circulaires et glaciaux, les cassures mélodiques, utilise des nappes de cœurs féminins, avant de nous écraser de parties de guitare à la IMMORTAL. Tout est dit ou presque dans ce final aux proportions homériques, parfait épilogue d’un conte noir qui nous emporte loin dans le temps et l’espace. Retenez bien les noms de Stuurm et de CREPUSCULE D’HIVER, vous risquez à l’avenir de les lire et les entendre accompagnés d’un déluge de compliments à la limite du dithyrambe.
Titres de l’album:
01. Que La Gloire Soit Notre !
02. Le Sang Sur Ma Lame
03. Héraut De L’Infamie
04. Tyran De La Tour Immaculée
05. Le Souffle De La Guerre
06. Les Larmes D’Un Spectre Vagabond
07. Par-delà Noireglaces Et Brumes Sinistres
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