En trente-cinq ans de carrière, on a largement le temps de perdre la foi. Enregistrer des disques qui de toutes façons seront piratés, et dont la perte sera à peine comblée par les achats en vinyle des die-hard, les tournées incessantes, les festivals, la routine bien huilée par les décades passées…Les raisons de raccrocher les gants, de se contenter de relever les compteurs tous les cinq ou six ans, de capitaliser sur un illustre passé, de compiler les compilations en y ajoutant un ou deux inédits qui auraient dû le rester…Bref, les motifs négatifs ne sont pas rares, et il est toujours admirable de constater que certains artistes ont non seulement gardé confiance, mais qu’ils continuent de produire à un rythme remarquable pour étancher la soif de leurs fans. Les KMFDM sont de cette catégorie d’artistes qui ne peuvent s’empêcher d’enregistrer, de tourner, de proposer une musique novatrice, alors même qu’ils en ont défini des contours vastes durant leur (toujours) vivant. Depuis l’orée des années 80, Sascha Konietzko n’a jamais baissé sa garde, et c’est ainsi qu’il célèbre en 2019 son vingt-et-unième album studio, un record pour un concept de ce cru qui depuis plus de trois décennies brutalise l’EBM pour le rendre plus Metal, déforme l’Industriel pour lui faire adopter une silhouette abrasive, et insère des tics Hip-Hop, Pop, Electro dans un comportement rigide, et pourtant incroyablement dansant. J’ai connu la bête sur le tard, un beau jour de 1990 lorsqu’un disquaire hilare et fier de sa trouvaille me colla dans les tympans la rythmique dance de « Naïve », sur l’album éponyme, découverte hallucinante dont je ne me suis jamais vraiment remis depuis…Vus en concert, dévorés sur disque, les KMFDM ont toujours fait partie de mon quotidien, comme du vôtre certainement, et c’est avec joie que j’accueille la nouveauté de Paradise dans mon paysage audio-sensoriel actuel, satisfait de constater qu’après vingt longue-durée, Sascha continue d’avancer, de tenter des choses, de nous coller des morceaux de trompette dans un déluge de plomb, et de faire confiance à des rappeurs pour durcir le ton de sa musique déjà pas forcément aimable.
En 2019, qui est donc KMFDM ? Humainement parlant, toujours le duo/ossature de base, soit Sascha Konietzko/Lucia Cifarelli, soutenu par la rythmique d’Andy Selway et la guitare d’Andee Blacksugar. Artistiquement parlant, le groupe qu’il a toujours été, et un peu plus que celui que nous avions retrouvé en 2017 avec la sortie de Hell Yeah, puisque Sascha affirme à qui veut bien l’entendre que Paradise est ce que son concept a proposé de plus varié. De plus varié sur un temps condensé donc, puisque le groupe a toujours joué sur la diversité pour enivrer sa fanbase, des sonorités synthétiques et dansantes de Naïve en passant par les attaques soniques de Xtort. N’ayant jamais perdu des oreilles le parcours, j’avoue que le nouveau siècle m’avait réservé de très bonnes surprises avec Hau Ruck, et sa reprise de Dutronc, m’avait méchamment entamé la santé auriculaire avec le bombastic Kunst, et rassuré quant au potentiel toujours intact il y a deux ans avec ce fameux vingtième album qui traçait sa route, tout en ouvrant des perspectives. Ces mêmes perspectives sont concrétisées aujourd’hui via Paradise, qui en effet ressemble fortement à un éventail de tendances grand ouvert, gardant une trame de base élastique et Indus, mais y greffant des éléments Trip et Hip-Hop, Pop, EBM, Rock, Metal, Hardcore, le tout dans une folle sarabande que le maître d’œuvre contrôle de sa tour d’ivoire électronique. Et la liste des invités à la fête est assez impressionnante pour qui est familier de l’univers allemand, puisqu’on retrouve sur ce disque les interventions de Doug Wimbish (TACKHEAD, LIVING COLOUR) à la basse groovy sur le chaloupé mais méchant « Piggy. » Cheryl Wilson qui vient pousser ses cordes vocales Soul sur le discoïde « WDYWB », alors que le rappeur Andrew « Ocelot » Lindsley crache sa bile sur l’assassin « K-M-F. » La cerise sur le gâteau étant l’implication du vieux pote Raymond “PIG” Watts sur l’infernal « Binge Boil & Blow », sa première apparition aux côtés de Sascha depuis plus de seize ans. Vous comprendrez avec ces éléments que ce vingt-et-unième album est donc bien plus qu’une simple étape de plus sur l’histoire de la légende, d’autant que le groupe renoue avec certaines de ses traditions perdues depuis longtemps…
Mais les surprises, les accolades, les regards en arrière ne sont rien au moment de juger de la qualité d’une musique qui ne se dément pas avec les années, et si KMFDM montre son visage le plus souriant et rieur sur « Disturb The Peace », enflammant les boites louches de Berlin d’un tempo épileptique et de mélodies graciles, il montre aussi les dents sur « K-M-F », et son « Kill, motherfucking kill ! » braillé d’une voix robotique sur fond de Hop tendance, un peu comme si Sascha réglait son compte à quatre décennies de Krautrock en faisant emprunter à son patrimoine un chemin peu commun. Moins rigide que certaines étapes, Paradise est peut-être aussi moins concentré sur les guitares. Ce qui n’entame en rien la rage qui en émane, et la puissance qui s’en dégage, puisque quel que soit le style abordé, le traitement est toujours extrême et intelligent, comme le démontre longuement « Paradise », et ses huit minutes de circonvolution hypnotiques. Percussions, cassures, ambiance à la NIN, pour une longue transe qui nous prouve s’il en était besoin que le compositeur a toujours des idées pertinentes, et qu’il adore toujours autant les mettre en exergue avec sa partenaire de longue date. Lucia, toujours aussi présente chante, hurle, susurre, feule, griffe, et s’affirme comme l’alter ego parfait de son conjoint artistique, ce qui donne lieu à des joutes assez intéressantes, sur le sensuel et romantico-sombre « Oh My Goth », dégoulinant de stupre urbain et de riffs suintant. Pas vraiment de révélation, pas de gros étonnement, si ce n’est celui de réaliser que depuis 1984, KMFDM n’a jamais déçu, malgré quelques chapitres plus mineurs que les autres. Paradise n’en fait assurément pas partie, et nous entraîne dans une folle nuit de délices corporels, lorsque les tympans sont aussi caressés que la chair n’est veloutée, avec toujours cette capacité incroyable de tirer le négatif de la vie vers le positif de la nuit sur des machines de danse comme « Megalo ».
Chacun décidera de son titre favori, même si « Automaton » s’est déjà taillé une belle réputation dans ce domaine, avec sa rythmique concassée et son chant traité, le tout saupoudré d’arrangements virevoltant. Mais il est honnêtement très difficile de dégager un consensus autour d’un morceau, tant tous rappellent d’autres références, SKINNY PUPPY, NINE INCH NAILS, MINISTRY, ATARI TEENAGE RIOT, et tous les leaders d’un Indus aussi frappant que dansant. Ce qui est certain, c’est que tout le monde trouvera son compte sur Paradise, qui s’avère paradis pour les fans du groupe, supérieur à son aîné, et faisant partie des meilleures réalisations de KMFDM. Time to dance and kill boys.
Titres de l’album :
1. K-M-F
2. No Regret
3. Oh My Goth
4. Paradise
5. Wdywb
6. Piggy
7. Disturb The Peace
8. Automaton
9. Binge Boil & Blow
10. Megalo
11. No God
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