Nous voici donc replongés dans le monde merveilleux du BM totalement underground, et qui ne veut surtout pas en sortir. Il est vrai que le genre est propice aux débordements caverneux en tous genres, et qu’il autorise quelques misanthropes à former leur groupe dans leur coin, sans avoir besoin de faire appel à des collaborations externes en complétant un line-up qui se satisfait très bien d’une unicité autarcique.
Le Canada n’est d’ailleurs jamais à la traîne en matière de one man bands, et sa scène BM fait même partie des plus prolifiques et qualitatives du créneau, mais il arrive parfois que la norme soit bafouée, et qu’un petit malin s’extrait de lui-même du collectif pour imposer sa griffe, pas forcément pointue ni aiguisée.
C’est donc le cas de Aztakea, l’âme sombre se cachant derrière le projet BOREAL DECAY, qui nous proposait donc le mois dernier son premier album autoproduit, album relativement difficile à décrire, tant il semble faire appel à des sens primaires et un ressenti primal, et se vouloir constitué plus d’humeurs que de réelles compositions en bonne et due forme.
Derrière son titre interminable, Paranoia Ensues Within the Dark Yukon Wilderness s’inscrit dans une logique narrative et musicale libre, comme une improvisation des ténèbres qui n’a cure d’une quelconque logique, et qui assemble des plans au gré d’un bon vouloir assez fluctuant.
Non que l’ensemble soit désagréable et indigeste, mais il reste encore un peu brouillon pour pouvoir s’imposer sur le marché du Raw Black occulte, qui bien que pollué par un nombre incalculable de sorties toutes plus dispensables et evil les unes que les autres, exige quand même un niveau de créativité et de malfaisance pointu et précis.
Pas grand-chose à raconter sur ce musicien solitaire, qui ne dispose que d’un Bandcamp sommaire sur lequel on ne trouve que cette réalisation, mais a-t-on vraiment besoin d’en savoir plus à son sujet ?
Affirmons simplement que l’individu se charge de tous les instruments sur son LP, et qu’il en assume donc toutes les conséquences.
Lesquelles ? Les sempiternels quolibets adressés au BM le plus nihiliste et osons le terme, « amateur », qui n’a de cesse de se vouloir plus grotesque que celui de ses voisins/concurrents, en osant des structures bancales, des atmosphères toujours plus déliquescentes, et des alignements de hurlements de schizophrène perdu dans sa grotte.
En l’état, Paranoia Ensues Within the Dark Yukon Wilderness est la cible type de ce genre de critiques, puisqu’il fait fi des considérations de logique, et se veut plus accumulation de haine régurgitée un peu à l’avenant, sans forcément proposer de véritables morceaux. Mais nonobstant cette constatation objective, il n’est pas dénué d’un certain charme vénéneux qui le rend assez attachant, quoique hautement perfectible. S’il s’imprègne des standards sombres en vogue dans la Scandinavie des années 90, il n’a pas pour autant la mémoire courte et sait se souvenir des premiers efforts de BATHORY, qui présentaient le même caractère outrancier et « libre ».
Un peu raccourci entre un BURZUM du froid Canadien et un GNAW THEIR TONGUES assagi, ce premier album n’est pas exempt de moments de bravoure, même si la plupart sont noyés dans une production approximative et sursaturée qui les rend difficilement perceptibles.
Certains morceaux sont immergés dans une linéarité qui le confine à la torture auditive (« Paranoia Ensues Within the Dark Yukon Wilderness », riff acide unique, rythmique bloquée et cris étranglés, le summum du minimalisme de la brutalité), tandis que d’autres osent la variation dans l’horreur, en dépassant la raison d’une durée modérée (« Beyond The End », sorte de Drone de dix minutes qui fracasse les tympans, bricolé sur un clavier d’occasion et qui ne dévie jamais de sa trajectoire mono tonale).
Heureusement d’autres tentent de proposer quelques idées intéressantes, comme l’ouverture cauchemardesque « Anti-Creation » qui incruste un riff accrocheur au sein d’une rythmique assez bondissante, le tout malmené d’un chant à l’agonie.
On sent même quelques indices de nostalgie à l’occasion d’un « Mountain Cemetary At Dusk », qui se rapproche des origines du BM avec son up tempo très 80’s, lardé de parties de guitare à peine discernables et noyées dans un torrent de bile vocale corrosive.
Intermèdes proches du HELLHAMMER le plus primaire et occulte et du BATHORY le plus abject (« Sacrifice Your Loved Ones to the Devil »), minimalisme assumé qui pourtant essaie de proposer des patterns un peu moins prévisibles (« Bludgeoned »), et final qui enfin impose un semblant de mélodie pour une outro un peu moins abrasive et s’ouvrant sur des perspectives un poil plus lumineuses (« Explication of Angst », et son piano onirique qui précède des arpèges acoustiques orageux et pourtant paisibles).
En gros, un peu de tout, mais surtout le minimum de haine dispensable, et une « progression » libre qui n’a cure de la cohérence et de l’homogénéité.
Un travail solo qui n’est pas à rejeter en bloc, et qui montre des signes de capacité assez discrets. Mais pour le moment, il conviendra à Aztakea de mettre un peu d’ordre dans ses idées malsaines pour les agencer de façon plus captivante, afin de proposer un album plus abouti, qui sera un peu plus qu’un simple conglomérat de sons se voulant diaboliques, mais pas forcément plus effrayants qu’un horror movie de série B.
On peut lui préférer la vague officielle des groupes nationaux, certes plus « consensuels », mais Ô combien plus efficaces.
Titres de l'album:
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