Le BM canadien est d’ordinaire très malsain, ascétique, et disons-le, très puriste, voire « grisé », dans le sens le plus littéral du terme. Il est apprécié en tant que tel, mais ça ne veut pas dire que ces caractéristiques font loi et s’imposent à la direction artistique de tous les acteurs du cru. D’autres privilégient une approche moins fondamentale et proche des dogmes, et se permettent même d’atteindre des niveaux sonores assez conséquents. Les deux écoles ont leurs propres enseignements, et les font fructifier à leur manière, donnant lieu à un affrontement permanent entre deux "sons", qui sont tout aussi symptomatiques l’un que l’autre. Et s’il est un groupe qui a réfuté tout précepte d’économie de production et d’arrangements, c’est bien PAROXSIHZEM. De leur nom, ils semblaient indiquer qu’ils étaient en perpétuelle recherche de paroxysme, ce que leur premier album venait confirmer il y a cinq ans. Car Paroxsihzem, le LP, est loin d’être une nouveauté, puisqu’il fut publié pour la première fois en CD par Dark Descent Records, avant de connaître une jolie carrière dans l’underground, toujours friand de produits non calibrés et générés d’un nihilisme musical flagrant. Depuis cette sortie, les canadiens l’ont jouée à l’économie, et n’ont offert à leurs fans qu’un split avec les ADVERSARIAL, puis un petit EP en 2016, Abyss Of Excruciating Vexes.
Mais notre label national Krucyator Productions a décidé de replacer sous les projecteurs de lumière noire l’œuvre maîtresse du combo, en rééditant dans un tirage extrêmement limité de cent copies Paroxsihzem, surfant sur le regain d’intérêt du format tape vintage, pour une édition de toute beauté qu’il serait franchement dommage d’occulter.
Car le BM lourdement teinté de Death de PAROXSIHZEM mérite franchement d’être (re)découvert. Evoluant en duo à l’époque, avec Impugnor (NUCLEARHAMMER) à la guitare, basse et aux chœurs, et Krag au chant, soutenus par la puissante frappe rythmique du cogneur de NUCLEARHAMMER justement, le groupe se fondait dans un Crossover subjuguant de puissance, qui alliait la noirceur d’un BM sans concessions, et les effluves putrides d’un Death en pleine décomposition. En résultait un album certes monolithique, mais à l’ambiance cathartique, dont quelques samples aéraient l’air vicié qui s’évaporait de structures compactes et disons-le, dissonantes et irritantes au possible. Car là était le but avoué ou non du groupe. Déranger par une musique fortement abrasive et malsaine, et provoquer d’une dilution de la violence dans une sévère dose de brutalité, que même les passages les plus lents ne semblaient édulcorer. Et pour un album dont la sortie initiale remonte à une autoproduction en 2010, on peut dire que Paroxsihzem n’a pas vraiment vieilli, et qu’il a gardé son impact nauséabond au travers des années…
Certains me diront, toujours les mêmes je pense, que tout ceci ressemble à un magma compact dont il est impossible d’extirper une ou deux idées motrices. Mais c’est justement ce refus de segmenter leur effort qui rendait ce premier album si dangereux et fascinant, tant les plans hyper brutaux succédaient à des segments d’une agressivité inouïe. Difficile de comparer les canadiens à d’autres factions en marche, tant leur philosophie s’accordait à merveille à des thématiques sombres, basées, sur l’occultisme, l’histoire, la philosophie ou la psychologie. Evidemment, la voix très sourde et rauque de Krag n’aidait en rien à comprendre les paroles, mais on sentait un réel malaise émerger de ce BM diffus et concentré, malaise toujours palpable aujourd’hui, malgré le temps passé.
Beaucoup les avaient comparés aux australiens et néo-zélandais de VASSAFOR, d’IMPETUOUS RITUAL, ou aux PORTAL, mais les noms de leurs propres compatriotes de ANTEDILUVIAN ou ADVERSARIAL furent aussi évoquer, et autant admettre que Krag et Impugnor se situaient en convergence de toutes ces références, sans pour autant piocher dans leur sac à riffs. L’approche délicatement Indus se sentait jusque dans les répétitions hypnotiques de thèmes recentrés et resserrés jusqu’à ce que le nœud du problème en devienne inextricable, mais on pouvait aussi parler plus simplement de Death/Black légèrement Ambient sur les bords, qui aurait sagement écouté les dogmes de GNAW THEIR TONGUES par la fenêtre sans en avoir l’air. Beaucoup d’itérations, des plans qui se succèdent sans vraiment chercher à se différencier, pour une approche maléfique du Black creusant la terre la plus aride du Death pour y enterrer le corps d’une musique trop puriste pour être appréciée du plus petit dénominateur commun. Il est évident qu’avec une telle volonté de repousser les barrières soniques, les canadiens allaient s’aliéner une frange importante du public extrême, encore trop tendre pour supporter cette vague d’assauts sans pitié pour leurs oreilles et leur cerveau. Mais cette réédition tombe à point nommé pour redécouvrir un autre pan de la culture excentrée canadienne, qui refusait de tomber dans le piège du minimalisme de production et ainsi se fondre dans un moule trop restrictif. Alors, la puissance, en tant que telle, le chaos, pour ce qu’il représente, et le refus de moduler une musique qu’il convenait de prendre en pleine face pour en saisir toute l’essence effroyable.
Au-delà de la « branchitude » du format, j’admets que le choix de la tape pour replacer dans un contexte actuel ce premier album est le bon. A l’écoute de Paroxsihzem, on se croirait revenu au bon vieux temps du tape-trading, à ceci près que le son dont ils bénéficiaient n’avait sans doute jamais été rêvé par les groupes enregistrant leurs morceaux sur un vieux quatre-pistes fatigué. Et si les compositions défilent dans une homogénéité flagrante, certaines inflexions et déviances nous permettaient de réaliser que le duo avait sans doute beaucoup plus à proposer qu’un simple défilé de growls sur fond de rythmique apocalyptique. Bien que le jeu de batterie soit irréprochable, et incroyablement rapide, il s’accordait fort bien des riffs impénétrables et incontrôlables d’Impugnor, qui faisait trembler ses cordes pour donner à son instrument l’air menaçant dont il avait besoin. Et si les premiers morceaux ne vous rebutaient pas de leur noirceur, le final orgasmique « Aokigahara » vous achevait de ses huit minutes de déluge d’acide continu, à peine interrompu par quelques accalmies étouffantes en pleine crise de dissonances.
Mais « Vanya » mettait les choses au point dès le départ, après une intro fort bien amenée qui plantait l’ambiance, et dès lors, il était assez facile d’envisager une suite qui ne s’écartait que très peu de ce déversement de bile.
Si vous faites partie des acquéreurs chanceux de cette réédition Krucyator Productions (le packaging de la cassette est vraiment soigné, et vendu pour cinq malheureux euros), vous découvrirez donc un pan assez méconnu de la culture canadienne, mais surtout, un album sans limites autres que celle du chaos le plus assourdissant. Mais nul n’a jamais affirmé que le chaos devait être organisé et méthodiquement agencé…
Titres de l'album:
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