En faisant un effort de mémoire, vous parviendrez sans doute à vous rappeler les sensations éprouvées lors de la découverte du séminal Contradictions Collapse des suédois de MESHUGGAH. Et dans le même effort, vous pourrez matérialiser le choc frontal qu’a sans aucun doute été le terrifiant City de STRAPPING YOUNG LAD. Une fois ces données ramenées à la surface de votre cerveau, utilisez le pour une opération mathématique simple. Imaginez-vous le résultat de ces deux émotions multipliées entre elles ? Si oui, tant mieux, vous venez de toucher du doigt la quintessence du chaos. Sinon, tendez une ou deux oreilles sur le premier longue-durée des américains de GRAVITON. L’impact sera le même. Présenté sur la toile comme un combo d’Extreme Metal, de Techno-Thrash, de Techno-Death ou de Blackened Thrash, ce quatuor sorti de presque nulle part (Taylor Scott - chant, Cam Tidman - guitare, Anthony Medaglia - basse et Yoav Ruiz-Feingold - basse) brouille les pistes de genre pour imposer le sien, hautement démonstratif, mais réellement probant. Sans vraiment s’ancrer dans un mouvement très précis, mais empruntant les codes de différents styles, ces quatre originaires de Townsend, Massachusetts, viennent de signer l’un des premiers albums les plus impressionnants du marché actuel, sans forcer leur talent naturel, mais en le poussant dans ses derniers retranchements. Avec un underground déjà affolé par la publication d’un premier EP (Fundamental Violence, nom de baptême fort bien choisi), la secousse ressentie à l’occasion des dix morceaux de ce Per Erebus Ad Astra risquent bien de causer des dégâts irréversibles chez tous les fans d’un Metal extrême, rapide, précis, chaotique et progressif, sorte de Techno-Thrash tellement intense qu’il tire vers le Death le plus évolutif et dense. D’où ce parallèle en combinaison d’influences entre MESHUGGAH et STRAPPING YOUNG LAD.
Mais vous pourriez en ajouter d’autres, il n’y en aura jamais assez tant l’inspiration des américains est plurielle. Parlons aussi du DEATH de fin de carrière, de GOJIRA, de LAMB OF GOD, mais aussi d’ATHEIST, et pourquoi pas d’AMON AMARTH selon les accointances avouées du quatuor. Tout ceci aboutit à un cocktail très relevé de rythmiques en chien de fusil, de riff millimétrés, d’un chant véhément mais largement compréhensible, et d’ambiances subtilement sci-fi, collant de près à la thématique du combo qui transpose la mythologie dans un contexte futuriste. On peut alors raisonnablement se dire que le spectre de NOCTURNUS va venir frapper à la porte de notre inconscient, mais même si l’image n’est pas forcément hors-contexte, les ambitions des GRAVITON vont bien plus loin qu’une simple juxtaposition de plans démonstratifs et d’arrangements synthétiques sur fond de dystopie futuriste. D’Erèbe jusqu’aux étoiles (Erèbe étant une divinité primordiale et infernale née du Chaos, personnifiant les ténèbres, l'obscurité des Enfers, merci Wikipedia), tel est donc le voyage proposé par ce premier longue-durée qui justement ne la joue pas trop pour garder intacte son intensité. Et faites-moi confiance, les respirations sont rares, et l’expérience d’apnée spatiale est assez prenante, pour peu qu’un crossover entre Thrash fin et Death malin soit votre immersion favorite. Beaucoup de technique donc, mais aussi beaucoup de puissance. Sans non plus singer les systématismes de composition de Fredrik Thordendal, trop cliniques à leurs goût, mais en disposant d’un chanteur au timbre aussi caverneux que celui de Jens Kidman, les GRAVITON gravitent donc dans la sphère trouble du Death à tendance Thrash ou l’inverse avec une facilité déconcertante, et prennent soin de truffer leurs morceaux d’idées pour les rendre passionnants. Et après une intro menaçante plantant l’ambiance, « My Degeneration » déboule comme une pluie d’astéroïdes dans un film catastrophe, et nous oblige à nous abriter derrière une rationalisation de ton. Thèmes qui s’entrechoquent façon canon à électrons, vitesse d’exécution, véhémence du son, tout est agencé de manière à vous bousculer d’entrée, et vous faire perdre vos repères. Maniant l’art du riff syncopé comme personne, et combinant la précision de Devin Townsend et la vilénie accrocheuse des meilleurs combos de Thrash nucléaire (INCUBUS, mais aussi la vague suédoise des années 90), Cam Tidman s’avère être un redoutable guitariste, qui sait tirer de son instrument les bonnes tonalités, qu’il s’inspire de Piggy ou de Christian Andreu.
Autre point (très) fort du quatuor, une rythmique incroyablement soudée, qui soutient les mélodies et dynamise le chant de ses impulsions sauvages, mais farouchement précises. Cette cohésion d’ensemble est à ce point palpable que les deux premiers titres semblent former une symphonie de violence unique, démultipliant les plans jusqu’à l’overdose sans sacrifier la logique, jusqu’à ce que le court « Inveterate » interrompe la course en avant…pour l’intensifier encore plus. Dualité ? Non, simple désir d’absolu de la part d’un groupe qui ne supporte pas la demi-mesure, et qui semble sur ce premier LP faire montre de toutes ses qualités les plus formelles. Et puisque nous en sommes au chapitre des qualités intrinsèques, ajoutons au bilan déjà très chargé une capacité de broder sur un thème sans donner l’impression de rabâcher ou d’apporter des nuances infimes destinées à nous duper. C’est d’ailleurs sur ce point que Per Erebus Ad Astra prend ses distances avec MESHUGGAH, et se rapproche des fondements les plus traditionnels du Thrash des années 80. On sent en filigrane une réelle envie de proposer à l’auditeur des morceaux catchy mais précis, un peu comme si le talent de Dave Mustaine ou Scott Ian était capitalisé par le flair des frères Duplantier. Peu de longueurs donc, même si certains morceaux par leur épaisseur laissent à penser qu’ils durent des heures (mais pas dans un sens péjoratif, bien au contraire), et quelques crises de colère qui rapprochent le groupe d’un Speed hargneux au riff malicieux (la structure de base de « The Alchemist », qui mixe « Secret Face » de DEATH et « Detox » de STRAPPING). Des atmosphères déliquescentes mais puissantes, entre Thrash à l’allemande et Death à l’américaine (« Shattered Repose »), des ralentissements asphyxiants et menaçants (« Tomes of The Mystic », vraiment envoutant), pour un épilogue synthétique qui rappelle dans les rangs toutes les actions précédentes (« Ngc 1277 Pt. II », une violence bouillonnante pour une démonstration de force impressionnante).
Alors, oui, j’en conclus que le terme de Metal extrême est celui qui convient le mieux aux GRAVITON. Car c’est certainement la description la plus fidèle et la moins restrictive, et qui ne borne pas leur art à de simples balises rassurantes. Car il n’y a rien de rassurant dans leur musique, qui illustre le chaos terrestre et la fuite vers l’espace de la plus idoine des façons. Et si dans l’espace justement, personne ne vous entend crier, cet album pourra y remédier.
Titres de l'album:
1.Per Erebus
2.My Degeneration
3.Signals From Beyond
4.Inveterate
5.The Alchemist
6.Shattered Repose
7.Vulcan
8.Tomes Of The Mystic
9.Ad Astra
10.NGC 1277 PART II
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