Pitfalls

Leprous

25/10/2019

Insideout

Je parlais hier d’étiquettes, de cloisonnement, d’abstraction, de pulsions personnelles. Le débat est encore d’actualité aujourd’hui au moment d’aborder le sixième album d’un des groupes les plus mésestimés de la scène mondiale, qui pourtant semble gagner de plus en plus de fans alors qu’il ne cherche inconsciemment qu’à s’en éloigner. Le paradoxe de transformer sa musique pour la rendre plus accessible, tout en lui gardant cette patine extraordinaire qui aboutit à un acte de magie pure. Ne plus crier, ne plus pousser les amplis à fond et pourtant, convaincre de plus en plus d’adorateurs du Dieu Metal de la cohérence de la démarche. Peu de groupes dans le créneau ont tenté le coup de l’adoucissement par l’extrême au point de ne plus ressembler qu’à un vague souvenir des débuts amplifiés qui les ont fait connaître. Une poignée vient à l’idée, les PARADISE LOST évidemment, OPETH inévitablement, GHOST dans une moindre mesure, mais le Metal n’est Metal que si vous lui accordez du crédit et que vous acceptez de diviser la musique en sous-parties. Mais le réflexe est-il indispensable ? Je plains de facto les individus qui ne supportent pas les incursions, les déviations, et qui attendent toujours de leurs musiciens préférés qu’ils collent à une image qu’ils ont projetée il y a longtemps. Or, les créateurs, les vrais, n’ont pas peur de l’inconnu, n’ont cure des querelles de clocher, et continuent leur route en suivant le guide de leur spiritualité et de leur inspiration, au risque de se retrouver dans une position inconfortable, en plein Mordor. Le Mordor, c’est cette zone à l’extérieur du spectre métallique qui pousse parfois les artistes à jouer avec les images, à distordre la leur pour lui faire adopter un reflet différent. Et par extension, se faire méconnaître de leurs plus fidèles suiveurs, tout en sachant très bien que ces derniers les connaissent, d’une façon ou d’une autre. Ainsi va le cas des LEPROUS, qui depuis des débuts conventionnels jusqu’à une évolution ascendante n’ont jamais posé de question inutile, et ne se sont jamais demandé si telle ou telle idée était pertinente ou pas. Car elles le sont toutes. Du moment que la sincérité se substitue à l’opportunisme ou le désir fallacieux de sonner arty pour ne plus appartenir à la plèbe populiste avide de décibels et de hurlements déchirants. Intellectualisme ? A l’opposé justement. Car lorsqu’on se rapproche de son véritable soi, on atteint la vérité la plus absolue.

Le cas LEPROUS est plutôt le plus épineux chez nos amis nordiques, pourtant habitués aux mélanges les plus improbables. Pour qui connaît bien l’écurie Svart, les musiciens locaux ne sont jamais les derniers à expérimenter, à flouter les frontières, à jouer avec les insertions les moins évidentes. Et si les norvégiens ont commencé leur carrière avec ce petit plus qui leur permettait de se différencier de la masse, ils n’ont depuis cherché qu’à accentuer ces différences au point aujourd’hui de ne plus être que l’ombre de ce qu’ils furent, mais une ombre paradoxalement plus lumineuse que le soleil. The Congregation en 2015, portait les stigmates de ce changement qu’on pressentait gigantesque, par le vide, comme un nettoyage de printemps avant travaux. Malina, deux ans plus tard, entérinait les prises de position, et osait prendre encore plus de distance avec les années 2009/2013. Les adorateurs du veau d’or commençaient à craindre que leur idole ne leur échappe, et cette fois-ci, leurs craintes les plus poussées sont vérifiées. LEPROUS à l’instar d’OPETH n’est plus un groupe de Metal, mais un groupe tout court. Pas foncièrement Pop, pas totalement Rock, plus forcément Progressif, en tout cas dans les faits, mais de plus en plus riche, de plus en plus exigent, et de plus en plus raffiné. Les détails de sa musique sont parfaitement ouvragés, ses arrangements pertinents et léchés, et ses compositions profondes, comme les sentiments éprouvés par Einar Solberg au moment de coucher sur papier son mal-être et sa guérison éventuelle. Les plus grandes œuvres n’ayant jamais été enregistrées dans la joie, Pitfalls avait tout pour devenir le postulat définitif d’une mutation ouverte, résultat d’un processus dépressif qui avait besoin de l’écriture comme d’une catharsis. Cette catharsis s’opère donc dans la résignation harmonique, et pourtant, il y a une exubérance qui émane de ce sixième album des norvégiens. Bjorn Ulvaeus confiait dans un sourire il y a longtemps que les scandinaves aimaient être tristes, et qu’il y avait quelque chose de joyeux à l’être. Pitfalls, sous ses couches synthétiques et ses lignes vocales d’une rare pureté prouve cette assertion du bonheur qui en émane, un bonheur simple, et pourtant le plus difficile à acquérir. Celui d’être libre. Et en 2019, au même titre qu’OPETH, LEPROUS est libre, libre de composer, d’écrire et de jouer la seule musique qu’il a envie de jouer. Celle que l’on trouve sur ces neuf morceaux qui n’hésitent pas à provoquer les fans pour les obliger à réfléchir. Vaut-il mieux se cantonner à ce qu’on sait faire de mieux, supposément, ou alors oser sortir de sa pseudo zone de confort pour toucher le cœur des plus sensibles à la vérité musicale ? Et la réponse est là, évidente. Plus rien ne sera jamais comme avant. Du moins, pour l’instant.

« Below », dès ses premières mesures, prouve que les expérimentations de Malina n’étaient qu’un point de départ, une accroche. Les sous-couches électroniques, les arrangements grouillants, les chœurs Post, et surtout la voix incroyablement apaisée de Solberg nous ramènent à Matthew Bellamy, mais aussi à Ann Brun, et à cette dualité du nord qui accepte la nuit et la pénombre comme sources de célébration. Pourtant, musicalement, le pari était risqué. Presque Néo New Jack, le morceau ose des tempérances jazzy, des strates vocales symptomatiques du R’n’B, mais c’est l’un des seuls à garder trace du parcours initial, avec son refrain qui explose enfin de guitares électriques et salement amplifiées, qui se rapprochent du THE GATHERING de « Leaves ». Si cette balise est la seule à vous laisser vous accrocher à un désir de garder prise sur vos anciennes idoles, laissez-la bipper dans le vide. Les guitares n’auront bientôt plus droit de cité sous une forme abrupte, et les huit morceaux suivant en accepteront la présence plus que discrète sous une pulsion claire, et rien d’autre. Il y a de quoi être déçu je vous l’accorde, mais la richesse des chansons à suivre pardonne cette indélicatesse de clan. Et de quelle manière… « I Lose Hope » place une entame glissante et gluante à la ROYAL REPUBLIC, sonne comme un quickie Indie de la scène Californienne des années 2015/2016, et place même des gimmicks qu’on trouvait déjà sur les BO de Ocean’s Eleven/Twelve. Le tout dans un déroulé opératique au chant presque connoté rap, mais le tout dans un luxe que le Prince le plus aventureux aurait goûté de sa préciosité. Boite à musique virtuelle, « Observe The Train » incruste le Folk nordique dans un contexte minimaliste de Buckley ludique, pour une comptine qu’on sent crépusculaire, mais de laquelle émane une tendresse infinie pour les harmonies les plus simples. « Be My Throne » danse, trépigne, s’impatiente de sa Pop souple et élastique, affole le dancefloor, mais finit par sortir sur l’air d’un opéra fantôme. Et si ces comparaisons sont évidemment basées sur les impressions et la culture de leur auteur, subjectives, elles n’en retranscrivent pas moins l’éclectisme dont font preuve les LEPROUS, et l’abandon de toute raison commerciale et/ou éthique. La liberté, rien d’autre.

Cette liberté que « Alleviate » défend, voix et cordes, avec encore une fois ces percussions tribales, alors que « At The Bottom » mélange THE TEA PARTY et le Trip-Hop des nineties. Et que ceux qui ont abandonné la lecture de cette chronique il y a quelques paragraphes se sentent un peu honteux, ils n’ont pas pu savoir ce qui ne les attendrait pas à la fin de Pitfalls. L’épiphanie « The Sky Is Red », sorte d’incantation ultime, de mantra sublime, et unique morceau à rappeler avec quelle facilité LEPROUS aurait pu devenir le plus grand groupe de Metal progressif de l’histoire si tel avait été son but. Citant PORCUPINE TREE, les SPOCK’S BEARD, mais aussi KING CRIMSON, ZAPPA, et les groupes de Post Rock du grand nord, le quintet (Tor Oddmund Suhrke - guitare/chant, Einar Solberg - chant/claviers, Baard Kolstad - batterie, Simen Daniel Børven - basse et Robin Ognedal) ouvre la boite de Pandore, et laisse planer une interrogation mystique, mais légitime. Ne sont-ils pas en passe de devenir le plus grand groupe du monde ? Aucune réponse à apporter, mais avec Pitfalls, ils sont certainement devenu l’incarnation du groupe le plus libre du monde. Et ça, personne ne saurait leur enlever.       

 

Titres de l’album :

                       1. Below

                       2. I Lose Hope

                       3. Observe The Train

                       4. Be My Throne

                       5. Alleviate

                       6. At The Bottom

                       7. Distant Bells

                       8. Foreigner

                       9. The Sky Is Red

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par mortne2001 le 30/10/2019 à 16:54
90 %    1340

Commentaires (4) | Ajouter un commentaire


Jefflonger
membre enregistré
30/10/2019, 20:29:06
Commandé dans la semaine, donc je vais découvrir véritablement le groupe par cet album (d'ailleurs j'aime bien Below), Au moins pas d'apriori, parce qu'avec Opeth, je suis trop marqué par sa période death pour pleinement apprécié leur nouvelle direction.

Jefflonger
membre enregistré
30/10/2019, 20:29:06
Commandé dans la semaine, donc je vais découvrir véritablement le groupe par cet album (d'ailleurs j'aime bien Below), Au moins pas d'apriori, parce qu'avec Opeth, je suis trop marqué par sa période death pour pleinement apprécié leur nouvelle direction.

julien
@78.192.38.132
30/10/2019, 22:11:41
on croirait entendre un mauvais casting the The Voice :D

Arioch91
membre enregistré
31/10/2019, 09:18:33
Autant j'ai apprécié Leprous de ses débuts jusqu'à The Congregation, autant maintenant je ne supporte plus cette mélancolie pleurnicharde incessante du chanteur.

Comme avec le précédent, je ferai de nouveau l'impasse sur celui-ci.

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