Je ne donne pas trop dans la réédition. Souvent, l’intérêt est limité, malgré quelques bonus qui sont ajoutés histoire de faire passer la pilule d’une remasterisation ou d’un remixage pas forcément indispensables. Mais de temps à autres, je profite du concept pour aborder le cas d’albums passés sous mes radars, et qui bénéficient d’une seconde existence amplement méritée. C’est évidemment le cas avec les anglais joyeux de WALLOWING qui en 2019 avaient sorti l’un des albums les plus primesautiers de l’histoire du boucan.
Je ne connais pas Brighton, mais à en juger par le contenu de ce premier album, la vie ne doit pas y être rose. Ni même rose pâle. Ni même en couleurs d’ailleurs. On sait que la perfide Albion a enfanté des monstres les plus effrayants de la musique moderne, mais on découvre chaque année une nouvelle atrocité ayant vu le jour entre ses côtes. Et autant dire que ces gars-là n’ont jamais traversé la Manche pour aller voir à Calais si le temps est plus clément.
Formé en 2017, WALLOWING est l’exemple type de groupe que l’on écoute lorsque la vie vous tend piège sur piège. Les machins qu’on s’inflige par pur masochisme ou par nihilisme, et qui remontent le moral aussi efficacement qu’un ordre de Staline. S’épanchant dans un registre de Doom/Sludge maladif, le quintet (Rauiri Boyden - basse, Jon Wingrove - batterie, Tom Harrison - guitare, Zak Duffield - « chant » et Mark Roberts - samples/chœurs) repousse donc les limites du chaos pour flirter parfois avec le Noisecore, renvoyant Mick Harris, Justin Broadrick, EYEHATEGOD et même quelques japonais dans les cordes du mainstream.
Ici, c’est simple. Tout est moche, délabré, sans espoir, et dégagé de toute obligation morale. Le Blackened Sludge de nos amis anglais est à ce point torturé qu’on le pense exsangue, quelque part dans un caniveau de Brighton, les veines encore gonflées par l’aiguille et l’écume séchée sur les lèvres. Cette musique moribonde semble émerger du plus profond des égouts et des fosses communes, pour nous contaminer d’une peste auditive dont on ne se remet pas. « Earthless » pose d’ailleurs les jalons de la philosophie, se traînant pendant plus de huit minutes sur un tempo résigné et à peine maintenu en vie par des lignes vocales de fou furieux.
WALLOWING n’est donc pas le genre de groupe qu’on signe ou qu’on réédite par hasard. Il faut avoir une sacrée dose de vice pour remettre un engin pareil sur le marché, qui plus est dans une sublime version vinyle violet. De là à savoir ce qui est passé par la tête de Church Road Records (UK), Sludgelord Records (UK), et Deathwish Inc (EU & USA), il y a un fossé/charnier que je ne saurais franchir.
Mais, admettons. Rentrons dans le jeu de ces cinq garçons pas vraiment dans le vent, et acceptons leur misérabilisme comme expression d’une époque qui ne sait plus trop quoi dire. En ce sens, cette musique prend tout le sien, et sonne maladive comme un pauvre cancéreux en phase terminale, qui entend le tocsin final dans un dernier battement de paupière. Le travail de remixage signé par Scot Moriarty (ORGAN DEALER, encore un orchestre à engager pour vos baptêmes et autre bar-mitsvah) est en tous points exemplaire, gonflant les graves, accentuant la basse déjà ample, et enterrant encore plus le chant dans les limbes en mode Raw Black. Le côté Industriel de la chose n’aura échappé à personne, et ce mélange de réflexes automatiques lents et de reprises létales pour les articulations prend alors tout son sens.
Ne sortez pas les mouchoirs, parce que personne ne pleurera pour vous.
La structure de l’album a été évidemment gardée comme telle, avec en petit bonus « Restless Dusk I: The Anamnesis Hymn », autre hymne à la joie dont il eut été dommage de se priver au vu de son caractère anti musical très prononcé. Un peu plus touffu et noirci que le reste du répertoire, il reste une petite friandise au goût de gasoil qui fond dans la bouche comme du pus qui s’écoule d’une infection dentaire, et si d’aventure, la version digitale du produit vous intéressait plus que son pendant en vinyle ou tape, sachez qu’en huitième piste, vous aurez droit à l’album original fondu en un seul morceau de plus d’une demi-heure.
De quoi l’apprécier encore plus dans son jus immonde.
Il y a quelque chose de fascinant dans cette façon de déformer le Sludge et le Doom pour les rendre encore plus inquiétants. On pense immanquablement à PRIMITIVE MAN, l’autre chantre du Noise lourd et douloureux, mais les anglais de WALLOWING s’en démarquent avec un peu plus de sadisme.
Je pense que vous avez maintenant tous les éléments à charge nécessaires pour juger si oui ou non, vous êtes prêt pour cette épreuve. Quoique je me demande si on est vraiment prêt un jour à subir ces sévices psychologiques et auditifs. Mais comme tout pot à son couvercle, tout tympan a son boucan.
Planet Loss pourrait être le mien.
Titres de l’album:
01. I. Prologue (2024 Remaster)
02. II. Earthless (2024 Remaster)
03. III. Phosgene (2024 Remaster)
04. IV. Hail Creation (2024 Remaster)
05. V. Vessel (2024 Remaster)
06. VI. Epilogue (2024 Remaster)
07. Restless Dusk I: The Anamnesis Hymn
08. Planet Loss (2024 Remaster)
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