Je dirais qu’un Powernerd est quelqu’un qui a des traits de caractère que la société considère comme faibles ou sans réelle valeur - que ce soit l’empathie ou l’introversion - et qui transforme cela en un type de pouvoir personnel. Je suis sensible à ceci, cela et à d’autres choses, mais bon sang, je vais m’en sortir! Je vais utiliser cette sensibilité qui est enracinée dans la force.
Utiliser ses faiblesses comme forces, la religion, la philosophie et le développement personnel ont utilisé ce concept depuis la nuit des temps. L’hypersensibilité, la fragilité émotionnelle, l’incapacité à se sociabiliser, s’intégrer à une société dont on ne reconnait pas la légitimité, la timidité, la remise en cause permanente sont des handicaps pour beaucoup, entre timidité maladive et hikikimori extrême. Nous devons composer avec notre personnalité, et ces dits handicaps peuvent se transformer en superpouvoirs pour peu qu’on les assume. Ceci étant dit, le chemin est dur, escarpé, et l’épiphanie pas toujours au rendez-vous. Nombre d’entre nous restent des parias, des mis de côté, des quantités négligeables que le monde parque dans un camp asile en marge de la vie moderne.
On sait depuis longtemps que le sieur DEVIN TOWNSEND a quelques problèmes psychologiques lui aussi. Le principal étant cette incapacité notoire à ne pas trop réfléchir, sur lui-même et le monde qui l’entoure, et qui se traduit par des œuvres si ambitieuses que les sept merveilles du monde en pâlissent de jalousie. Mais il arrive un moment dans la vie où il convient de se poser les bonnes questions. Suis-je capable d’immédiateté, de spontanéité ? Suis-je en état de produire un travail plus simple et direct en mettant mes (nombreuses) exigences au placard ? Puis-je laisser sur un disque des chansons mineures traduisant un état d’esprit passager sans trahir mon parcours ?
Au jugé de ce contient ce PowerNerd, la réponse est un oui franc et massif. Et d’ailleurs, ce oui se transforme rapidement en « yeah ! », tant ce nouvel album du névrosé spatial détonne dans sa discographie parfois un peu trop…plein de choses.
Je l’avoue sans gêne aucune, les premiers albums du canadien fou étaient ma bonafide personnelle. Une admiration totale me liait à cet artiste unique, avant qu’il ne se perde dans le labyrinthe de sa complaisance. Ses albums ont commencé à méchamment se ressembler, ses réflexes à être anticipés facilement, et sa production carrément étouffante. Il était temps que le dingo se recentre sur lui-même pour revenir à l’essentiel et ce qui a fait son charme dingue depuis les années 90. Le but du jeu était donc de composer à la vitesse de la lumière pour éviter de se piéger dans ce dédale mental. Alors, pour PowerNerd, Devin s’est accordé une dizaine de jours, pas plus. Enfin si, mais juste pour les textes, en conséquence d’un deuil l’ayant frappé de plein fouet. Ce nouveau chapitre est donc celui de l’acceptation de soi, et du dépassement de ses limites. Et c’est une réussite. Une vraie.
Pour citer les mots de l’auteur :
J'ai passé tellement de temps à réfléchir à tous les aspects relatifs à mon travail que je me suis demandé, que se passerait-il si j’arrêtais d’y penser ? Peut-être aurais-je l'occasion d'être un peu plus direct. Je voulais vraiment voir si je pouvais m’extirper de ce labyrinthe musical sans sortie…
De la simplicité, de la concision, l’efficacité et la raison. Autant de notions totalement étrangères à la carrière du bonhomme qui n’a jamais été capable de faire simple, encore moins clair et succinct. La psyché du canadien est à ce point troublée qu’on pourrait le diagnostiquer schizophrène sans avoir peur de se tromper, eu égard au gouffre séparant STRAPPING YOUNG LAD de sa tétralogie sur les addictions, Ziltoïd, Ocean Machine, son projet Country branque, et ses attaques personnelles en plein milieu de la nuit l’obligeant à se lever pour enregistrer des idées. Mais Powernerd est-il vraiment plus simple, ou fait-il semblant pour nous duper ? Oui et non, puisqu’il incarne une sorte de résumé d’un passé glorieux, avec des allusions multiples à un catalogue d’édition très épais.
Tout est là, mais bien plus aussi. STRAPPING, Terria, Ziltoïd, DTP, pour un passage en revue de tout ce qui handicape l’artiste, et l’empêche d’atteindre cette plénitude qu’il mérite tant. Mais si le très direct et brutal « PowerNerd » (déjà connu, mais toujours savoureux) semble être la clé de cette réflexion avec son inflexion MOTORHEAD et sa bonne humeur communicative, ne soyez pas trop enthousiaste. Le reste de l’album est beaucoup plus posé, pesé, et mis sur l’étal de la pensée avec précaution.
La question qui se pose est la suivante : est-ce compliqué pour Devin de faire simple ou est-ce simple pour Devin de faire compliqué ? Reste à savoir ce qui est complexe pour lui. Parce qu’artistiquement parlant, Powernerd est tout sauf simple et direct, et ce, dès la gamelle « Falling Apart ». « PowerNerd » fait illusion en quelques minutes, mais la réalité des faits explose dès ce deuxième morceau. Intro énorme, ambiance introspective, couches de voix nappées de sucre Metal, la trademark habituelle condensée ici pour ne pas risquer le diabète mental. Epaulé par la batterie de Darby Todd, Devin tente à peu près tout, oppose un riff gigantesque à des arpèges mélodiques, et place sur le chemin une harmonie sublime. Du Ocean Machine dans le texte, et donc…de la complexité. « Knuckledragger » à l’inverse retrouve l’énergie du diable qui court dans le désert, et nous propose un Heavy Metal de première bourre, une fois encore enveloppé dans un plaid de qualité qui supporte les nuits les plus froides.
Et une légère influence SOUNDGARDEN de « My Wave ».
La linéarité d’une analyse complète serait tomber dans les mêmes travers que le Devin habituel. Car tout y passe, du moindre petit détail à chaque idée globale. Humainement plus accessible, loin de son piédestal de génie fou à la chevelure improbable (enfin, l’ancienne chevelure), Devin se force à rester spontané, mais ne l’est guère plus que d’habitude. Les chansons sont toujours aussi profondes et travaillées, mélancoliques, violentes, mécaniques, ardentes, et ce nouvel album laisse présager d’une année 2025 très chargée. « Glacier » est sans doute un signe avant-coureur du virus qui nous attend dans quelques mois, alors que « Goodbye » joue l’ouverture sur d’autres mondes que Devin n’aurait pas encore découverts, par accident sans doute.
Mais alors ?
Non, Devin n’a pas réussi son pari. Ces onze nouveaux morceaux sont tout sauf simples et directs, et restent caractéristiques de cette démarche de perfection dont il n’arrive pas à se débarrasser. Et malgré ses allures de best-of, malgré son côté transitionnel, il est une œuvre à part entière, digne de se caler dans une discographie épaisse entre Terria et Ki. Sensible dans la force et inversement. Powernerd prouve une fois de plus à la planète Metal que DEVIN TOWNSEND est toujours ce supernormalhéros un peu cocasse, gauche dans la gestuelle, mais terriblement attachant dans les émotions.
Ne changez surtout pas monsieur.
Titres de l’album:
01. PowerNerd
02. Falling Apart
03. Knuckledragger
04. Gratitude
05. Dreams Of Light
06. Ubelia
07. Jainism
08. Younger Lover
09. Glacier
10. Goodbye
11. Ruby Quaker
Voyage au centre de la scène : une rencontre avec Chris Palengat (MASSACRA)
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