Il fut un temps où cette chère ville de Seattle produisait des groupes sophistiqués, à l’approche soignée, entre HEIR APPARENT et SANCTUARY par exemple. Et puis, dans les nineties, désespérée par le climat économique ambiant et les perspectives d’avenir, la ville s’est laissée aller à la mélancolie, le spleen, puis la révolte larvée et le soulèvement mou, Grunge oblige, et les rimes de Kurt Cobain comme testament des espoirs perdus.
Aujourd’hui, c’est le foutoir. De ville industrielle sans intérêt à capitale de la hype, Seattle est devenu une destination privilégiée, tout le monde voulant bouffer une part du gros gâteau. Sauf qu’en 2023, le gros gâteau en question est servi par les gros bourrins de RAT KING, qui ne sont pas vraiment du genre à laver votre petite assiette ou vous donner des couverts propres.
RAT KING, c’est le nuisible underground que les fumigations font rire, et que les chasseurs de parasites fuient come la peste. Un gros rongeur qui stagne dans les eaux boueuses des égouts, à la recherche d’une nourriture, n’importe laquelle, pourvu qu’elle soit faisandée et bien odorante. Depuis une dizaine d’années, ce trio versatile qui a commencé sa carrière en se graissant les mains dans le Stoner, secoue le cocotier en espérant voir le singe en tomber. Une gargote mal tenue, un fast-food no good, une vulgarité de tous les instants et des manières qu’on s’enfonce dans l’oignon si on n’est pas content.
Plus simplement, du gros Death/Grind de derrière les fagots, coin privilégié de la petite Tracy qui s’est fait voler sa virginité alors qu’elle n’avait que quatorze ans.
Les trois sagouins (Danny – basse/chant, Carlos Delgado – batterie et Ricky – guitare/chœurs) sont grossiers, adoptent souvent une attitude bravache, et crachent sur votre passage pour témoigner de leur mépris, mais aussi de leur sens de la territorialité. Et trois ans après la rouste Vicious Inhumanity, les marsouins en remettent une couche, encore plus intense, encore plus violente, mais tout aussi épiphanique.
Ils ont appelé ça Psychotic Reality. Ce qui est assez bien vu, puisque leur monde est aussi stable qu’un schizophrène lâché dans un magasin de costumes, et proche d’une réalité musicale qui n’a toujours pas appris des termes comme pause, silence, progression, et modération.
Mais c’est bien comme ça qu’on les aime.
Ce nouvel album offre ce que RAT KING sait faire de mieux, à savoir un crossover génial et jouissif entre BRUTAL TRUTH, NASUM et MORBID ANGEL (pour les passages lourds et glauques). Emballé dans un joli papier cadeau au pourpre prononcé, ce troisième né a été enregistré aux Soundhouse Studios de Ballard, Seattle, produit par le groupe, mais enregistré par Wyatt Harbaugh et mixé par Taylor Young au studio The Pit Recording. Le résultat est donc énorme, au moins autant qu’un pachyderme qui s’assoit sur votre pied, mais surtout bien senti, varié dans la linéarité, et agrémenté de quelques arrangements piqués à la scène Crust suédoise. Le meilleur du pire donc, entre gens de bon dégoût.
Les titres, toujours portés par un riff monstrueux et la voix immonde de Danny sont évidemment irrésistibles, pour ceux qui aiment leur Death/Grind matinal et bien ramoné, mais aussi pour les passionnés de Death sale, moche et gluant. Suivant cette ligne de conduite extrême qui les guide depuis quelques années, les trois américains font plus que le job, ils font le show, et font montre d’un panache certain dans le choix et l’agencement des plans, le tout adoptant parfois des atours techniques pas désagréables du tout.
Mais rassurez-vous, rien d’intellectuel.
Ceci étant dit, les gus ne sont pas non plus bas du front. Leur attitude revêche est certes assez mal dégrossie, mais leur flair pour les thèmes accrocheurs a quelque chose de touchant, spécialement lorsque le rythme ralentit pour laisser Carlos s’amuser avec ses toms comme un Emo perturbé avec son fusil d’assaut.
RAT KING, le roi des rats, mais pas n’importe lesquels. Pas ceux qui se font flouer par une flute quelconque jouant une mélodie abêtissante en comptant sur la docilité des rongeurs, non, ceux qui sortent la nuit pour fouiller les poubelles et infester les cuisines de Seattle. De grosses bestioles aux poils collés mais aux dents affutées, trimbalant toute sorte de maladies, contagieuses évidemment, qu’ils se font un plaisir à refiler.
Et j’adore cette façon de tout envoyer valser avec une grâce folle. Car sous un épais vernis se cachent des musiciens avertis, qui connaissent leur instrument, et qui savent exactement quoi lui faire raconter. Des histoires d’horreur évidemment, mais aussi des avertissements quant à la dérive egocentrique d’une société dans laquelle les valeurs de base partent à vau-l’eau.
Après tout, on ne cherche pas à fédérer les parias avec de gentils hymnes à la tolérance et l’intégration. Si mon cul c’est du merlu, le tien c’est du poulet, et quoiqu’il arrive, RAT KING sera toujours là pour nous le bouffer.
Gaffe aux rognons, le rongeur les aime bien ronds.
Titres de l'album :
01. Tortured Existence
02. Destroyer Of Us All
03. Vermin
04. Corrupt Broken System
05. Feeding Off Broken Backs
06. Intrinsic Self Devourment
07. Labyrinth
08. Born to Conform
09. Never Born
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