Fut un temps où l’annonce de la sortie d’un album de SEPULTURA créait un séisme dans les rédactions du monde entier et faisait palpiter le cœur des fans. J’ai connu cette époque, moi qui ait découvert les brésiliens avec Schizophrenia, tentative encore un peu gauche de traduire la bestialité sud-américaine dans un vocable américain et européen. Mais depuis combien de temps n’a-t-on pas vibré en écoutant un disque d’Andreas et les autres ? Je veux dire…vraiment vibré, comme lorsque la sueur perlait sur notre front en écoutant « Stronger Than Hate, « Terrirory » ou « Arise » ? Longtemps, très longtemps…Pourtant, l’indifférence polie à laquelle le groupe doit faire face depuis de longues années est injuste, et irrespectueuse de leurs tentatives de s’extirper d’une ombre qu’ils n’ont pas méritée. J’affirme, mais j’ai les preuves de mes dires, et je les avance. Car après tout, même si la discographie post-Max n’a jamais eu l’aura des albums les plus historiques, elle n’en est pas moins bien plus intéressante que les redites pathétiques du frontman aux dreadlocks qui depuis plus de vingt ans s’échine à reproduire le même son en nous martelant de ses histoires fatigantes de tribu. De la tribu, il ne reste pas grand-chose, Igor et Max évoluant de leur côté, reprenant même à leur compte les victoires anciennes en live, tandis que Paulo et Andreas continuent leur petit bout de chemin qui au bout du compte, propose un voyage Ô combien plus initiatique que la balade des gens faussement heureux de leurs deux anciens comparses. Il n’est pas vain d’affirmer que même un album en demi-teinte du SEPULTURA V2.0 est largement supérieur à une bourrinade supplémentaire de Max avec SOULFLY ou CAVALERA CONSPIRACY. Pas forcément en termes de puissance et de pertinence, mais en termes de prise de risque artistique. Mais depuis quelques années, les fans à la perception moins floue commencent à comprendre cet état de fait, et réserver au groupe un accueil qu’il mérite. Le premier indice de cette reconquête annoncée fut l’excellent et brutal The Mediator Between Head and Hands Must Be the Heart. Le second, le très probant Machine Messiah. Ces indices menaient sur une piste, celle de la rédemption et de la réalisation qu’un album de SEPULTURA pouvait encore se montrer aussi puissant que culotté. Mais aussi plaisant à suivre furent ces chapitres, leur continuité ne nous préparait pas à la déflagration de Quadra, qui de son titre en économie de sens et sa pochette sobre nous suggère une conclusion qui fait froid dans le dos.
SEPULTURA en 2020 est redevenu cette entité créative incroyable qui a bousculé le monde du Metal et révélé à la face du monde que le Brésil n’était pas le quart monde de la musique extrême, mais bien son épicentre.
Quadra, comme son nom l’indique, ne se réfère pas à l’âge de ses protagonistes, mais bien à un découpage à parts égales d’une œuvre qui se veut presque résumé exhaustif d’une carrière non sans tâche. Décomposé en quatre chapitres pour une durée modeste de cinquante minutes, le quinzième LP des brésiliens offre une vision de miroir de fête foraine d’une histoire qui est loin d ‘arriver à son terme. Lorsque Max s’intéresse à son passé illustre, il ne fait que le piller grossièrement pour enthousiasmer des fans de plaisirs faciles. Lorsque SEPULTURA fait de même, il continue d’avancer et de progresser sans avoir besoin d’attirer l’attention sur ses heures de gloire de la façon la plus grossière qui soit. Il continue d’affirmer que le départ de Max était finalement inévitable, ne serait-ce que sur un point de vue créatif, puisque Quadra n’aurait jamais pu être composé par le line-up historique. D’ailleurs, le line-up de SEPULTURA depuis 2011 est certainement le plus killer de toute son histoire. Le trio de base, du moins celui l’étant depuis le départ de Max assure les arrières, mais avec l’adjonction en 2011 du grand batteur qu’est Eloy Casagrande, le quatuor a pris une ampleur instrumentale incroyable, que les années développent avec grandiloquence. Aujourd’hui, avec quatre musiciens au sommet de leur potentiel, la créature déploie à nouveau ses ailes et montre à quel point un animal blessé dans son orgueil peut être dangereux. Non que les choix effectués surprennent, non que l’approche soit radicalement différente, mais dans les faits, et en restant objectif, Quadra est le premier album depuis Arise à ne contenir aucun bouche-trou ou complément facile, et ce grâce à plusieurs éléments distincts et complémentaires. D’abord, le niveau stratosphérique de composition atteint par le noyau dur. Pour l’occasion, Andreas a sorti le grand jeu, multiplié les riffs assassins, les transitions intelligentes, a nettoyé son inspiration de toute scorie de complaisance, ne retenant que le meilleur des genres abordés. J’en veux pour preuve l’ouverture dantesque de « Isolation », de ces intros qui loin d’être de simples excuses d’entame, en disent long sur le contenu qui les succèdent et plantent l’ambiance. L’ambiance ici est à mi-chemin d’une BO de John Carpenter et Verdi. Du moins jusqu’à cette immense déflagration Thrash aux relents Death, qui nous ramène à l’époque bénie de Arise, revue et corrigée par un AT THE GATES en pleine crise Hardcore. Et admettons ce fait, Derrick Green lui aussi n’a jamais si bien chanté et interprété. A l’aise dans tous les registres, enfin débarrassé de ses tics les plus Hardcore, le chanteur s’époumone pour s’adapter à la couleur musicale, et permet à Eloy de balancer la purée entre Dave Lombardo et Joey Jordison. Et Dieu sait si le percussionniste s’en donne à cœur joie, adaptant son jeu au besoin de son groupe. Claquant la plupart du temps, fluide, véloce et persuasif.
Cette première partie, la plus violente et rapide de l’ensemble, est une démonstration de savoir-faire Thrash moderne, qui relègue la jeune concurrence à des années lumières. Je défie d’ailleurs tous les opportunistes de ces dix dernières années de composer une tuerie de l’ampleur de « Means To An End », certainement l’un des titres les plus techniques et écrasants du répertoire du groupe depuis très longtemps. Même constat, minoré d’une rythmique trop emphatique pour « Last Time». En trois morceaux, SEPULTURA remet les pendules à l’heure, et repart à la conquête de son trône. Et se dire que cette première partie est pourtant ce que ce quinzième album a à proposer de plus classique et de moins fascinant en dit long sur le potentiel de ce comeback qu’on attendait plus. Mais il en va des blessures comme des injustices. Certaines se guérissent plus longuement que d’autres. Dans son créneau, « Capital Enslavement » est une tuerie immédiate, mais il convient d’y voir plus un défouloir qu’un sursaut d’orgueil de violence. Une transition vers une seconde partie plus modérée et symptomatique des années de crossover, de métissage, avec le Heavy martelé par l’efficace « Ali », qui siffle l’autre départ. On replonge alors dans les années troubles durant lesquelles le groupe se cherchait encore, voulant intégrer un chanteur purement Hardcore à un contexte plus volontiers Metal, et « Guardians Of Earth » de prouver que l’intégration est maintenant entérinée depuis des années. Ce morceau est d’une autre importance, il valide la compréhension d’un producteur face à l’importance versatile d’une œuvre. Le boulot accompli par Jens Bogren est tout simplement ébouriffant de justesse, et prouve que l’homme est capable de mettre sa longue et diverse expérience au service d’un seul groupe. Ses expériences passées de producteur et arrangeur de KATATONIA, AMORPHIS, lui ont permis de comprendre là où le groupe voulait en venir, et Jens a utilisé tout l’arsenal à sa disposition, entre les guitares classiques, les violons, les percussions, les chœurs opératiques spectraux, et tout ce qui pouvait achever de transformer « Guardians Of Earth » en ce chef d’œuvre tragique et grandiloquent, tout en gardant la limpidité radicale de « The Pentagram » au ras des pâquerettes de la violence la plus crue. A ce titre, cette fin d’album est une acmé en soi, le paroxysme d’un travail de recyclage qui montre les visages, assume les rides, mais refuse de lâcher les armes. Et pour cause, les chargeurs sont encore pleins et les lames affûtées.
« Autem » fascine, mais c’est « Agony Of Defeat » qui hypnotise. Avec sa mise en place progressive, son riff redondant expulsé par Andreas comme une catharsis, un chant modulé de Derrick qui soudainement hurle à plein poumons, et ces arrangements circulaires tragiques, ce morceau est le haut point dont un album a toujours besoin en pénultième injonction. Opéra étrange en fascination maximale, ce titre cite Tom Warrior, l’Italie, la Suède, OPETH, et réconcilie les amateurs de perfection avec un groupe qu’ils ont trop longtemps laissé de côté. « Fear; Pain; Suffering » en est même presque superfétatoire en tant que final, malgré une osmose intégrale entre les musiciens et leur producteur. Mais tout est là finalement, sous une forme un peu étrange, et pas agencé de la façon qu’on aurait pensé, mais les preuves à décharge s’accumulent comme des dossiers trop évidents sur le bureau d’un procureur. Chassé comme une vilaine sorcière difforme, SEPULTURA assure lui-même sa défense avec les meilleurs arguments qui soient. Et dès lors, inutile de jouer les avocats du diable et faire preuve de complaisance pour apprécier ce Quadra. Car il n’est rien de moins que le meilleur album que les brésiliens ont pu nous offrir depuis Arise.
Titres de l’album :
01. Isolation
02. Means To An End
03. Last Time
04. Capital Enslavement
05. Ali
06. Raging Void
07. Guardians Of Earth
08. The Pentagram
09. Autem
10. Quadra
11. Agony Of Defeat
12. Fear; Pain; Suffering
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26/03/2025, 11:24
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