Que voulez-vous, j’aime les gros bourrins. Mais attention, pas n’importe lesquels, ceux qui savent faire du boucan en restant amusants. Et surtout, séduisants dans leur optique de déments. Parce que bourriner dans le vide, n’importe qui sait faire. Lâcher des riffs en bouillie sur fond de régurgitation vocale, même ma concierge en est capable.
Blaster comme un âne en plein soleil sur vingt secondes pendant que le gratteux feignasse balance le même riff dégueulasse, ça aussi c’est à la portée du premier abruti venu. Mais y aller franco et fortissimo en soignant ses attaques, moduler le rythme entre deux ouvertures de pack, et vociférer à coup de matraque, c’est un art consommé qu’il faut maîtriser, et à la perfection.
Alors, d’abord, choisissez votre AOC. Les fans d’extrême un peu râpeux opteront pour l’est, les fondus du presto borracho iront s’abriter en Amérique du Sud du côté de Mexico, tandis que les plus aventureux se sentiront l’âme nippone, observant goguenards les plus modérés camper sur des positions européennes centrées.
Mais le Canada dans tout ça ? Quoi, trop polis pour être malhonnêtes ? Mais détrompez-vous et débarrassez-vous de ces damnés clichés, et écoutez par curiosité Recidive, des rois de la maltraitance auditive SACCAGE. Vous verrez qu’entre deux sourires, nos cousins sont largement capables de nous en coller une dans un coin.
SACCAGE, et ce nom si bien choisi, c’est d’abord une carrière qui commence à dater. Formation en 2007, et donc dix ans de grandes foulées, pour une démo (La Dérape Tabarnak, 2008), un split avec ALCOHOLOCAUST en 2009, un premier long en 2012 (Death Crust Satanique), un EP (Vorace, 2014), une compile (Vorace MMXV, 2015), un autre split avec HELLACAUST en 2016, suivi d’un live la même année (Blasphème et Abus Collectif), pour finalement souffler les dix bougies sur le gâteau Recidive, qui lui aussi n’a pas été baptisé au hasard.
Alors de fait, Nath Botch (guitare, chœurs), Phat Labrosse (chant, basse), Dan Mécréant (chant) et Gauthier (batterie) n’ont pas changé d’un iota leur philosophie, et s’accrochent toujours à ce mélange hétéroclite de mouvements bruitistes, mélangeant le Death, le Thrash, le Black et le Crust pour concocter un breuvage pour les oreilles très relevé, fort en bouche, mais qui coule le long du canal comme un nectar qu’on ne rebouche qu’après un coma éthylique confirmé. Et croyez-moi, le quatuor de serveurs est doué pour vous enivrer en loucedé, sans vous laisser le temps de comprendre que votre foie va morfler.
Mais les habitués du zinc de la rive sud sauront comment avaler cette mixture, puisque les fidèles de l’échoppe comprendront vite que leurs tauliers préférés n’ont pas changé en dix ans de métier. Depuis leurs débuts, les SACCAGE ont bien pigé que l’ultraviolence n’est efficace que si elle est nuancée, et portée par des thèmes faciles à mémoriser. D’où une ambiance globale très festive, avec happy hour tous les quarts d’heure pour en arriver à une bonne soirée d’une demi-heure, avec pourboires à la clé et consommateurs satisfaits.
Certains appelleront ça du travail bien fait, mais ne pensez pas pour autant que les gus vont nettoyer les tables avant de vous les confier. Le tout est agencé de façon logique et travaillée, mais la folie n’est pas simulée, et le boucan dispensé par les haut-parleurs fatigués ne joue ni la tendresse, ni le Core trop carré.
D’ailleurs, la réflexion, l’attention, la précaution, les canadiens n’en ont rien à carrer.
Ça tombe bien, moi non plus.
Recidive justifie donc son titre tout du long, et reprend peu ou prou les mêmes astuces que Death Crust Satanique, en plus carton. Depuis 2012, les mecs ont pris du ballon et en ont aussi avalés sans se poser de question, ce qui rend leur album béton mais moelleux, pour une grosse calotte Thrash/Crust légèrement blackisée par un chant râpé et vociféré.
Et si les riffs sont maison, ils se répètent parfois mais restent dans la tête, pour une jolie symphonie en hommage au houblon corsé de tradition, dans une veine MOTORHEAD meets DARKTHRONE tout à fait abordable.
Mais encore une fois, la musique des SACCAGE est de celles qu’on déguste, mais dont on ne parle pas. Quel est en effet l’intérêt de digresser ou gloser sur un Hardcore thrashisé, sympathique et à peine osé, quand on peut se l’enfiler et comprendre les tenants et aboutissants en quelques minutes bien tassées ?
Aucun, je le concède, et autant rester vague dans l’analyse, en précisant quand même que les bougres bénéficient d’une excellente production, pas trop épaisse mais claire, qui fait tonner la grosse caisse et blesse les guitares, sans pour autant donner trop de place au chant.
Dès lors, le rythme est up, the only way, les accords résonnent et singent parfois les plans les plus directs de feu Lemmy & co, tandis que l’atmosphère générale se cale sur la ligne du parti Crust scandinave, avec cette petite touche de Thrash allemand tout à fait délicieuse.
Pas mal de délires dans les textes, et une certaine finesse dans les arrangements permettent aux morceaux de s’imposer vraiment (« 666 Grammes »), morceaux qui dérivent et oscillent entre Thrash festif aux chœurs incisifs (« Récidive »), Groovecore mastif (« Ta Dernière Gorgée », qui dégénère assez vite), ou grosse branlée médium qui vous assomme de son timbre véhément et de ses riffs bien méchants (« Orgasmaniaque », clin d’œil appuyé, mais assombrissement remarqué).
Et après une bonne grosse accélération à la SODOM (« Saute-Cadran », de quoi transpirer avant la fermeture des portes), on trinque tous une dernière fois à la santé d’un bon résumé de la soirée (« Pourceau (de Satan) », qui finit les verres et joue au frisbee avec les sous-bocks), avant de quitter la taverne l’air allumé et le regard un peu embué.
SACCAGE confirme, SACCAGE vous rend infirme, mais SACCAGE s’affirme avec ce second longue durée qui couronne une carrière riche de dix années vouées à la cause d’un gros Thrash/Crust qui sait bousculer, mais aussi se marrer. Un groupe et un album à écouter quand le moral n’y est pas, pour le sourire retrouver, et l’ulcère provoquer. Merci amis canadiens de nous payer un coup, d’autant plus que votre liquide coule direct dans le trou.
Celui des oreilles, évidemment.
Titres de l'album:
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