A coup sûr, vous allez me dire, « le Grind, on connaît ». Et il est certain qu’à force d’abuser des sempiternelles comparaisons avec les éternels NASUM, THE KILL, NAPALM DEATH, ASSUCK et consorts, le tableau commence à se noircir d’une prévisibilité pénible. Mais ce constat peut être modulé en prenant en compte les instincts déviants de musiciens ne voyant pas dans ce style qu’un simple exutoire à une colère avouée, ou un simple défouloir rythmique prévisible. C’est ainsi que depuis plus d’une dizaine d’années, des petits gars bien de chez nous proposent une conception bien différente du genre, qu’ils musicalisent, et instrumentalisent de façon fort intelligente, au point de lui offrir des options beaucoup plus enrichissantes. Avec un nom de baptême comme GRIND-O-MATIC, il y avait pourtant fort à parier qu’un foutoir gentiment paillard allait nous dérouler le tapis rouge, mais en allant puiser leur inspiration du côté des TOTAL FUCKING DESTRUCTION, BRUTAL TRUTH et autres PSYOPUS, les parisiens ont fait le bon choix, et développent depuis leurs débuts un art consommé du contre-pied. Choisissant de composer de vrais morceaux, et non pas de simples odes à la cruauté super excitée, le trio (Grind-O-Manu - guitare/chant/programmation, Grind-O-Maric - batterie et Dino-Matic - basse) refuse l’affiliation à de faux-frères RAMONES du ramonage de conduit, et ose des constructions en gigogne, et une certaine option « progressive » qui repousse les limites en leur opposant une créativité surprenante, et une musicalité étonnante. Aussi portés sur les dissonances que sur les déviances, les trois olibrius nous prennent donc à revers, et redonnent ses lettres de noblesse au Grind, genre qu’ils affectionnent et respectent, au point de le combiner au Hardcore, à l’Industriel, pour le transformer en machine à broyer à laquelle aucun os à ronger ne pourrait résister.
Technique, inventivité, GRIND-O-MATIC peut se targuer d’avoir à chaque LP proposé quelque chose de neuf. Entamant leur carrière par une démo, passage obligé, ils ont ensuite produit comme des fous pour aligner trois longue-durée (9 Ways to Use a Meatgrinder, 2006, Welcome to Grind-o-Land, 2009, et Flower Power, 2013), avant de se murer dans le silence pour revenir encore plus affutés. C’est ainsi que nous célébrons aujourd’hui la naissance de Regular Singularity, qui se propose d’ériger un rempart nous protégeant des innovations techniques, et de traiter de sujets de société comme le transhumanisme, la robotique, l’intelligence artificielle et les appareils connectés. Se voulant éthique, écologique, ce nouveau pamphlet aborde donc des thèmes chers au style, que les NAPALM DEATH eux-mêmes prônent depuis leur émergence, mais en développant de nouveaux arguments musicaux rendant leurs morceaux très difficiles à classer. Puissant, intelligent, ce nouveau longue-durée échappe donc aux récurrentes comparaisons, s’éloignant de la masse grouillante des bruitistes sans ambitions, pour offrir au public une version adaptée de la violence instrumentale, qui s’articule souvent autour de thèmes en vrille et de riffs malicieux. Aussi malsain qu’il n’est salvateur, ce nouvel effort est d’une richesse incontestable, et fait autant rugir que réfléchir. La condition du Grind n’est donc peut-être pas l’impasse que nous craignions de se voir dessiner, et un certain futur se profile donc sous les coups de boutoir d’un trio vraiment passionné par sa tâche, et substituant l’immédiateté à la réflexion. Le choix parfait pour permettre à la brutalité d’échapper à un destin funeste d’automatismes un peu trop figés…
Loin des saillies fulgurantes tapissant le décor de riffs prémâchés, les titres de Regular Singularity sont suffisamment longs pour qu’on en apprécie les tenants et aboutissants, et largement assez organiques pour qu’on rejette en masse les adorateurs des boîtes à rythmes et autres arrangements synthétiques. Et pour ceux craignant que le propos soit trop intellectualisé, dites-vous que la puissance dégagée par des titres aussi impulsifs que « iOX » et sa dénonciation des systèmes d’exploitation suffit à comprendre que les GRIND-O-MATIC n’ont pas troqué la folie et l’exubérance pour une philosophie un peu trop élitiste. Assez intelligent pour intriguer, mais assez méchant pour bousculer, ce quatrième LP est un modèle d’un genre qui n’existe pas vraiment, et qui refuse de singer les AGATHOCLES pour affirmer son allégeance qui ne saurait être remise en cause. Mais à dire vrai, on prend conscience de cet état de fait dès l’introductif et aplatissant « Big Sister », qui de ses bandes inversées nous prend à rebours, et développe des arguments probants sans renoncer à une bestialité de ton dissonante. Assez proche du Endtime des fabuleux BRUTAL TRUTH, mais en version plus agencée et moins morcelée, Regular Singularity est une ode à l’humanité, et aux esprits libres qui refusent de se voir en simples connexions intra-sociétales. Loin de se retrouver dans la génération smartphones et écrans branchés en permanence, les parisiens incarnent donc un double refus, celui des conventions d’un Grind devenu entre les mains de malhabiles faiseurs un simple bruit de fond stérile, et d’un inéluctable destin nous ramenant à la simple condition de cellules/processeurs interférant les unes avec les autres. Et « Nutcracker » de confirmer son postulat via une exubérance sidérante d’efficacité, osant le croisement entre le VOÏVOD le plus barré et le TOTAL FUCKING DESTRUCTION le plus énervé.
Des riffs, biaisés, une rythmique, époumonée, un chant, exhorté, mais aussi beaucoup plus que la somme de ces parties, pour une symphonie qui laisse pantois. Beaucoup d’expérience capitalisée qui permet de se désolidariser de la masse grouillante des précipités du blast, pour un raccourci entre les friches de l’Industriel, et les terrains vagues du Grind, le tout abordé comme un démonstration de technique efficiente. Et si je préfère vous laisser la surprise de la découverte en évitant le track-by-track qui aurait pourtant été justifié, je ne peux me décider à fermer le rideau sans vous parler sommairement du final dantesque de « AI », qui plonge Spielberg dans les affres des stridences et autres dissonances, pour près de dix minutes de prospection concentrique, opposant le Grind au psychédélisme, et le Hardcore au Sludge. ACID BATH, FULL OF HELL, NAILS, autant de noms qui ne cachent pas celui de GRIND-O-MATIC, qui depuis 2003 s’évertue à faire évoluer les choses, sans travestir sa propre nature. Alors, non, décidément, le Grind, vous ne connaissez pas forcément. A moins d’écouter et de savourer ce Regular Singularity, d’une singularité nominative et musicale indéniable. Chapeau bas messieurs, et un conseil chers lecteurs. Pour apprécier pleinement, achetez le CD dispo sur leur Bandcamp, et écoutez-le sur un lecteur classique, tout appareillage éteint. Vous comprendrez mieux de quoi il en retourne.
Titres de l'album:
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21/11/2024, 08:46
Quand on se souvient du petit son des années 80... Mais la prod ne fait pas tout, ça reste du pilotage automatique. C'est pas avec un truc pareil que je vais me réconcilier avec eux, et ça fait 20 piges que ça dure.
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11/11/2024, 10:09