En huit ans et trois albums, Todd La Torrre a su faire oublier qu’un jour, le chanteur de QUEENRYCHE s’appelait encore Geoff Tate. Il a dû affronter une situation difficile et une séparation pour le moins chaotique, mais il a réussi à s’imposer comme le vocaliste 2.0 de ce groupe unique, alors que Tate s’enfonçait progressivement dans le grotesque et le remâché le moins pardonnable. Il n’y a pourtant rien de plus difficile dans la musique que de se glisser dans les cordes vocales d’un hurleur de légende, et ce ne sont ni Blaze Bailey ni Tim Owens qui vont me contredire. Mais sa voix passe crème sur les trois derniers albums studio du groupe (Queensrÿche, Condition Hüman et The Verdict), à tel point que l’homme a pris confiance, suffisamment pour oser se lancer sous son propre nom. Certes, les risques sont mesurés au jugé de son talent inimitable d’homme capable de chanter tout mais pas n’importe quoi, mais un album solo est toujours un sacré défi à relever, et là encore, ce ne sont ni Bruce Dickinson, ni Rob Halford qui vont me contredire. Les fans ont rarement envie de voir leurs héros dans un autre costume que celui que leur groupe officiel leur a taillé, et c’est sans doute pour cette raison que Todd ne s’est pas trop éloigné de son style usuel. Et soutenu par la grosse structure US Rat Pak Records, Todd nous présente donc le fruit de ses réflexions en solitaire, avec une poignée de titres que le QUEENSRYCHE moderne aurait pu chanter en durcissant légèrement le ton.
En s’appuyant sur les solides épaules de musiciens rodés à l’exercice, Todd a fait le bon choix, et nous retrouvons le fantastique chanteur entouré de Craig Blackwell, virtuose floridien, et Zeuss (HATEBREED, CROWBAR, OVERKILL, HEATHEN) à la production, au mixage et au mastering. En résulte un album fort en gueule, fort en son, mais capable de nuances intéressantes mettant admirablement bien en valeur les capacités infinies de ce chanteur au timbre unique, mais très proche de celui de Tate.
Fans du QUEENSRYCHE le plus récent, jetez-vous évidemment sur cet album qui aurait pu être gravé par votre groupe préféré. Fans de Todd, ne manquez surtout pas sa performance hors norme, pleine de délicatesse parfois, mais surtout vouée aux gémonies d’un Metal tirant sur le Power le plus puissant. Entre un CRIMSON GLORY méchamment énervé et un NEVERMORE classique, Rejoice In The Suffering joue avec les frontières séparant le Metal moderne de son pendant le plus traditionnel des années 80, et un morceau comme « Crossroads to Insanity » aurait très bien pu figurer sur le chef d’œuvre Operation Mindcrime, tout comme sur le séminal Transcendance des GLORY. A quatre mains, Todd et Craig ont accompli un travail de titan pour que ce premier album fasse honneur à la discographie de La Torre, et si le premier s’est chargé du chant, de la batterie et de la production, le second a assumé la guitare, la basse, les claviers et l’autre partie de la production. Plus que d’album solo, il convient donc de parler d’album en duo, et la complicité entre les deux hommes est palpable. Tout au plus pourrons nous regretter le côté parfois un peu générique du son, qui uniformisé par Zeuss ne permet pas toujours au LP de se distinguer de la masse des sorties actuelles, spécialement lorsque la tension monte d’un cran.
Aux côtés des deux hommes, nous retrouvons un ou deux invités de marque, Jordan Ziff venu poser un solo sur « Rejoice in the Suffering » et Al Nunn enchanté de s’occuper des claviers sur « One by One », mais il est évident que ce Rejoice In The Suffering est l’œuvre de deux hommes se connaissant et se complétant à merveille. Et dès l‘entame « Dogmata », tout est dit et avec beaucoup d’emphase, le Heavy sera roi, et méchamment adroit. Sur un tempo échevelé à la PRIEST, le duo se rapproche des épisodes les plus flamboyants du Heavy Metal américain des années 80/90, citant RIOT, NEVERMORE, pour se caler sur une ligne de conduite virile, mais mélodique, à la lisière d’un Thrash à la SANCTUARY boosté de FIGHT. Le chant de Todd, versatile comme d’habitude n’a rien perdu de sa superbe, et s’exprime dans un autre contexte que celui plus figé de QUEENSRYCHE, ce qui permet à Todd de se laisser aller à des harangues très agressives et de prouver qu’il aurait largement sa place dans un combo pur Thrash.
Jouer viril c’est bien, insister sur la puissance aussi, enchaîner avec un morceau aussi fort que « Pretenders » également, mais ce qui fait la richesse d’un album, c’est aussi la variété, et le duo l’a bien compris. Après quelques salves viriles, Todd emprunte des chemins de traverse pour moduler ses infections, et ose le groove, le déhanché et les syncopes à l’occasion du terriblement catchy « Hellbound and Down », avant de revenir sur la berge d’un Metal mordant et torride via « Critical Cynic ». Conscient des enjeux, mais acceptant aussi le côté « parenthèse » de cet album, Todd joue donc entre la gravité et l’humilité pour ne pas décevoir ses fans, et s’éloigne quand il faut de ses racines habituelles. Mais nous le retrouvons à son meilleur niveau dramatique sur le dernier titre « Apology », qui lui non plus n’aurait pas dépareillé sur un album récent du RYCHE.
Tout y passe, tout ce qui fait l’univers du chanteur, les déroulés lyriques mais pudiques sur le superbe « Vexed », les accélérations puissantes et l’humeur massacrante sur l’overspeedé « Vanguards of the Dawn Wall », à même de faire passer OVERKILL et DESTRUCTION pour de vulgaires boniches Hard Rock (et qui renvoie facilement le dernier HEATHEN dans les cordes), et nous ressortons de l’écoute de ce premier album solo avec un arrière-gout de confirmation absolue dans les tympans. Non seulement, Todd est un formidable chanteur, comme on en rencontre un sur mille, mais en plus, l‘homme a du goût et sait se débrouiller seul. C’est ce qu’il faut retenir d’un album concis et solide de bout en bout, qui renvoie la concurrence dans les cordes, et qui joue avec les codes sans tomber dans les clichés de la complaisance.
A noter que l’album est disponible en plusieurs versions et que l’une d’entre elles propose trois morceaux bonus. Ces titres sont peut-être d’une qualité moindre, mais méritent quand même l’attention, même s’ils n’ont pas la superbe des dix morceaux officiels.
Todd est donc un homme heureux et comblé, avec QUEENSRYCHE ou sans et Rejoice In The Suffering est tout sauf une douleur pour l’auditeur. Plutôt une superbe démonstration de Metal traditionnel traduit dans un langage plus contemporain.
Titres de l’album:
01. Dogmata
02. Pretenders
03. Hellbound and Down
04. Darkened Majesty
05. Crossroads to Insanity
06. Critical Cynic
07. Rejoice in the Suffering
08. Vexed
09. Vanguards of the Dawn Wall
10. Apology
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